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IV Voix Asiatiques

AFGHANE

Nadia Anjuman1

Illumination

Voici la nuit : la poésie illumine mes instants
Voici l'exaltation qui peigne mes cordes vocales
Quel est ce feu, merveille étrange, qui m'abreuve ?
Voici que le parfum de l'âme embaume le corps de mes rêves
Je ne sais de quelle montagne, de quel sommet d'espoir
Voici que souffle une brise nouvelle sur la saison de ma fin
Du halo de lumière me vient une transparence, luminescence
Voici que n'ont plus d'autre désir mes larmes et mes soupirs
Les étincelles de mes plaintes font une poussière d'étoiles
Voici que la colombe de mes prières fait son nid dans l'empyrée
Mes larmes incontrôlées sur les lignes de mon livre
Voici qu'elles tombent, goutte à goutte, vois-tu ô mon Dieu
De mes paroles dans un cahier, de mes mots tumultueux
Voici que gronde une tourmente, fruit de mon silence obstiné
Aube, chère aube, ne déchire pas la soie imaginaire
Voici que je suis plus heureuse la nuit, quand la poésie illumine mes instants2

Sans sens

La musique n'a plus de sens --- pourquoi composer,
Abandonnée par le temps, me taire, chanter.
Pour ma langue, mes mots sont un poison,
Mon violeur étouffe mes chansons.
Personne, nulle part, ne voit, ne s'inquiète
Que je pleure, rie, meure ou vive encore
Ici, dans cette cellule entre chagrin et remords ;
pourquoi vivre, si ma langue est scellée, encore.
Tout doux, mon cœur, pour cueillir le doux printemps,
Mes ailes brisées vont apaiser ce tremblement.
Les mélodies coulent de ma mémoire, fanée par le silence,
Et encore les chansons affluent des soupirs de l'âme.
La pensée du jour où je briserai ma cage
Me fait, soûlote sans souci, gronder
Car je ne suis pas un saule tremblant au vent,

Et femme afghane, je gémirai et je chanterai3 !

Les pas verts de la pluie

Dans la pluie, sonnent des pas verts.
Ils nous viennent de la route.
Âmes assoiffées et jupes poussiéreuses du désert,
Mirées de mirage, souffles brûlants,
Bouches sèches, couvertes de poussière,
Arrivent par la route, maintenant.
Des filles, rudes à la douleur, corps méprisés
Visages mécontents, cœurs vieillis, fissurés.
Ni sourire au recueil de leurs lèvres.

Ni larmes pointant du lit tari de leurs yeux.
Dieu ! Je ne sais si leur cri lourd peut atteindre les nuages.
Ni la voûte infinie ?
Leurs pas verts sonnent dans la pluie.

Sayd Bahodine Majrouh4

Chants de l'errance

Le vent des tyrannies, le serpent d'épouvante,
ne vous avais-je pas dit sa soif en votre sein
et qu'il ne viendrait pas de contrées si lointaines ?

Ô errants de l'exil
vous le couviez au creux de vous
et il a bousculé jusqu'au dernier des souffles !

Barbarie, Harmonie :
Le chemin n'est pas droit, ô errants !
Et si jamais de l'une à l'autre on vous dit qu'il est droit,
ne le croyez pas, ne le croyez jamais !
Voyez les tourbillons, les remous, les cratères,
sans cesse plus barbares que la barbarie même
et voyez vos mains vides
et défiez-vous des lignes droites !

Eux tous, et le Voyageur, ah brindilles !
jetés à la dérive des temps
cloués sur un abîme en eux dans leurs yeux mêmes,
hantises héberluées qui allaient hors chemins.

Le vent était venu.
La Cité avait cessé d'être.
Les familles fuyaient.
L'horreur se faisait loi.
Le Monstre régnerait.

Ô amis exilés que nous étions-nous dit ?

Dix Landays des femmes pachtounes5

Depuis des siècles en Afghanistan et au Pakistan, les femmes de l'ethnie pachtoune composent des Landays . Ces poèmes de 22 syllabes traitent de l'amour, du sexe, de la guerre et de toutes les autres réalités d'une vie extrêmement injuste pour elles. Ces distiques sont composés, récités et partagés par des femmes qui sont pour la plupart analphabètes.

J'ai fait un lit de ma poitrine
Et mon amant fourbu suit un long chemin jusqu'à moi.

Ô coq retarde un peu ton chant
Je viens juste de rejoindre les bras de mon amant.

Dieu, unis-moi à lui, ne serait-ce qu'un instant,
Comme un éclair passager aux bras sombres des nuages.

Tu as mangé ma bouche sans être rassasié,
Idiot, porte-moi sur ton dos, je suis prête à te suivre !

Mon amour, viens vite le contenter,
L'alezan de mon cœur a rompu toutes brides.

Rassemble du bois, fais un grand feu !
Car j'ai coutume de me donner en pleine lumière.

Prends-moi d'abord en tes bras, serre-moi,
Après seulement tu pourras te lier à mes cuisses de velours.

Pose ta bouche sur la mienne
Mais laisse libre ma langue pour te parler d'amour !

Mets tes lèvres sur ma bouche,
Comme un sarment de vigne qui se tord sur la terre.

Cueille des fleurs à poignées,
Je suis un jardin qui sait qu'il t'appartient.

Va te battre ...

Va te battre à Kaboul, mon amour,
Pour toi je garderai intacts et mon corps et ma bouche.
Que peut-il faire d'autre que se conduire en héros ?
Puisque je mets sous sa tête l'oreiller de mes bras blancs.
Fils, si tu désertes notre guerre,
Je maudirai jusqu'au lait de mes seins.

Ô tombe ruinée, ô briques dispersées, mon bien-aimé n'est plus que poussière
Et le vent de la plaine l'emporte loin de moi.

Partaw Naderi6

Hommes chanceux

Quand ton étoile est invisible dans ce ciel désolé,
votre désespoir lui-même devient une étoile.
Mon jumeau, le soleil inébranlable, et moi
tous deux saisissent son éclat lointain.
(...) Hier, appuyé sur ma canne,
Je suis revenu de la crémation des arbres.
Aujourd'hui, je cherche les cendres
pour mon phénix perdu et sans abri.
C'est peut-être toi qui m'as suivi,
ce n'était peut-être que mon ombre.
Même si les hommes chanceux de mon pays
manquent d'étoiles dans les cieux, manquent d'ombres sur la terre
ils accueillent toutes les étoiles
qui ornent leur ciel dévasté.
Ô mon ami, mon seul ami,
transformez votre angoisse en constellations7 !

Beauté

Ta voix est comme une fille du village vert le plus éloigné 
dont la haute et gracieuse charpente est connue des pins des montagnes
Ta voix est comme une fille qui, au crépuscule,
se baignera dans les claires sources du ciel sous l'ombrelle de la lune
qui, à l'aube, rapporte à la maison un pot de pure lumière
qui boira gorgée à gorgée du fleuve du soleil
Ta voix est comme une fille du village vert le plus éloigné
qui porte un bracelet de cheville forgé avec les chants d'un ruisseau
qui porte une boucle d'oreille filée par la pluie chuchotante
qui porte un collier tissé avec la soie d'une cascade
qui ornent le jardin du soleil de leurs fleurs d'amour multicolores -
et tu es aussi belle que ta voix

Grand talent !

Mon lien avec le soleil est rompu et dans l'étendue infinie de la mort
J'ai perdu le chemin de la vérité pour la vie
Mais pas de problème, je continue à grimper l'échelle
Pour que je puisse allumer ma propre lampe impressionnante
Sur les pages poussiéreuses de l'histoire
je parle avec calcul j'écris avec calcul
Je nourris ma précieuse colombe de conscience, assis dans la cage de la démocratie selon les époques.
Je tiens les rênes de mon esprit agité dans l'étable confinée de la courtoisie et des belles paroles,
Pour que mon esprit reste dans les limites de la coutume. 
j'ai beaucoup de talent,
Mot à mot, j'ai mémorisé le livre de Dale Carnegie, Comment se faire des amis .
Et je sais bien comment dire à la fille la plus laide de la ville,
"Tout mon amour est pour vous ... tu es la plus belle de toute." 
Je parle avec calcul.
Même quand le chien du voisin m'aboie dessus, je n'atteins pas un rocher,
Quand le chien du voisin m'aboie dessus,
J'enlève mon chapeau de dignité et dis de la voix la plus douce,
« Viens, toutou, je t'attendais ! 
Dans la rue, quand je rencontre un ours,
dis-je avec un sourire idiot, "Tellement content de vous voir !"
Et si l'âne qui porte le fardeau, tend son oreille vers moi,
Je plisse mon visage dans une profonde réflexion,
Et dis,"Tu as raison, j'étais en train de penser à la même chose!"

J'ai un grand talent, et après 50 ans d'expérience,
J'ai trouvé le chemin du succès.
Il faut lâcher un peu sa dignité,et manger le pain selon les temps. 
j'ai beaucoup de talent, Dieu merci!
L'Organisation internationale des migrations
M'a donné un tel nom, un nom encore plus long qu'Avicenne.
J'ai un grand talent. En 50 ans j'ai appris,
Comment tout calculer.
Je ne marche sur les pieds de personne,
Je ne partage rien avec ces super seigneurs de la guerre.
Je l'ai appris au cours des 50 dernières années8.

Lacs de verdure

Quand tu ouvres les yeux
Le monde entier verdoie
Je ne sais,
Peut-être tes yeux
Sont-ils des lacs
Descendus du vert royaume des dieux.

Parween Pazhwak9

L'arbre et moi

Quand j'étais petite mon père a planté un arbre
Dans la cour rien que pour moi.
L'arbre était un amandier
Avec des feuilles toutes vertes avec des fleurs toutes blanches
Comme un symbole de paix
Toute la journée, toute la nuit.
J'ai arrosé l'arbre
Il m'a donné la fraîcheur
Nous voulions être pour toujours amis et ensemble.

Mais un jour mon Père a dit : "Tu dois dire au revoir à l'arbre
Adieu le ciel au revoir les oiseaux au revoir le soleil
Parce que la guerre a commencé
Il n'y aura plus de paix plus de plaisir
Juste les bruits du pistolet.
Je suis allée à l'arbre :"Je suis impuissante à voler."
L'arbre n'a pas pleuré "tu n'es pas la seule...
Mais nous devons rester avec la terre avec notre propre belle terre
Toi par le cœur moi par la main.
j'étais si timide il était si haut.

Que s'est-il passé avec mon arbre ?
Avec mon propre arbre de petite sœur?
Peut-être qu'il a brûlé avec une bombe ?
Peut-être qu'il a été détruit avec une fusée?
Peut-être qu'il a simplement été coupé en morceaux
Avec une hache effrayante ?

Va-t'en le désespoir allez-vous-en les ténèbres !
Je suis sûre que mon arbre est sain et sauf
Ses feuilles donnent l'oxygène pour le ciel enfumé
Ses branches donnent des amandes douces aux orphelins affamés
Qui essaient d'être avec la terre par le cœur et à la main.
J'espère que je serai de retour
Et verrai mon arbre grandir et libre. 

Que le vent t'emporte

Ferme tes yeux,
Et souhaite que le vent t'emporte...
Au pays du foin et du jeu
Au temps du rire et Hourra !
Dans la journée tout ensoleillée et lumineuse
Dans le chemin tout vert et large
Dans la mer pleine de ballons et de cerfs-volants
Dans les arbres pleins de pommes toute mûres
Dans l'air tout vrai et bon
Dans l'île de ton enfance
Ferme tes yeux
Et souhaite que le vent t'emporte
Hâte !
Le vent ne peut pas attendre et rester
Dépêchez -vous ...

Confession

Ô ! Raisin doux
Accroché à la plus haute vigne
De mon espoir
tu n'es pas acide
Ma main est courte !

Entretien avec un enfant afghan

-Enfant afghan, tu sais ce que signifie la guerre ?
-La guerre c'est la vie j'ai dix ans
Cela fait dix ans qu'il y a la guerre. 
-Enfant afghan, tu sais ce que veut dire bombarder ?
-C'est comme la pluie qui tombe du ciel. 
-Enfant afghan, tu sais ce qu'est un tank ?
-J'ai roulé dans un
Vous voulez savoir quelle est la différence entre un moteur blindé et un char ? 
-Enfant afghan, tu sais ce qu'est une fusée ?
-Il a un son comme un sifflet,je l'ai entendu plusieurs fois. 
-Et la grenade à main ?
-Une est tombée dans mon quartier la nuit dernière. 
-Et des balles, des cartouches ?
-Es-tu en train de te moquer de moi ? Qui ne les connaît pas ! 
-Enfant afghan, tu sais ce que signifie la paix ?
_Un rêve en or qui ne se réalise jamais. 
-Enfant afghan, savez-vous à quoi ressemble un blé ?
-Celle qui ne pousse que dans les champs ? -Oui et les champs ?
-Je ne sais pas où ils sont. 
-Enfant afghan, sais-tu à quoi ressemble un avenir radieux ?
-J'en ai marre des histoires racontées par les femmes âgées. 
-Et que sais-tu de l'enfance ?
-Oh ma chérie, je pense que tu viens des terres où l'on vit longtemps !
Je n'aurai peut-être pas le temps aussi longtemps
J'ai déjà été un enfant au cours des dix dernières années,
Et adulte, et je suis tombé, je suis vieux aussi !

ARABE PRE ISLAMIQUE

Abū Kabīr al-Hudhalī 10

Zuhayra...

Zuhayra ! A la vieillesse échappe-t-on ?
Ou n'est-t-il point de voie vers jeunesse qui fuit ?
Jeunesse a perdu ton père, fors son souvenir ;
Étonne-toi donc de l'action du temps, admire !
Zuhayra ! Malheur à toi ! Qu'a donc ma tête ?
Plus jeunesse elle perd, plus couleur elle prend,
Exécrable ! Partie, sa gaîté !
Désormais chenu,
Raie des cheveux incendiée, rognures grisâtres !
Privé je suis de ce que tu sais ! Désormais
Ma personne à ses frères est objet de dégoût !
(...) O malheureux que je suis ! La voie d'un vieillard ?
La blancheur de ta face ? Pour la terre rougeâtre !

'Ibn Al-Labbâna11

À la coupe et aux lèvres...

À la coupe et aux lèvres d'une bouche fraîche et souriante,
L'amant affligé puise sa consolation !
Va de bon matin trouver la vierge et la jarre emplie de vin
Et dans le même temps triomphe des deux sceaux !
Alors jouis, dans la béatitude, de tes désirs, car c'est advenu le temps
Où s'ordonne le bonheur comme les perles du collier

Qays ibn al-Mulawwah12

Ils dirent : « Si tu le veux...

Ils dirent : « Si tu le veux, tu peux loin d'elle retrouver la joie. »
Je dis : « Ce n'est guère mon souhait. »
Son amour grandit dans mon coeur
En dépit du blâme, il n'accepte de s'achever.

Éloignement, passion, nostalgie et tremblement,
Tu ne réussis pas à diminuer la distance, ni moi à m'accompagner.
Comme un oisillon serré dans la main d'un enfant
Qui ressent l'amertume de la mort tandis que l'enfant joue
Dépourvu de raison l'enfant ne peut s'apitoyer,
Dépourvu de plume l'oisillon ne peut s'envoler,
J'ai connu les chemins qui mènent vers mille visages.
Toutefois, sans cœur où donc aller ?

Tamîn ibn Muqbil13

Deux temps marquent...

Deux temps marquent l'éternité : en l'un je meurs,
En l'autre j'œuvre pour vivre.
Les deux sont inscrits dans les tablettes de mon destin.
La vie est heureuse et la mort reposante.
Lorsque je ne serai plus, pleure-moi selon mes mérites
et blâme la vie. Toute vie est un tourment.
Douce serait la vie si l'homme était une pierre
Close sur elle-même au passage des évènements.

Abou Nouwas 14

Vin clairet de jarre...

Vin clairet de jarre, Soleil de nuit noire, Larme à la paupière,
Vin du Paradis !
Au soleil d'antan, D'un jaune safran, Pupille persan
Qu'en geôle on a mis !
J'ai vu un barbare Venu d'un village. Il frappa la jarre :
d'un seul coup s'y prit.
Lors jaillit le vin : De face il nous vient. En jarre il devient
Épuisé, vieilli.
Il répand l'odeur De l'absinthe en fleur, Pour les francs-buveurs,
Au ciel obscurci15.

Langue devant laquelle...

Langue devant laquelle les autres langues s'agenouillent
Un amant la rendit énigmatique et ineffable.

Dans le trouble de la nuit elle prit son amphore.
De son visage émanait une lumière scintillante inondant la demeure.
De la bouche de la cruche s'écoula une boisson pure,
Rien qu'à la caresser des yeux, on somnole.
Elle est plus fine et plus subtile que l'eau
Qui recule à sa vue,
Toutefois avec la lumière elle aurait fusionné
Jusqu'à engendrer lueurs et clarté.
Elle tourna autour des jeunes éphèbes,
Devant eux le temps s'est incliné.

Du vin de son regard elle t'abreuve et avec ses mains
Elle te verse du vin, tu es par deux fois enivré.
J'ai deux plaisirs à la fois, mes compagnons n'en ont qu'un
Nul autre que moi ne jouit de pareille singularité.

Récusant ma perception j'exprime
Ce que produit ma seule pensée.
Je me surprends à composer une chose,
Une par la parole, multiple par le sens.
Habitant l'imaginaire, si je désire
L'atteindre, j'atteins un lieu obscur
Comme si je poursuivais la beauté d'une chose
Qui est devant moi, et pourtant elle n'est pas visible.

Mieux vaut fille que garçon

J'ai quitté les filles pour les garçons
et, pour le vin vieux, j'ai laissé l'eau claire.
Loin du droit chemin j'ai pris sans façon
celui du péché, car je préfère.
J'ai coupé les rênes et sans remords.
J'ai enlevé la bride avec les mors

Me voilà tombé amoureux d'un faon
coquet, qui massacre la langue arabe.
Brillant comme clair de lune son front
chasse les ténèbres de la nuit noire.
Il n'aime porter chemise en coton
ni manteau en de poil du nomade arabe.

Il s'habille court sur ses fines hanches
mais ses vêtements ont de langues manches.
Ses pieds sont chaussés et sous son manteau,
le riche brocart offre sa devine.
Il part en compagne et monte à l'assaut
décoche ses flèches et ses javelines
Il cache l'ardeur de la guerre et son
attitude au feu n'est que magnanime

Je suis ignorant en comparaison
d'un jeune garçon ou d'une gamine
Pourtant comment confondre une chienne qui eut
ses règles chaque mois et mit bas chaque année,
avec celui que je vois à la dérobée:
Je voudrais tant qu'il vînt me rendre mon salut!
Je lui laisse voir toutes mes pensées,
sans peur du mouzzin et l'imam non plus.

'Imrou al-Qays 16

Les ténèbres du soir...

Les ténèbres du soir elle éclaire,
Comme la lampe d'un ermite en son refuge nocturne solitaire. 

C'est pour sa pareille, qu'à l'âge de raison, le jeune homme éprouve une tendre passion,
Quand, entre robe de fillette et chemise de jeune fille, elle est devenue nubile, 

L'homme mûr de ses aveugles amours de jeunesse finit par faire son deuil,
Mais mon cœur de sa folle passion pour toi refuse de faire le sien.

Souvent, des opiniâtres querelleurs, me prodiguant
De bons conseils te regardant, j'ai repoussé les blâmes incessants !

Souvent, la nuit, comme de la mer les vagues, a déferlé ses voiles
Sur moi, lestées de maint tourment pour m'éprouver. 

Je lui disais, chaque fois, quand, allongeant l'échine, 
Le poitrail déjà lointain, elle faisait voir sa croupe, enfin : 
Ô longue nuit ! Ne te dissiperas-tu donc pas afin que resplendisse
Le matin, encore que le matin ne vaille pas mieux que toi ! 

Quelle formidable nuit que toi dans les étoiles paraissent 
Comme attachées aux roches sourdes avec des cordes en lin17 !

Abû ash-Shamaqmaq18

Pourrai-je un jour...

Pourrai-je un jour utiliser
Une autre monture que mes pauvres pieds ?
Pour un départ, les gens font venir leurs coursiers
Mais moi, infortuné, je n'ai que mes souliers.

J'ai l'espace pour demeure
Le ciel ou la nuée pour toiture.
Si en ma demeure tu désires pénétrer
Et que nulle porte ne s'ouvre
C'est que nul battement de porte
Ne s'étend de la terre aux nuées.

Ma maigreur est telle que mon ombre par le soleil fut effacée
Et ma ruine si terrible que licite devint ma dévoration par mes petits
S'il est loisible de voir l'impossible, je suis moi-même cet impossible.

Abû Tammâm at-Tâ 'i19

Confinée toujours...

Confinée toujours dans un même lieu
Toute personne perd de son éclat. Pour te renouveler, exile-toi.
Le soleil est aimé par les gens
Parce qu'il ne peut régner éternellement.

Le charme de la rime enchanteresse, séductrice et rusée,
Ressemble à la magie de la blancheur parmi les couleurs.
Vulve est la poésie qui ne se prête, singulière,
Qu'à celui qui, toute la nuit, ne cesse de la pénétrer.

ARMÉNIENNE

Charles Aznavour20

Écrire

Rêver, chercher, apprendre
N'avoir que l'écriture et pour Maître et pour Dieu
Tendre à la perfection à s'en crever les yeux
Choquer l'ordre établi pour imposer ses vues
Pourfendre

Choisir, saisir, comprendre
Remettre son travail cent fois sur le métier
Salir la toile vierge et pour mieux la souiller
Faire hurler, sans pudeur, tous ces espaces nus
Surprendre

Traverser les brouillards de l'imagination
Déguiser le réel de lambeaux d'abstraction
Désenchaîner le trait par mille variations

Tuons les habitudes
Changer, créer, détruire

Pour briser les structures à jamais révolues
Prendre les contre-pieds de tout ce qu'on a lu
S'investir dans son Œuvre à Coeur et corps veux-Tu.

Écrire ta peur de sueur, d'angoisse
Souffrant d'une étrange langueur
Qui s'estompe parfois mais qui refait bientôt surface
Usé de sa morale en jouant sur les mœurs
Et les idées du temps

Imposer sa vision des choses et des gens
Quitte à être pourtant maudit
Aller jusqu'au scandale

Capter de son sujet la moindre variation

Explorer sans relâche et la forme et le fond
Et puis l'œuvre achevée, tout remettre en question
Déchiré d'inquiétude

Souffrir, maudire
Réduire l'art à sa volonté brûlante d'énergie
Donner aux sujets morts comme un semblant de vie
Et lâchant ses démons sur la page engourdie
Écrire, Écrire
Écrire comme on parle et on crie
Il nous restera ça
Il nous restera ça

Meguerditch Bechigtachlian21

Printemps

Oh ! Comme il souffle, doux et frais,
Le petit vent des matins,
Sur les fleurs en les choyant,
Et les cheveux de la jeune fille délicate.
Mais tu n'es pas le petit vent de ma patrie,
Va-t-en, passe, loin de mon cœur.

Oh ! avec quelle douceur et quelle ardeur
Tu chantes, petit oiseau, à travers les arbres !
Les heures d'amour dans la forêt
Furent charmées par ta voix.
Mais tu n'es pas un oisillon de ma patrie,
Va-t-en, chante hors de mon cœur.

Oh ! quel murmure tu rends,
Rivière limpide et tranquille !
Dans ton miroir pur
Se regardent la rose et la jeune fille.
Mais tu n'es pas la rivière de ma patrie
Va-t-en, coule hors de mon cœur.

Bien que l'oiseau et le vent d'Arménie
Volent au-dessus des ruines,
Bien que la rivière d'Arménie
Rampe, trouble, parmi les cyprès,
Ce sont les soupirs de la patrie,
Qu'ils ne s'éloignent pas de mon cœur !

Hovhannès Chiraz22

Ma mère

Ma mère est la porte de notre espoir,
Ma mère est la chapelle de notre maison,
Ma mère est notre berceau,
Ma mère est la forteresse de notre maison,
Ma mère est notre père et mère,
Ma mère est notre vassale et notre maître,
Ma mère est la simple de notre maison,
Ma mère est la majestueuse de notre maison,
Ma mère est la sans domicile de notre maison,
Ma mère est notre nid d'aigle,
Ma mère est la servante de notre maison,
Ma mère est la souveraine de notre maison,
Ma mère est le petit de notre maison,
Ma mère est notre pain et notre eau,
Ma mère est l'incapable de notre maison,
Ma mère est notre médicament et notre remède,
Ma mère est la fontaine de notre maison,
Ma mère est notre sœur assoiffée,
Ma mère est l'insomniaque de notre maison,
Ma mère est notre doux sommeil,
Ma mère est la bougie de notre maison,
Ma mère est notre soleil resplendissant.
Ah ! ma mère est la Sis de notre maison, 
Elle est l'Ararat de notre maison, ma mère,

Ma mère, c'est notre pain, ma mère,
C'est le Dieu de notre maison, ma mère23

Avétik Issahakian24

Abou-Lala Mahari

Cependant qu'indolente et flottante, la caravane marchait sans un regard en arrière
Abou-Lala, avec délices, l'incitait à avancer sur la route sans borne.
"Va, va toujours, ma caravane, ne recule pas, marche, ne t'arrête jamais."
Ainsi parlait en son cœur le grand poète Abou-Mahari.
"Va vers les lieux solitaires, libre, vierge et sainte, va vers l'horizon d'émeraude,
Vole vers le soleil, va et brûle mon cœur au cœur de l'astre du jour.
Ah ! je n'ai pas pour vous un adieu, tombe de mon père, berceau de ma mère;
Mon âme vous est hostile, ô toit paternel, souvenirs de mon enfance !
Mes amis, ah ! je les ai bien aimés , ainsi que tous les hommes -- proches ou lointains,
Mais cet amour s'est mué en vipère qui répand en mon cœur le poison de la haine.
Oui, aujourd'hui je déteste ce qu'autrefois j'aimais, je hais ce que mes yeux ont vu en l'âme des humains.
En cette âme je n'ai trouvé que vilenies et mille frivolités,
Mais c'est la mille et unième que je fuis, la basse hypocrisie
Qui donne au visage le masque de l'innocence, qui le ceint, qui l'orne de l'auréole des saints.
O langage humain qui, sous un voile d'azur, un baiser parfumé,
Sais si bien cacher les ténèbres de l'âme, as-tu jamais eu une parole sincère ?
O parler humain, trait empoisonné, tu as percé mon cœur en y versant du miel.
Un vrai ciel a sombré en mon âme, un éblouissant soleil s'y et éteint, en même temps que l'espérance et la foi !
Va vers le désert, ô ma caravane, vers la solitude sauvage, vers l'aride désert,
Ne t'arrête que devant les rochers roussis, près des bêtes féroces.
Que ma tente se dresse sur des nids de serpents,
Là je serai plus à l'abri, plus à l'aise, plus heureux qu'au milieu des humains,
Que sur la trompeuse poitrine de l'ami contre laquelle avec tant d'effusion j'appuyais ma tête,
Que contre ce cœur envahi par le mensonge !
Aussi longtemps que le soleil incendiera l'altier front du Sinaï
Et que, pareils aux vagues, les jaunes sables du désert s'élèveront en tourbillon,
Je fuirai la face de mes semblables, de mes compagnons, de mes proches.
Je n'aspirerai pas à voir, à entendre leurs actions si perverses, si vaines et si fausses..."
Une dernière fois le regard d'Abou-Mahari alla vers Bagdad assoupie.
Avec répulsion il se retourna et étreignit l'encolure velue du chameau,
Caressa tendrement la bête, colla ses lèves chaudes à ses yeux limpides,
Tandis que de ses paupières s'échappaient deux brûlantes... larmes...
Calme, d'un pas égal, la caravane avançait, au doux tintement des clochettes.
Elle s'en allait vers le désert, vers des lieux non souillés, vers les inconnus lointains25.

Sylva Kapoutikian26

Des yeux couleur cendre

La terre d'Arménie ne m'a pas donné la beauté d'Arménienne des anciens
Ni taille haute, ni regard de feu,
Ni les flammes dociles des tresses
Elle ne m'a gratifiée que d'une paire d'yeux profonds couleur cendre
Emplis de la cendre de ses siècles,
Avec au fond les braises de l'inspiration.

Kamar Katiba27

Berceuse

Viens mon rossignol, laisse notre jardin,
Apporte par tes chants le sommeil à mon fils.
Mais il pleure...toi, rossignol,ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas devenir prêtre.

Viens, petit moineau, laisse les champs les prés,
Berce mon fils, il a sommeil
Mais il pleure...Toi moineau, ne viens pas
Mon enfant ne veut pas devenir moine

Laisse, petit pigeon, tes petits et ton nid,
Par tes roucoulements, donne à mon fils un doux sommeil.
Mais il pleure...petit pigeon,ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas porter le deuil.

Habile pie, aimant l'argent
Par tes propos de gains apporte le sommeil à mon enfant
Mais il pleure... pie, ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas devenir un crève-la-faim.

Laisse ton gibier, viens, vaillant faucon ;
C'est ton chant peut-être que veut mon enfant.
Dès l'arrivée du faucon, Mon enfant s'est assoupi.
Au son des chants guerriers, Il s'est endormi.

Korène de Lusignan28

Si l'on me donnait un diadème...

Si l'on me donnait un diadème et un sceptre de diamants
Je te les offrirais Arménie, reine des reines !
Si l'on me donnait un manteau de pourpre éclatant,
Je le jetterais sur ton épaule, ô ma mère, pauvre Arménie !
Si l'on me donnait le feu et la flamme des jours de ma jeunesse,
C'est à toi Arménie, que j'offrirais mon enthousiasme et mon extase !
Si l'on me donnait le cours infini des siècles, je te donnerais
Avec amour, Arménie, ma vie et mon âme !
Si l'on me donnait le cœur et l'amour d'une vierge
Au teint de lis, c'est toi que je choisirais, Arménie,
Unique amour de mon cœur !
Si l'on me donnait une couronne de perles pour mon front,
Je préférerais, Arménie, une larme de tes yeux !
Si l'on me donnait une fière liberté absolue, je préférerais encore,
Arménie, ton sublime esclavage !
Si l'on me donnait pour patrie la superbe Europe, c'est toi
Arménie que je demanderais avec toutes tes douleurs !
S'il m'était donné de choisir le séjour de mon cœur, je dirais
Que tes ruines, Arménie, sont le paradis pour moi !
Si l'on me donnait la lyre aux cordes de flamme de l'ange,
C'est toi, Arménie, que je chanterais de tout mon souffle ! 

Missak Manouchian29

Les couturières

Elles sont là, devant la machine à coudre
Au premier rayon du soleil
Et coudront jusqu'à la nuit sans relâche,
S'abreuvant de jour jusqu'à tomber de sommeil.

La commande presse, le travail exige du soin,
Il le faut, sinon, c'est le chômage demain
Qui met à la merci de la misère
Dont le spectre est toujours là, montrant ses crocs.

Ainsi besognent-elles pour un patron
Qui les exploite sans pitié.
Révoltée ou soumise, la couturière
Chaque jour pose en tremblant son coeur sur son pain.

Elles sont les prisonnières malheureuses
De la fortune des grandes villes luxueuses
Et leur vie goutte à goutte s'écoule
Dans la coupe de la richesse et des orgies.

Voici les vieilles sans secours dont les mains sèchent,
Les veuves lasses qui ont tout perdu dans la vie,
Les jeunes filles adorables aux rêves sans mesure,
Qui sans se plaindre, engloutissent leur vie dans la misère.

Le travail sacré s'est changé en monstre.
On s'épuise à vouloir lui échapper
Mais sa griffe est puissante, elle asservit
Lentemant les âmes les plus nobles.

Lorque je vois cette lumière dans vos yeux
Qui s'éteint peu à peu pour un morceau de pain,
O mes soeurs, j'ai le coeur qui saigne, je voudrais
De votre épaule ôter le fardeau de la vie.

Et je serre les dents, et je serre les poings,
Haine et vengeance au fond du coeur...
Versez en moi votre souffrance, pour ranimer la flamme
Sacrée, de la lutte contre l'exploitation.

Dernière lettre

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps.
Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie.
Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine.
Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis.
Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.
Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M

Maro Markarian30

Qui murmure mon nom ?

Qui murmure mon nom,
Qui me nomme au loin, qui demande
Où j'habite ?... Moi qui n'ai jamais rien
Gagné, moi qui me sui toujours perdue,
Moi qui dans l'inconnu, dans les déserts
De glace ai répandu la dilution,
Toute la poussière de mon trèsor astral...
Qui soudain d'un seul coup
Me restitue le tout
Dans une gangue d elumière ?
Qui murmure mon nom, au loin,
Qui donc demande où je demeure ?

Nersès le Grâcieux31

Devinettes

C'est une immense église,
Sans poutres ni colonnes ;
Les lampes y demeurent
sans cordes suspendues ;
Les lustres qui l'éclairent
D'huile sont dépourvus
(le ciel)

L'enfant que je vis naître
Mourut le même jour ;
Il fut enseveli ;
Du jour il resurgit
Encor plus éclatant.
(le soleil)

Je vis une eau pareille au feu
Plus radieuse que la lune,
Plus tourmentée que la mer rouge ;
Elle a fait mourir bien des gens.
(le vin)

Sayat Nova32

Toi, tu es ma Houri

Toi, tu es ma Houri qui embrouilles,
Car tu m'a embrouillé en me trompant, ô gracieuse
En Orient en Occident au Nord et au Sud
Il n'y a pas élancée comme toi, ô gracieuse
Beaucoup d'hommes à ta vue deviennent fous
Viens, ma fleur, sois bonne, je veux danser face à toi,
Avec le mantour, le kamantcha, le tambour, ô gracieuse,
Sayat-Nova a dit : je désire passionnément,
Mourir pour toi (qu'on m'assassine)
Je souhaite , bien-aimée, que tu viennes sur ma tombe
Verser une poignée de terre, ô gracieuse !

Sargavak de Berdak33

Éloge du raisin

Ton vin, dès qu'il en tâte,
Le va-nu-pieds se prend pour le maître du monde ;
L'aveugle dans la nuit depuis son premier jour,
Décrit nombre de villes que jamais il n'a vues ;
Et le muet, soudain sa langue se délie,
il jase, gai luron, plus bavard que la pie !
Dans les églises, les prêtres te sacrifient ;
Tu guéris les malades, tu absous les pécheurs...

Ô Sargavak !
A t'abreuver de vin qu'as-tu jamais gagné ?
Pourquoi aimes-tu tellement le vin .
Pourquoi cette louange ardente ?
- Non, ce n'est pas le vin que j'aime :
Je suis l'esclave du Calice ;
C'est lui seul que je loue, lumière de nos âmes.

William Saroyan34

Je voudrais voir...

Je voudrais voir quelle force au monde peut détruire cette race,
cette petite tribu de gens sans importance
dont l'histoire est terminée,
dont les guerres ont été perdues,
dont les structures se sont écroulées,
dont la littérature n'est plus lue,
la musique n'est pas écoutée,
et dont les prières ne sont pas exaucées.

Allez-y, détruisez l'Arménie !
Voyez si vous pouvez le faire.
Envoyez-les dans le désert.
Laissez-les sans pain ni eau.
Brûlez leurs maisons et leurs églises...

Voyez alors s'ils ne riront pas de nouveau,
voyez s'ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau.
Car il suffirait que deux d'entre eux se
rencontrent, n'importe où dans le monde,
pour qu'ils créent une nouvelle Arménie. "

Yéghiché Tcharentz35

Message

Une lumière nouvelle s'est levée sur le monde36,
Qui a apporté ce soleil ?
Voilà un soleil d'or,
Avec son rayonnement de feu !
Dès l'aurore indécise,
Monté sur son palefroi,
Sur le nouveau monde et l'homme,
Il répand sa joyeuse lumière !
Qui a apporté cette vive lumière,
Oh ! qui l'a allumée de sa main, qui ?
Rouge flamboyante, accueillante,
Cette lumière de diamant.
Courbé sous la charge de la vie,
Soumis à un rude esclavage,
Petit ruisseau de sagesse,
Symphonie de folie,
Durant tant d'années, tant de siècles,
Tu as été témoin de l'irréfutable...
Sur les rives ténébreuses,
Où se trouvait notre vieille patrie,
N'y avait-il vraiment pas un fleuve abondant
Qui, de l'esclavage incommunicable,
Coulant, verdâtre, de siècle en siècle,
Dans cette obscurité insensée,
Transportait cette aurore ?
Oh ! cette aurore lointaine
Cachée depuis longtemps dans ses eaux,
Oh ! souhaitant ce lointain...
Courbé sous la charge de la vie,
Esprit impuissant, ruisseau de feu...

J'aime

De ma savoureuse Arménie - soleil au goût j'aime le mot,
Du luth ancien chante-grief, - pleur au toucher j'aime le son,
Semblance-sang ô floraison, - de nos roses j'aime l'encens,
Et des filles de Naïri, - vive et posée j'aime la danse !

J'aime nos cieux nocturnes, nos eaux limpides, notre lac clair
Notre soleil l'été, notre grand vent l'hiver, souffle dément,
Nos masures perdues de nuit, aux murs noircis privés d'attraits,
Et de nos antiques cités, - millénaire j'aime la pierre !

Où que je sois je n'oublierai, à chante-voix les plaintes nôtres,
Je n'oublierai, faits à la main, prière sue les livres nôtres,
Si longuement que trouent mon cœur, à perte-sang ces plaies les nôtres,
O l'esseulée ensanglantée, toi l'Arménie, j'aime, je t'aime !

Pour mon cœur hanté de tendresse, il n'est pas d'autres songeries...
Que ce soit Nareg ou Koutchak, il n'est pas fronts plus rayonnants,
Cours le monde et vois l'Ararat : il n'est pas de faîte plus pur,
Chemin de gloire illimité, - de mon Massis j'aime la cime !

Vahan Tekeyan37

Dans le jardin de l'enfance

Au milieu d'un parc princier et très ancien,
Élancé près du miroir immaculé d'un bassin,
Comme la statue d'un petit archer souriant, plein d'espérance,
Je vois au loin l'espoir de mon enfance...

A part moi, très peu de gens, à peine ma vieille maman,
Connaissent le chemin qui mène à ce jardin abandonné,
Où nous allons encore, quelquefois, chacun son jour,
Ramasser les vieilles fleurs séchées...

Mais plus que les parterres de roses méprisées,
Ce qui m'attire là-bas et que personne ne sait,
C'est la petite statue de mon espoir, debout près de l'eau claire,
Et sous la voûte du ciel pur.

Avec mon enfance, je me rappelle, c'était un joli bambin,
J'aimais le tapement vigoureux de ses pieds au moment du départ,
L'accentuant ainsi de tout son corps vers le ciel,
Comme s'il était lui-même la flèche de son arc...

Allongeant le bras en avant, dans la petite paume de sa main
On aurait cru qu'il cachait les clés inconnues de mon avenir,
Le cellier infini de mon avenir,
Dont je distinguais les portes au loin.

Elle est encore là-bas dans ce jardin, la belle statue de mon espoir,
Elancée près du miroir immaculé du bassin,
Où je vais encore, quelquefois, admirer sa taille, entourée
Des mauvaises herbes humides de mes souvenirs...

Renversé, c'est l'ange tombé du zénith,
C'est la flèche qui est revenue, n'ayant pas encore touché le ciel,
Et l'avenir, dont il avait les clés,
Reste à présent dans le passé, abandonné...

Moi j'ai aimé 38

Moi j'ai aimé, mais aucun
de ceux que j'ai aimés n'a su
combien je l'ai aimé...
Qui sait lire dans le cœur ?

Mes plus grandes joies,
Mes plus vifs chagrins,
ceux qui les ont inspirés, hélas,
ne me connaissent plus maintenant !

Mon amour, semble-t-il, était ce fleuve,
Dont le flot continu,
Venait des neiges de la montagne,
Et que la montagne n'a pas vu.

Mon amour était, semble-t-il, cette porte
Par où personne n'est entré.
Couvert de fleurs,
Mon amour était un jardin secret.

Et si certains ont vu mon amour
Dans le ciel infini,
Ils l'ont vu comme une fumée,
mais n'en ont pas vu le feu...

Moi j'ai aimé, mais aucun
de ceux que j'ai aimés n'a su
combien je l'ai aimé...
Qui sait lire dans le cœur ?

BIRMANE

Nga Ba39

Printemps

Printemps arrêté
transformé en hirondelles

Hirondelles encagées
transformées en clameurs

Clameurs étouffées
transformées en paysages

Paysages masqués
transformés en yeux

Yeux clos, de force
transformés en rêves

Rêves issus de notre sommeil empêché
transformés en cartes

Cartes détruites
transformées en mémoires

Mémoires effacées
transformées en chemins

Chemins bloqués
transformés en jambes supplémentaires

Jambes brisées
transformées en ailes

Ailes coupées
transformées en brise

Brise capturée
transformée en tempête

Tempête emprisonnée
donne vie à des descendants

Ces descendants sont
nos souffles
des hirondelles
entrant et sortant de nos narines
à chacune de nos respirations

princesse Hlain Thei Khaung Tin40

J'étais jadis...

J'étais jadis comme un brin de jasmin, et je te faisais confiance
À présent, je suis une guirlande de jasmin épanouie.
J'aspire à la paix comme les rameaux fleuris cherchent une ombre. (...)
Mon amour à moi est enraciné comme une plante
Tel le jasmin, il s'épanouit éternellement.
Tu es comme un bouton de jasmin tout près de moi mais inaccessible.

reine Shin Min41

Pendant la mousson...

Pendant la mousson, temps de saison, nuages pourpres, bleus
Accumulés comme des lianes sur les arbres, nuages extraordinaires ;
Quand je vois leur beauté multicolore,
Je pense à mon amour, loin de ma vue depuis si longtemps (...)
Mon âme est terne et sans force, triste et oppressée

Tin Moe42

A Thakin Kodaw Hmaing

Avec son toupet
sur la tête
avec sa veste de guingois
aux brandebourgs lui barrant la poitrine
avec son écharpe de coton écru
avec son longyi bleu indigo
en torsades, le Pandit
Hmaing est un homme droit
plein de sagesse
avec son esprit
avec son courage il s'est
insurgé pour la Révolution.

Aujourd'hui, les abeilles...

Aujourd'hui, les abeilles
ne peuvent faire leur miel, les champignons
ne peuvent sortir de terre (...)
Quand les sanglots cesseront-ils
Et quand les cloches sonneront-elles à nouveau
Avec douceur ?

Tourner la page

Au milieu des gratte-ciel qui se cognent aux nuages
des klaxons qui cornent "pipi pipie"

des trains bondés "ta sisie"
d'un monde toujours de son temps
dans sa folle précipitation
il me faut trouver un endroit où résider
et me sentir en sécurité

Me trouver un pot d'eau fraîche
celui des villages
posé là au bord du chemin pour les arrivants
ye kyan sin

Est-ce maintenant seulement
gagné par les infirmités
que je dois entreprendre
cet interminable trajet (...).

A Bagan au milieu des temples
en ruines les essieux
des chariots à bœufs
font entendre leurs grincements

Ici les moteurs toussent
 en démarrant, je suis arrivé par les airs
 au seuil du continent nord-américain (...)

- Que l'eau vous lave de vos péchés43.

Padethayaza44

Une famille en pleine santé

Quand tombe la pluie
Mari et femme en haillons
Et turban rouge, rouge
Heureux de se tenir par la main
S'en vont aux champs.

Trempés de pluie
Ils portent leurs enfants nus
Le paysan mord sa pipe
En labourant son lopin
L'eau gargouille dans les trous à crabes.

Grenouilles et escargots, manioc et ipomée
Boutons et feuilles de coccinia
Sont jetés ensemble dans le panier d'osier

Quand ils rentrent au foyer
La racine de turpeth douce et juteuse
Et les légumes des champs sont cuits sans tarder
Le riz étuvé, le curry est bien fort
Et le poivre de Shan piquant à souhait.

Blottis les enfants se penchent et portent à leur bouche
Chaque poignée de nourriture. Quelle petite famille pleine de santé !

Ngwe Tayi45

Les vagues vont et viennent...

Les vagues vont et viennent sans cesse
Leur chant agréable, clair et doux se perd dans le vent léger
Je me demande sans cesse
D'où viennent ces vers que tu chantes si agréablement. (...)

Malgré la misère des pêcheurs et les suicides d'amoureux malheureux,
Tes vers sont toujours doux, clairs, agréables à entendre.
Ton chant nous donne le courage de vivre en ce monde46

Khet Thi47

Ils tirent dans la tête...

Ils tirent dans la tête, mais la révolution vient du cœur
Je ne veux pas être un héros,
je ne veux pas être un martyr, je ne veux pas être un faible,
je ne veux pas être un simple d'esprit.
Je ne veux pas accepter l'injustice.
S'il me reste une minute à vivre,
alors je veux être en paix avec ma conscience

Min Thu Wun48

U Po Ne (Jour de Jeûne)

Un bol à offrandes laqué rouge
 En équilibre sur la tête
 Mère s'en ira au monastère
 Demain au matin
 Je veux t'accompagner,
 T'accompagner là-bas, mère
 Tout seul j'ai le cafard
 Mais, mon petit, si tu fais le fou
 Et te montres bruyant au monastère
 Le Supérieur sera contrarié
 Et, c'est sûr, on te corrigera
 C'est promis, mère
 Je ne m'agiterai ni ne pousserai des cris
 Mais je serai quelqu'un d'aussi digne et posé
 Qu'un moine qui récite son chapelet
 S'il te plaît, laisse moi t'accompagner, laisse-moi t'accompagner49.

Le Chat et la Souris

Le petit chat examine les étoiles
Cependant que la petite souris se tapit dans le coin
Une à une, ses larmes tombent, flic-flac...
Ne pleure pas, ma petite souris,
L'astrologue s'est trompé dans ses calculs
Et hop! Dans les coins et recoins
Du vieil hangar à riz
S'en est allée, s'en est allée.

Shin Thila Wuntha50

Plaisirs du Mal

La braise ardente semble le rubis qui embellit l'oreille
Le serpent semble une ceinture de fleurs d'or
Considère les plaisirs sensuels comme des fautes sans bénéfices
Qui ne provoquent que malaise et dégoût
Et rappellent les niaiseries de l'imbécile
Efforce-toi avec méthode
D'échapper à l'emprise du mal.

CAMBODGIENNE

Chath pierSath51

Mère, je rentre à la maison

Seize ans, c'est trop long.
Mère, je rentre à la maison
pour recueillir tes ossements.
La guerre qui a tué ton mari est terminée.
Les champs de la mort sont terminés.
Je me réveille encore au son des armes.
Seize ans, c'est trop long.
Je suis à la maison, mère, pour recueillir tes ossements.
Ta voix me dit de courir :

Cours, cours, cours jusqu'à ce que tu sois libre,
Cours aussi loin que tu peux.
Quand la guerre sera terminée,
Nous nous retrouverons.

Je te cherche dans les endroits que j'ai connus...
Le buisson de bambou et les manguiers que tu avais fait pousser.
Il n'y a rien d'autre que du désespoir dans tes ossements.

Fuis les pelotons d'exécution des hommes sans cœur.
Va là où tu seras en sécurité.
Tu grandiras pour avoir des jours meilleurs.
Reviens quand tu pourras.
Nous nous retrouverons bientôt.

Chea Chheng52

Minuit

Minuit
Poitrine étroite
En souci des possibles
Vais-je parvenir à enfanter
Et bâtir
Le navire de ma vie ?
Minuit
Nature animée de calme
Dans le sommeil demeure l'animal
Trêve, repos paisible
Nulle Peur
Je ne me préoccupe guère
De cette poitrine blessée.

Isolée, solitaire
A la croisée
Quel itinéraire emprunter ?

Khun Srun53

La vie du rônier

On abandonne ses graines à la terre des rizières,
Il n'est pas surveillé comme les potagers,
Il n'est pas dorloté comme les fleurs des barrières,
Et il est pour cela de tous apprécié.

Il se dresse, solitaire, de nombreuses années,
De sa silhouette il marque les limites des champs,
Il ne plie ni ne rompt sous la force du vent,
Mais il n' est pas l'objet des éloges des hommes.

Quand enfin il déploie sa svelte silhouette,
On lui coupe ses palmes et l'on cueille ses fruits,
On prélève sa sève le matin et le soir,
Le rônier est heureux d'offrir tout ce qu'il a.

Un rônier dont la taille dépasse les autres,
Se trouve à la merci de la foudre implacable,
Son grand corps décharné se dresse dans le vide,
Et il arrête alors de donner son nectar.

Et même s'il parvient à surpasser l'épreuve,
Quand la foudre a frappé mais qu'il survit encore,
Tous ceux qui l'aperçoivent tremblent en le voyant,
Disent qu'il porte malheur et ne l'approchent plus.

Makhali-Phal54

Chant de Paix (1937)


Mon coeur tranquille glorifie mon peuple. Moi, fille de khmers, Je bondis comme un gaur hautain et libre à la tête de son troupeau, Comme un grand gaur royal qui a entendu, sous les lianes de la jungle, l'appel du Bouddha, Et qui s'offre à lui avec toute sa harde. Je repousse les morts Et je chante aujourd'hui les vivants Parce qu'ils sont devenus aussi grands que les morts, Je chante aujourd'hui la Vie.

Un peuple qui n'a pour armée Que sa Pensée et sa Foi ! Oui, c'est un peuple qui n'est en vérité qu'une âme. Un tout petit peuple très pauvre et très doux, La pauvreté même et la douceur sur Terre, Un petit peuple généreux et confiant, Blessé, à travers les siècles, par les yeux obliques de ses voisins, En vérité, un petit peuple très simple et très humble.

Ô Europe, Ô Asie, Tristes soeurs jumelles, où allez-vous? Ô Europe, Ô Asie, tristes soeurs jumelles, Les dieux s'étendent pour mourir sur des gongs plats. Ô Europe, Ô Asie, tristes soeurs jumelles, Quelles âmes illimitées, liées, Buffles ou hommes, meuglent au poteau de sacrifice ?

Ô peuple d'âmes, petit peuple khmer, Toi qui as tiré de la cendre la seule Parole Qui puisse délivrer le monde Et tarir les pleurs des dieux, des génies et des hommes, Des démons, des bêtes, des arbres et des pierres; Ô mon peuple khmer, Ô mon peuple d'âmes Toi qui ne fabriques pas d'idoles Selon l'esprit des autres nations. Va, mon peuple, marche sans crainte entre l'Orient et l'Occident, Répands, peuple khmer, sur l'Europe, Répands, peuple khmer, sur l'Asie, La lumière après laquelle soupirent Les paradis et les enfers. Lumière de la Paix et de l'Amour bouddhiques, Que tous les êtres soient heureux !


Six Poésies sanskrites du Cambodge

La Fortune des rois, volage par nature, brillait çà et là comme l'éclair, jusqu'à ce que la belle qu'est l'Automne arrive, sans nuages, le temps de sa campagne militaire.

    • *

Bien qu'il ne les touche point, le pollen des manguiers et des arbustes campaka, dispersé par le vent qui balaie les jardins, fait pleurer les yeux des voyageurs. Bien qu'elle ne les touchait même pas, la poussière dispersée par son armée faisait pleurer les yeux des femmes de ses ennemis, tel un écran de fumée produit par le feu de sa vaillance.

    • *

Dehors, accroupi, l'amour de ta vie est là à gratter le sol ; tes amies ne mangent plus, les yeux gonflés à cause de leurs pleurs incessants ; les perroquets dans leurs cages ont abandonné tout rire et bavardage. Et toi, tu en es là ! Cesse, cruelle, tout de suite ta colère !

    • *

"Abandonnez votre colère, cessez vos querelles ; une fois parti, l'âge charmant ne revient plus" : telles étaient les pensées de l'Amour que les coucous leur portaient en message : alors les femmes reprenaient leurs jeux.

    • *

Elle regarda la beauté des nuages dans le ciel avec des larmes aux yeux, elle commença, avec peine, à me dire "Si tu voyages, mon amour...", elle saisit le pan de mon vêtement, elle gratta le sol, --- et ce qu'elle fit ensuite, la parole ne peut le décrire.

    • *

Mourir est la loi des humains, la vie n'est qu'une déviation de la nature, disent les sages. Qu'une créature demeure un seul instant vivante, c'est là déjà une faveur.
Depuis peu, tu habites loin, dans le monde au-delà ; je suivrai tes pas ! Me voici déçue par le destin : pour des êtres incarnés, tout plaisir repose en toi.

CHINOISE

Bai Juyi55

Et les soirs...

Et les soirs et les matins se succédant, ma beauté se ternit.
À ma porte, les voitures et les chevaux ne vinrent plus,
Et devenue vieille, j'épousai un marchand.
Mon mari aimait le gain et s'absentait le cœur léger.
Il faisait commerce de thé et parcourait les montagnes et les océans.
J'étais seule dans cette barque, amarrée sans but à la rive,
Et autour d'elle, la lune étalait son éclat et les eaux coulaient impassibles.
Dans la nuit profonde, soudain, je me rappelai mes années de jeunesse,
Et dans mon rêve subit, mes larmes coulèrent, rougissant mes yeux.

Chang-Wou-Kien56

Notre bateau glisse

Notre bateau glisse sur le fleuve calme.
Au-delà du verger qui borde la rive,
Je regarde les montagnes bleues et les nuages blancs.

Mon amie sommeille, la main dans l'eau.
Un papillon s'est glissé sur son épaule,
A battu des ailes et puis s'est envolé

Longuement je l'ai suivi des yeux.
Il se dirigeait vers les montagnes de Tchang-nân

Était-ce un papillon, ou le rêve que venait de faire mon amie ?

Canon des poèmes (Confucius57 )

Plante grimpante...

Plante grimpante dans le champ,
Sa rosée perle abondamment.
Il y a là belle personne,
Front radieux, charmant visage.
Cette rencontre inattendue
S'accorde bien à mon désir.

Les soldats

Quelle plante n'est déjà jaunie ?
Quel jour n'avons-nous à marcher ?
Quel homme qui ne soit appelé
Pour défendre les quatre frontières ?

Quelle plante n'est déjà noircie ?
Quel homme qui ne soit pitoyable ?
Hélas sur nous, pauvre soldats,
Qui ne sommes plus traités en hommes !

Sommes-nous rhinocéros ou tigres,
Pour que nous parcourions ces déserts ?
Hélas sur nous, pauvre soldats,
Ni jour ni nuit n'avons repos !

Les renards à la toison dense
Parcourent ces épaisses prairies ;
Nos chariots couverts de clayons
Vont à pas lents sur la grand-route

Du Fu58

Ascension

Parmi le vent violent,
sous le ciel haut,
les singes hurlent leur tristesse.
Au-dessus des sables blancs de l'îlot,
un oiseau vole en tournant.
Feuilles sans fin, soufflées par le vent,
ils tombent en sifflant des arbres,
et l'immense Yangtze court tumultueusement.
Loin de chez moi
Je pleure l'automne triste
et les voyages me semblent interminables.
Vieil homme, seul accablé de maladie,
Je monte sur cette terrasse.
Les épreuves, les difficultés et l'angoisse,
ils ont rendu mes cheveux gris abondants.
Et je ne peux pas m'empêcher de mettre mon verre de côté.

Désolation pour Chentao

Au début de l'hiver, les braves des dix préfectures
Ont rougi de leur sang le marais de Chentao.
Dans cette vaste plaine sous le ciel bleu plus un cri de guerre :
Quarante mille justes ont péri le même jour.

Les barbares, de retour avec leurs flèches baignées de sang,
Accompagnent leurs chants barbares de beuveries au cœur de la cité.
Les habitants lèvent la tête vers le nord pour se lamenter,
Jour et nuit ils guettent l'arrivée des armées impériales.

L'implacable destin

Avide de conquêtes et de gloire,
L'Empereur n'entend pas les cris de son peuple.
Malgré la vaillance des femmes qui ont saisi la bêche
Et qui dirigent la charrue,
Les ronces envahissent les champs.

Partout, la guerre !
Partout le carnage !
La vie d'un homme ne compte pas plus que celle d'un chien.
Devant les vieillards mêmes,
Les soldats osent dire ce qu'ils pensent.

« Jamais de trêve, murmurent-ils,
Jamais de quiétude !
Demain les collecteurs viendront collecter l'impôt,
Et nous n'avons rien !
Nous en sommes arrivés à tenir pour une calamité
La naissance d'un fils,
Car nous savons qu'il sera tué à la fleur de l'âge
Et qu'il ira se désagréger parmi les Cent plantes. »

Sur le rivage de la mer d'azur,
Vous n'avez donc jamais vu, prince,
Les ossements des milliers de braves sans sépulture ?
Dans le vent d'Est,
Vous n'avez donc jamais entendu les plaintes
De leurs mânes inconsolés ?

Nuit au pavillon

Fin de l'année, les jours raccourcissent
Jusqu'aux bords de l'horizon, givre, neige, nuits froides
 La cinquième veille sonne aux accents tristes des tambours et des cors
 Reflets des étoiles et de la Voie Lactée dans les Trois Passes
. Dans les maisons isolées on entend les sanglots après les combats
Un peu partout pêcheurs, bûcherons chantent des chants sauvages
Dragon couché et Cheval cabré sont devenus terre jaune
Des affaires humaines, les nouvelles ne parviennent plus59 . .

Fraîcheur du soir

Au coucher du soleil, il fait bon monter en bateau et pousser au large ;
Un vent léger s'élève, qui fait onduler au loin la surface de l'eau.
Bientôt des bambous touffus invitent les promeneurs à s'arrêter sous leur feuillage ;
Les nénuphars, en cet endroit tranquille, embaument l'air de leurs fraîches senteurs.
Les jeunes seigneurs s'occupent à préparer des boissons glacées,
Tandis que de belles filles lavent les racines savoureuses de la fleur qu'elles ont sous les yeux.
Pour moi, j'aperçois un nuage sombre qui déjà plane au-dessus de nos têtes ;
La pluie va me fournir, sans doute, un sujet pour faire quelques vers.

Réflexions

Le monde se compose d'êtres qui travaillent
en divers lieux, selon diverses coutumes
tous sont entraînés dans cette lutte pour la vie
et peu à peu, tous se ressentent de cet esclavage
sans dignités, l'obscurité n'apporterait pas l'amertume
sans richesses, la pauvreté pourrait se supporter
l'éternité n'est qu'un immense ossuaire
les gens qui nous entourent chantent et pleurent tour à tour
depuis que je suis arrivé dans les gorges du Yangzi
trois ans se sont écoulés comme se consume une chandelle
ma santé défaillant, j'ai accepté de m'arrêter ici
les honneurs, les insultes, me laissent indifférent
un rang officiel m'est proposé au soir de ma vie
je me nourris encore toujours de riz décortiqué
je vis dans une chaumière à l'est de la Cité de pierre
je ramasse des simples dans les ravins des collines du nord
mon attention concentrée sur les racines sous le gel et la neige
qu'ai-je besoin d'aspirer à un feuillage luxuriant ?
ceci n'a rien à voir avec un plan prémédité
j'ai toujours recherché la solitude et l'obscurité
un homme sage est droit comme un arc tendu
un homme pervers est sinueux comme un hameçon
droit ou sinueux, que m'importe
je me chauffe au soleil en attendant les bûcherons et les pêcheurs

Lao-Tseu60

Connaître

Sans franchir le seuil
Connaître l'univers.

Sans regarder par la fenêtre
Entrevoir la voie du ciel.

Le plus loin on se rend
Moins on connaît.

Ainsi le sage
Connaît
Sans avoir besoin de bouger
Comprend
Sans avoir besoin de regarder
Accomplit
Sans avoir besoin d'agir.

Li Po61 (Li Taï Po)

Croyez-moi

Impatient de devenir un pur esprit,
le bouddhiste Song-Tsè
a édifié un bûcher sur le mont Kin-hoa
et s'est brûlé vif.
De son vivant, Ngan-Ki a pu atteindre le Pong-laï.
Ces personnages connaissent une félicité parfaite.

Soit ! Mais quel mal ils se sont donné !
Vous pouvez arriver au même résultat
en allant chercher dans votre cave
une bouteille de bon vin.

La rose rouge

L'épouse d'un guerrier est assise près de sa fenêtre.
Le cœur lourd, elle brode une rose blanche
sur un coussin de soie.
Elle s'est piqué le doigt !
Son sang coule sur la rose blanche,
qui devient une rose rouge.

Sa pensée va retrouver son bien-aimé qui est à la guerre
et dont le sang rougit peut-être la neige.

Elle entend le galop d'un cheval...
Son bien aimé arrive-t-il enfin ?

Ce n'est que son cœur qui bat à grands coups dans sa poitrine...
Elle se penche davantage sur le coussin,
et elle brode d'argent ses larmes qui entourent la rose rouge.

Je prends un flacon de vin
Et je vais le boire parmi les fleurs,
Nous sommes toujours trois,
Comptant mon ombre et mon amie la lune

Heureusement que la lune ne sait pas boire
Et que mon ombre n'a jamais soif 

Quand je chante, la lune m'écoute en silence.
Quand je danse, mon ombre danse aussi.

Après tout festin les convives se séparent.
Je ne connais pas cette tristesse
Lorsque je regagne ma demeure,
La lune m'accompagne et mon ombre me suit.

En écoutant Chun, le moine bouddhiste, jouant de son luth

Le moine de Shu, portant son luth vert-de-soie,
descend tout doucement la Montagne Sourcil ;
d'un seul son de ses cordes il évoque pour moi
la voix des pins de mon aimable Mongolie.
Je l'entends dans le ruisseau purifiant ;
je l'entends dans les froides clochettes d'argent ;
et j'aime l'évoquer aux jours de gel
et quand l'automne nuageux brouille le ciel au printemps
Les herbes de Yen sont bleues comme le jade,
les mûriers de Ch'in courbent leur réseau vert ;
mais mon cœur est comme un petit enfant malade puisque mon amour ne reviendra plus. Reste dans mon cœur !
Et toi, Printemps moqueur, que ton vent de folie n'entr'ouvre plus les rideaux de soie de mon lit...

La belle lune se lève sur la Montagne du Ciel
dans un brouillard immatériel tissé de nuage et de rêve ;
et les guerriers qui s'en vont à la mêlée, avant d'entrer dans le fourbe défilé,
frissonnent.
Car ils savent bien que personne ne revient des illustres combats...
Et ils donnent une brève pensée à celles qui soupirent et prient devant les autels, là-bas.
Mes cheveux tombaient encor sur mon cou.
Je cueillais du sumac devant ma porte ouverte

quand tu vins, sur un cheval de bambou,
caracolant, et me jetas des prunes vertes,
ô mon petit amant !
C'était, tu sais, dans une ruelle de Ch'ang-kan...
À quatorze ans, je devins ta femme et, quoique bien heureuse dans mon âme, j'étais encore timide et peureuse.
Mais, à quinze ans, je compris que l'amour survit à l'humaine poussière ;
tu étais la Prison, la Tour...
Moi, j'étais la joyeuse, soumise prisonnière.
J'avais seize ans quand tu partis
pour un voyage aux Gorges de Ch'u-t'ang.
Vint la Cinquième Lune, je portais du riz,
chaque jour, aux dieux de la montagne,
et des nénuphars tressés en couronnes...
et je cherchais la trace de tes pas
sur la mousse et sous les feuilles de l'automne.
Et maintenant que tu ne reviens pas et que c'est la Huitième Lune,
et que les libellules vont, deux par deux, saphir et flamme sur l'eau brune...
je ne crois plus aux dieux.

La route de Chou

Hélas, quel danger ! hélas, quelle hauteur !
La route de Chou est plus difficile que l'escalade du ciel bleu
Le pays fut fondé en des temps très anciens
Il y a plus de quarante mille ans
Les hommes de l'Empire du Milieu ne sont pas allés peupler ces régions
Un sentier vertigineux partait vers l'étoile du soir, à l'Ouest
Traçant une ligne droite sur les hauteurs du mont Ngo-mei
La terre s'est écroulée, la montagne s'est effondrée sur les hommes forts d'antan
On construisit alors un chemin d'échelles et de ponts accrochés les uns aux autres
Vois ! tout en haut la bannière, là où les six dragons encerclent le soleil !
Vois ! tout en bas le torrent qui tourne et se tord en vagues écumantes !...
Le voyageur grimpe jusqu'aux étoiles
Il s'arrête, il regarde vers le haut, vers le bas
Puis, se tenant la poitrine, il s'assied et pousse un long soupir

Les noix blanches

Sur des manches de tulle rouge, on les voit clairement ;
Mais sur un plat de jade blanc, elles sont comme inexistantes.
Et l'on dirait qu'un vieux moine, en cessant de prier,
Devant ses poignets a posé des perles de cristal.

Épitaphe du bon distillateur

Le vieux Ki, chez les ombres,
Distille encore son vin
Mais là, point de Li Po !
Son vin, à qui le vendre ?

Lǐ Qīng Zhào 62

Sur l'air "la taille mince des danseuses du sud"

Un oiseau d'or brille dans ma haute chevelure. 
Mes sourcils se froncent dans la brume légère du printemps. 
La beauté du lotus s'étiole  dans le pavillon embaumé. 
Sur le dessin du paravent s'estompent  les chaînes étagées des montagnes. 

L'arrivée de l'aube glace le rebord de la fenêtre. 
La boucle en forme de cœur sur ma taille reste fermée. 
Mes larmes, emportant le fard,  ont taché la soie de ma robe. 
Mon amour, quand seras-tu de retour ? 

Sur l'air « perplexité de la belle »

Les fleurs de prunier se font rares, 
Mais leur parfum est toujours dense. 
Roses et blanches, elles s'entassent comme neige, sous les branches, 
Cette année encore, j'irai trop tard les contempler. 

Dans le pavillon sur la rivière, dans la salle des danses et des chants, 
Du regard je suis les eaux qui courent vers le ciel. 
Dans le jour qui s'éternise
Je m'appuie sur la balustrade de jade vert, au rideau à peine relevé. 

Enfin les invités sont là : 
Les coupes anciennes sont remplies jusqu'au bord. 
Nos chants résonnent sur les eaux voilées de lambeaux de brume. 
Remplissons les vases de rameaux du printemps ! 

Allons les cueillir tout de suite, 
N'attendons pas, au Pavillon de l'Ouest, 
Que la flûte des Barbares annonce la chute des fleurs ! 

Les Fleurs du cannelier

Il y a quinze ans, sous la lune épanouie,
Nous avons composé des poèmes célébrant les fleurs.
Aujourd'hui, la lune et les fleurs sont les mêmes,
Mais comment retrouver les émois de jadis ?

Crépuscule

Crépuscule.
Soudain, des rafales
De vent et de pluie
Emportent la chaleur accablante du jour.

Elle cesse de jouer 
De sa flûte de bambou
Et devant son miroir
Serti de fleurs d'eau
Légèrement, elle se farde.

La soie écarlate de sa robe
Est tellement fine 
Qu'on voit luire sa peau
Blanche comme la neige
Lisse et parfumée.

Souriante, elle se tourne
Vers son bien-aimé :
Ce soir, 
Derrière le rideau de mousseline,
La natte et les oreillers
Seront frais 

Lo Kong-cheng63

Au bord du ruisseau

Jadis épris des sites grandioses,
Je n'aime plus que mon humble retraite.
Devant ma porte, un cheveu de ruisseau
Devient pour moi la vue sur les Cinq Lacs.

Ouang-Tsi64

À un ami

Pour vous remercier de m'avoir fait connaître cette poésie Tsu-Kia-Liang,
Je vous envoie ces quelques feuilles de thé
Elles proviennent du monastère de la montagne Ou-ï
C'est le plus illustre thé de l'Empire,
comme vous en êtes le plus illustre lettré

Prenez délicatement un vase bleu de Ni-hing.
Remplissez-le d'eau de neige recueillie au lever du soleil
sur le versant oriental de la montagne Sou-chan,
Placez ce vase sur un feu de brindilles d'érable
ramassées sur de la mousse très ancienne,
et laissez-l'y jusqu'à ce que l'eau commence à rire.
Alors, versez-la dans une tasse de Huen-tcha
où vous aurez mis quelques feuilles de ce thé,
Recouvrez la tasse d'un morceau de soie blanche tissée à Houa-chan,
Et attendez que se répande dans votre chambre
un parfum comparable à celui d'un jardin de Foun-lo.
Portez la tasse à vos lèvres, puis fermez les yeux.
Vous serez dans le Paradis

Po Kiu-yi 65

Don d'un miroir

On le dit pareil à la brillante lune ;
Je dis qu'il vaut mieux que la brillante lune.
La brillante lune est sans doute brillante
Mais au cours d'un an elle a douze lacunes !

Le vaut-elle donc ? En son coffret de jade,
il est, comme l'eau, éternellement pur.
Quand le ciel est noir et la lune éclipsée,
Rond et clair, lui seul ne se repose pas.

J'ai honte d'y voir mon vieux et laid visage,
Mes cheveux noués que parsème la neige.
Mieux vaut le donner à quelque plus jeune homme ;
Il y réfléchira ses soyeux cheveux noirs.

Puisque vous allez en un pays lointain,
Prenez ce miroir en présent d'adieu.

princesse Si-Kiun66

Chanson d'un triste automne

Ma famille m'a mariée
A l'autre bout du monde.
A l'étranger m'a confiée,
Au lointain roi barbare.

La tente ronde est mon palais,
Les murs y sont de feutre.
La viande crue est mon seul mets,
Ma boisson le koumys.

Sans fin je rêve à ma patrie,
Mon cœur en est meurtri.
Que ne suis-je le cygne jaune,
Qui retourne au pays !

Sin K'i-tsi67

Sur l'air « La cueillette du mûrier »

Dans ma jeunesse, ignorant le goût de la mélancolie,
Je cherchais l'inspiration dans les hauts pavillons ;
Dans les hauts pavillons,
Composais de beaux vers, très, très mélancoliques.

Maintenant que je n'ignore plus rien du goût de la mélancolie,
Je ne veux plus rien en dire
Plus rien en dire,
Sinon : « Le temps est frais ; quel bel automne ! »

Souen Yeou-tch'e68

En passant près d'une tombe antique

Auprès d'une eau sauvage, dans la montagne déserte, je salue en passant une tombe et sa chapelle ;
La verte humidité de la brise des pins imprègne mes vêtements.
Le voyageur voudrait connaître les secrets du passé ;
Les statues restent muettes face au soleil couchant.

Tchang Tsi69

Chanson de la femme fidèle

Vous saviez bien que j'avais un mari,
Et vous m'avez donné deux perles lumineuses...
Touchée de l'affection qui s'y exprime,
Je les ai cousues à ma blouse de soie rouge.
(...)
Je sais bien que votre dessein est pur comme un rayon venu du ciel ;
Mais, au service d'un mari, j'ai juré d'être en la vie et la mort.
Je vous rends les perles brillantes ; deux larmes, semblables, les accompagnent.
Pourquoi ne vous ai-je connu quand je n'avais pas encore de mari ?

Au milieu du fleuve

Dans mon bateau, que le fleuve balance,
sans brusquerie, je me promène, tant que le jour dure.
Et je regarde l'ombre des montagnes, dans l'eau.
Je n'ai plus d'autre amour, que l'amour du vin,
et ma tasse pleine est en face de moi.

Aussi mon coeur est rempli de gaîté.

Autrefois, il y avait dans mon coeur plus de mille chagrins ;
mais à présent :
Je regarde l'ombre des montagnes, dans l'eau.

La feuille blanche

La tête dans ma main, je regarde la feuille de papier, qui reste blanche, depuis que je suis là.
Je regarde aussi l'encre, qui se sèche, au bout de mon pinceau.

Mon esprit semble dormir ; est-ce que mon esprit ne se réveillera pas ?
Je m'en vais, dans la plaine toute chaude de soleil, et je laisse mes mains traîner sur les hautes herbes.
D'un côté, je vois la forêt veloutée ; de l'autre, les montagnes gracieuses, poudrées par la neige, et à qui le soleil met du rouge.

Et je regarde aussi la marche lente des nuages, et je m'en reviens, poursuivi par l'éclat de rire des corbeaux,
M'asseoir, devant la feuille de papier, qui demeure blanche, sous mon pinceau.

Wang Fan Chih70

Observant l'ombre, elle n'est pas non-existante
Observant le corps, il n'est que vrai vide
Cueillir ainsi la lune au fond de l'eau
C'est comme saisir le vent soufflant dans l'arbre

L'empereur Wou des Leang71

Le solitaire

Vois les arbres qui poussent sur la butte ;
Ils ont chacun leur coeur particulier.
Vois les oiseaux qui chantent dans le bois ;
ils ont chacun leur propre mélodie.
Vois les poissons qui nagent dans le fleuve ;
celui-ci flotte et l'autre plonge.
Vertigineuse est la hauteur des monts,
Insondable la profondeur des eaux !
L'apparence des choses est facile à voir ;
Mais leur principe est d'une quête ardue.

CORÉENNE

Hwang Jin-Yi72

Deux sijos

Rivière bleue de la montagne verte...

Rivière bleue de la montagne verte ! Ne te vante pas de t'en aller si vite !
Puisqu'une fois arrivé à la mer, il est difficile de revenir,
Que ne veux-tu pas rester un instant ici alors que la montagne est remplie de clairs de lune !

Si seulement je pouvais...

Oh, si seulement je pouvais capturer l'essence de cette profonde nuit d'hiver
Et la plier doucement dans le souffle d'une courtepointe printanière,
Puis la dérouler tendrement la nuit du retour de mon bien-aimé.

Hwang Ji-U73

L'oiseau quitte son nid

L'oiseau
Ne laisse pas de trace.
La branche où il se pose,
Son poids ne la fait vibrer qu'un instant.
L'oiseau,
Au lieu où il se pose
N'imprime pas son ombre.
Quand il a volé dans la profondeur de l'air,
Aucun signe dans l'espace que son corps a traversé.
Est-ce qu'il n'a pas de passé ?
L'oiseau, son corps même
N'a pas d'odeur.
Quand il pleure, pas une goutte de larme ;
Un corps vide pour toujours, sans rien posséder, un seul corps vide.
Mais il sait voler à contre-courant de la vitesse puissante du vent.
Depuis sa naissance, dans le vent cruel
Faisant face avec ses yeux rêveurs,
Il perçoit dans le vent la forêt de demain.

Verbes

Faire. Commencer. Commencer à bouger. Venir. Venir. Venir.
Venir. Entendre le bruit. Retentir. Coucher par terre. Contacter.
Encercler. Faire coucher par terre. Atteindre.
Être fouetté. Atteindre. Laisser couler. Couler. Percer. Tomber. Briser.
Voler. Être renversé. Creuser. Distordre.
Être projeté. Evanouir. Faire ouvrir. Être jeté et tomber. Trembler.
Déchirer. Diviser. Disloquer. Être coupé. Jaillir. Jaillir et coller. Se f
endre. S'ouvrir. Casser. Détruire. Démolir. Attraper. Être allongé. Ramper. Ramper et sortir. Être attrapé. Lever les mains. Être attaché.
Aller.
Aller par contrainte. Ah ! Maintenant tout s'en va.
À quel trou de terre rouge dormirai-je ? Fermer les yeux. Ouvrir les
yeux. Être en vie. Être. Être. Être. Être en vie. Vivre.

Nuée de mouches

la mouche n'est pas un papillon
la mouche vient se coller plus vite qu'elle ne vole
se colle pour survivre
au mur au plafond au sol
aux lèvres de l'homme
à l'excrément de l'homme
à la nourriture de l'homme
en se collant elle crache elle insulte elle s'excuse bassement
dans le dos elle crache de nouveau insulte
lâche urine et fiente
puis soudain s'envole
elle revient plus vite qu'elle ne vole se coller
au mur au plafond au sol
aux lèvres à l'excrément à la nourriture74

Yi Sang75

Stèle en Papier

Je suis de grande taille
mes jambes sont longues
ma jambe gauche me fait souffrir

Ma femme est de petite taille
ses jambes sont courtes
sa jambe droite la fait souffrir

Avec ma jambe droite et sa jambe gauche
celles qui sont bien portantes
nous déambulons comme une personne

Ah Ah ce couple ne peut s'épauler
Ils deviennent boiteux

Le monde sans accroc se transforme en hôpital
assurément il y a toujours
une absence de maladie qui attend d'être soignée76.

Perspective à vol de corneille, Poème n° 1

Treize enfants courent vers la route.
(Comme chemin l'impasse convient.)
L'enfant n° 1 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 2 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 3 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 4 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 5 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 6 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 7 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 8 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 9 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 10 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 11 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 12 dit qu'il a peur.
L'enfant n° 13 dit qu'il a peur.
Les treize enfants ne sont que des enfants qui font peur et des enfants qui ont peur.
(Toute autre raison mieux vaut qu'elle n'existe pas.)
Égal que parmi eux un soit celui qui fait peur.
Égal que parmi eux deux soient ceux qui font peur.
Égal que parmi eux deux enfants soient ceux qui ont peur.
Égal que parmi eux un soit celui qui a peur.
(Comme chemin une rue aussi convient.)
Égal si treize enfants ne courent pas vers la route77.

Qui es-tu?

Qui es-tu ?
Toi qui est venu, devant la porte, tu frappes à la porte et tu cries d'ouvrir.
Qui me cherche ? un cœur, non.
J'ignore qui tu es, mais t'abandonner, je ne le supporterais pas. 
Je veux ouvrir la porte, mais elle est fermée dedans.
Dehors, tu ne sais pas qu'elle est fermée.
Dedans, ouvrir ne sert à rien, que ferais-je ?
Es-tu né devant une porte délibérément close ? 

Kim Soo-Yong78

Sur le Juste Milieu

Mais sur la révolution souillée de ce matin
Enfin j'ai un mot à dire
Et c'est seulement dans mon journal intime
Pas ailleurs que je puis le chercher

Ici il n'y a pas de Juste Milieu
(Ici encore une fois je réfléchis
J'entends le bruit du marteau
De l'autre côté du poulailler dans la nouvelle maison)

Il existe chez les Soviets
(En entendant dans le poulailler les volailles
Caqueter sur leurs œufs, j'avale ma salive desséchée
Il faut que je prenne une cigarette)

Ce qui existe ici n'est pas le Juste Milieu mais
Le piétinement, la paix morte, l'inertie, l'inaction,
(En fait après « pas le Juste Milieu mais », les mots
« La réaction » sont rayés,
Et à la fin il faut supprimer cette ligne :
« Chacun porte le masque qui convient »)

J'ai dit que je devais prendre une cigarette mais
À vrai dire je n'ai pas eu le temps de fumer
J'ai écrit sans arrêt jusqu'ici.
Mon journal intime est écrit en caractères japonais

L'écriture des quelques mots en caractères chinois est très
tremblante
Évidemment c'est à cause de ce gouvernement si
malfaisant, si réactionnaire
Qui porte un masque.

Kim Sowol79

Fleurs d'Azalées

Lorsque, agacé de me voir,
Vous me quitterez,
Sans un mot, doucement, je me résignerai à vous laisser partir.

Les fleurs d'azalée
Du mon Yak à Yeongbyeon
Je me résignerai à les répandre sur votre chemin.

A chacun de vos pas,
S'il vous plaît, partez en foulant légèrement
Ces fleurs éparses.

Lorsque, agacé de me voir,
Vous me quitterez,
Dussé-je en mourir, je me résignerai à ne pas pleurer80.

Ko Un81

Ressusciter

Je vis
Pour que tu reviennes dans ce monde, toi qui es mort

Les jarres se cassent quelquefois
Des fruits tombent du plaqueminier sauvage

Je vis
Je vis aussi
Pour accueillir un long hiver avec toi
Quand je t'aurai fait renaître

Hier il a neigé
Je me suis avancé et je t'ai appelé
Et tu reviens, vivant
Et tu restes avec moi

Sur la terre que recouvre la première neige
Tu es là, dans ce monde
La neige tombe entre aujourd'hui et hier

Je vis pour cela

Je vis pour cela

Poème de l'Himalya

Aucun oiseau ne s'envole au hasard. Bien qu'il vole dans le ciel où rien ne pourrait s'accrocher à ses ailes, il existe sans conteste une route que suit l'oiseau dans le ciel infini.
Même dans les plus profondes montagnes sous le ciel les oiseaux ont leurs chemins d'oiseaux et les animaux de toutes sortes ont chacun leurs propres passages secrets.
Sans doute avons-nous dû apprendre des créatures vivantes de la nature.
Depuis la nuit des temps, les hommes en sont venus eux aussi à trouver leur propre chemin.
Peut-être suis-je parti moi aussi parce qu'il existait un tel chemin. Le chemin était sans fin vers l'endroit où souffle un éternel vent d'ouest, même hier, même aujourd'hui.

Un chemin de nuit

Clair de lune qui coulez à flots sur le col de Jangsu
Brillez-vous pour quelqu'un ou pour personne ?
Personne ne vous pose la question
Je vous la pose, moi,
Clair de lune argenté
Mais c'est votre silence qui ouvre les portes fermées avec fracas

Han Yong-un82

Le silence de l'amour

L'amour est parti, mon amour est parti.
S'arrachant à moi, il s'est engagé dans un petit sentier qui s'étend dans la splendeur d'une colline verdoyante dans la forêt teintée d'automne.
Notre dernier serment, brillant et durable comme une fleur en mosaïque d'or,
s'est transformé en cendres froides, emportées par le souffle du vent.
Je me souviens de son premier baiser poignant et son souvenir a opéré un changement complet dans mon destin, puis retiré dans l'oubli.
Je n'entends pas sa douce voix ;

Je ne vois pas sa belle apparence.
Puisqu'il est humain d'aimer, moi, alerte, je redoutais une séparation à venir lors de notre rencontre.
La séparation est venue si soudainement qu'elle m'a brisé le cœur avec un chagrin renouvelé.
Pourtant, je sais que la séparation ne peut détruire notre amour que si elle fait couler des larmes inutiles.
Je préférerais transférer la poussée de ce chagrin sur le sommet de l'espoir.
Comme nous redoutons de nous séparer lorsque nous nous rencontrons, nous promettons de nous revoir lorsque nous nous séparerons.
Bien que mon amour soit parti, je ne suis pas séparé de l'amour ;
une chanson d'amour infatigable enveloppe le silence de l'amour.

La séparation crée la beauté

La séparation crée la beauté.
Il n'y a pas de beauté à se séparer dans l'or éphémère du matin ;
ni dans la soie noire sans couture de la nuit ;
ni dans la vie éternelle qui n'admet pas la mort ;
ni dans la magnifique fleur céleste qui ne se fane jamais.
O amour, s'il n'y a pas de séparation, je ne peux pas revenir
à la vie dans le rire après une mort en larmes.
Ô séparation !
La séparation crée la beauté.

HÉBREU BIBLIQUE

Génèse

Il y eut un soir, il y eut un matin

AU COMMENCEMENT, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.
Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut.Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ».
Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour.
Et Dieu dit : « Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu'il sépare les eaux. » Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et ce fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ».
Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.
Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu'elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : « Que la terre produise l'herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l'arbre à fruit donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi. La terre produisit l'herbe, la plante qui porte sa semence, selon son espèce, et l'arbre qui donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence.
Et Dieu vit que cela était bon.
Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour.
Et Dieu dit : « Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu'ils servent de signes pour marquer les fêtes, les jours et les années ; et qu'ils soient, au firmament du ciel, des luminaires pour éclairer la terre. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière des ténèbres.
Et Dieu vit que cela était bon.
Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.
Et Dieu dit : « Que les eaux foisonnent d'une profusion d'êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. » Dieu créa, selon leur espèce, les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et foisonnent dans les eaux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseaux qui volent.
Et Dieu vit que cela était bon.
Dieu les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez les mers, que les oiseaux se multiplient sur la terre. »
Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.
Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce.
Et Dieu vit que cela était bon.
Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu'il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.
Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait ; et voici : cela était très bon.
Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.
Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploiement. Le septième jour, Dieu avait achevé l'œuvre qu'il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l'œuvre qu'il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l'œuvre de création qu'il avait faite.

Il n'est pas bon que l'homme soit seul

Telle fut l'origine du ciel et de la terre lorsqu'ils furent créés. Lorsque le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, aucun buisson n'était encore sur la terre, aucune herbe n'avait poussé, parce que le Seigneur Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait pas d'homme pour travailler le sol. Mais une source montait de la terre et irriguait toute la surface du sol.
Alors le Seigneur Dieu modela l'homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait modelé.
Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d'arbres à l'aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Éden pour irriguer le jardin ; puis il se divisait en quatre bras. 
Le Seigneur Dieu prit l'homme et le conduisit dans le jardin d'Éden pour qu'il le travaille et le garde. Le Seigneur Dieu donna à l'homme cet ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras.
Le Seigneur Dieu dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l'homme pour voir quels noms il leur donnerait. C'étaient des êtres vivants, et l'homme donna un nom à chacun. L'homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde.
Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l'homme s'endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu'il avait prise à l'homme, il façonna une femme et il l'amena vers l'homme. L'homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l'os de mes os et la chair de ma chair ! On l'appellera femme -- Ishsha --, elle qui fut tirée de l'homme -- Ish. » À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un.
Tous les deux, l'homme et sa femme, étaient nus, et ils n'en éprouvaient aucune honte l'un devant l'autre.

Psaume 148

Vous tous, louez le Seigneur

Alléluia ! Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le dans les hauteurs.
Vous, tous ses anges, louez-le, louez-le, tous les univers.
Louez-le, soleil et lune, louez-le, tous les astres de lumière ; vous, cieux des cieux, louez-le, et les eaux des hauteurs des cieux.
Qu'ils louent le nom du Seigneur : sur son ordre ils furent créés ; c'est lui qui les posa pour toujours sous une loi qui ne passera pas.
Louez le Seigneur depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes ; feu et grêle, neige et brouillard, vent d'ouragan qui accomplis sa parole ; les arbres des vergers, tous les cèdres ; Les montagnes et toutes les collines, les bêtes sauvages et tous les troupeaux, le reptile et l'oiseau qui vole ;
les rois de la terre et tous les peuples, les princes et tous les juges de la terre ; tous les jeunes gens et jeunes filles, les vieillards comme les enfants.
Qu'ils louent le nom du Seigneur, le seul au-dessus de tout nom ; sur le ciel et sur la terre, sa splendeur : il accroît la vigueur de son peuple. Louange de tous ses fidèles, des fils d'Israël, le peuple de ses proches ! Alléluia !

Cantique des cantiques

Je suis noire, mais je suis belle

ELLE Qu'il me donne les baisers de sa bouche : meilleures que le vin sont tes amours ! Délice, l'odeur de tes parfums ; ton nom, un parfum qui s'épanche : ainsi t'aiment les jeunes filles ! Entraîne-moi : à ta suite, courons ! Le roi m'a fait entrer en ses demeures.
CHŒUR En toi, notre fête et notre joie ! Nous redirons tes amours, meilleures que le vin : il est juste de t'aimer !
ELLE Noire, je le suis, mais belle, filles de Jérusalem, pareille aux tentes de Qédar, aux tissus de Salma. Ne regardez pas à ma peau noire : c'est le soleil qui m'a brunie. Les fils de ma mère se sont fâchés contre moi : ils m'ont mise à garder les vignes. Ma vigne, la mienne, je ne l'ai pas gardée... Raconte-moi, bien-aimé de mon âme, où tu mènes paître tes brebis, où tu les couches aux heures de midi, que je n'aille plus m'égarer vers les troupeaux de tes compagnons.
CHŒUR Si tu ne le sais pas, ô belle entre les femmes, va dehors sur les traces du troupeau et mène paître tes jeunes chèvres vers les tentes des bergers.
LUI Cavale attelée aux chars de Pharaon, ainsi tu m'apparais, ô mon amie ! Quel charme, tes joues entre tes boucles, ton cou entre les perles ! Nous te ferons des boucles d'or, incrustées d'argent.
ELLE Quand le roi est dans ses enclos, mon parfum répand sa bonne odeur. Mon bien-aimé, pour moi, est un sachet de myrrhe : entre mes seins, il passera la nuit. Mon bien-aimé, pour moi, est un rameau de cypre parmi les vignes d'Enn-Guèdi.
LUI Ah ! Que tu es belle, mon amie ! Ah ! Que tu es belle : tes yeux sont des colombes !
ELLE Ah ! Que tu es beau, mon bien-aimé : tu es la grâce même ! La verdure est notre lit ; les cèdres forment les poutres de notre maison et les cyprès, nos lambris.

Livre des rois

Le Seigneur passe devant Elie

Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l'approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu'il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n'était pas dans l'ouragan ; et après l'ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n'était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d'une brise légère.
Aussitôt qu'il l'entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l'entrée de la caverne.

Livre de Job

L'homme terrassé à l'aspect du mal

Le Seigneur s'adressa à Job du milieu de la tempête et dit : As-tu un bras comme celui de Dieu, et ta voix peut-elle tonner comme la sienne ? Pare-toi donc de fierté, de grandeur, revêts-toi de splendeur et de majesté,répands les débordements de ta colère ; regarde tous les arrogants, abaisse-les ; oui, regarde tous les arrogants, terrasse-les, écrase sur place les méchants !
Vois donc Behémoth ; je l'ai fait tout comme toi. Comme le bœuf, il mange de l'herbe. Vois donc : sa force est dans ses reins, et sa vigueur dans les muscles de son ventre. Il se raidit comme un cèdre, les nerfs de ses cuisses s'entrelacent ! Ses os sont des tubes de bronze, ses membres, comme des barres de fer.
C'est lui la première des œuvres de Dieu ; son Créateur lui fournit un glaive. Les montagnes lui paient leur tribut, ainsi que toutes les bêtes sauvages qui s'y ébattent. Sous les lotus il est couché, dans le secret des roseaux et des marais. Les lotus le protègent de leur ombre, les saules de la rivière l'entourent. Voici que le fleuve grossit ; lui ne bronche pas. Le Jourdain jaillirait-il vers sa gueule, il resterait calme. C'est par les yeux qu'on va le prendre, avec des crocs, lui percer le naseau.
Et Léviathan, vas-tu le pêcher à l'hameçon, et lui serrer la langue avec une corde ? Lui passeras-tu un jonc dans le naseau, d'un crochet lui perceras-tu la mâchoire ? Va-t-il redoubler envers toi les supplications et te dire des mots tendres ? Fera-t-il alliance avec toi ? Le prendras-tu pour serviteur à vie ? Joueras-tu avec lui comme avec un oiseau, l'attacheras-tu pour tes petites filles ? Sera-t-il mis en vente par des associés, et débité entre marchands ? Cribleras-tu de dards sa peau, et sa tête, de harpons ?
Pose seulement la main sur lui : imagine la lutte, tu ne continueras pas ! Vois, la témérité est illusoire : rien qu'à son aspect, n'est-on pas terrassé ? N'est-il pas cruel dès qu'on le réveille ? Qui donc oserait me tenir tête, à moi ?

Livre d'Osée

Mon épouse infidèle, je vais la séduire

Accusez votre mère, accusez-la, car elle n'est plus ma femme, et moi, je ne suis plus son mari ! Qu'elle écarte de son visage ses prostitutions, et d'entre ses seins, ses adultères ; sinon, je la déshabille toute nue, je l'expose comme au jour de sa naissance, je la rends pareille au désert, je la réduis en terre aride et je la fais mourir de soif.
Pour ses fils je n'aurai pas de tendresse, car ils sont des fils de prostitution. Oui, leur mère s'est prostituée, celle qui les conçut s'est déshonorée quand elle disait : « Je veux courir après mes amants qui me donnent mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et ma boisson. »
C'est pourquoi je vais obstruer son chemin avec des ronces, le barrer d'une barrière : elle ne trouvera plus ses sentiers. Elle poursuivra ses amants sans les atteindre, elle les cherchera sans les trouver. Alors elle dira : « Je vais revenir à mon premier mari, car j'étais autrefois plus heureuse que maintenant. »
Elle ne savait donc pas que c'est moi qui lui avais donné le froment, le vin nouveau et l'huile fraîche, moi qui lui avais prodigué de l'argent, et l'or utilisé pour Baal ! C'est pourquoi je reviendrai, je reprendrai mon froment en sa saison et mon vin nouveau en son temps ; j'arracherai ma laine et mon lin dont elle couvrait sa nudité. Alors je dévoilerai sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne la délivrera de ma main. Je mettrai fin à toute sa gaieté, à ses fêtes, ses nouvelles lunes, ses sabbats, et à toutes ses solennités. Je dévasterai sa vigne et son figuier dont elle disait : « Ils sont à moi, c'est le salaire que m'ont donné mes amants. » Je les changerai en friche et les bêtes sauvages les dévoreront. Je sévirai contre elle à cause des jours des Baals, quand elle brûlait pour eux de l'encens, se parait de ses anneaux et de son collier, et courait après ses amants. Et moi, elle m'oubliait ! -- oracle du Seigneur.

C'est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. Et là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du Val d'Akor (c'est-à-dire « de la Déroute ») la porte de l'Espérance. Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d'Égypte. En ce jour-là -- oracle du Seigneur --, voici ce qui arrivera : Tu m'appelleras : « Mon époux » et non plus : « Mon Baal » (c'est-à-dire « mon maître »). Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur.

Livre d'Isaïe

Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra

Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l'esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. La justice est la ceinture de ses hanches ; la fidélité est la ceinture de ses reins .
Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l'ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l'enfant étendra la main. Il n'y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte.

Montagnes, éclatez en cris de joie

Maintenant le Seigneur parle, lui qui m'a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j'ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c'est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C'est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d'Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre. »
Ainsi parle le Seigneur, rédempteur et saint d'Israël, au serviteur méprisé, détesté par les nations, esclave des puissants : Les rois verront, ils se lèveront, les grands se prosterneront, à cause du Seigneur qui est fidèle, du Saint d'Israël qui t'a choisi.

Ainsi parle le Seigneur : Au temps favorable, je t'ai exaucé, au jour du salut, je t'ai secouru. Je t'ai façonné, établi, pour que tu sois l'alliance du peuple, pour relever le pays, restituer les héritages dévastés et dire aux prisonniers : « Sortez ! », aux captifs des ténèbres : « Montrez-vous ! » Au long des routes, ils pourront paître ; sur les hauteurs dénudées seront leurs pâturages.
Ils n'auront ni faim ni soif ; le vent brûlant et le soleil ne les frapperont plus. Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. De toutes mes montagnes, je ferai un chemin, et ma route sera rehaussée. Les voici : ils viennent de loin, les uns du nord et du couchant, les autres des terres du sud.

Cieux, criez de joie ! Terre, exulte ! Montagnes, éclatez en cris de joie ! Car le Seigneur console son peuple ; de ses pauvres, il a compassion. Jérusalem disait : « Le Seigneur m'a abandonnée, mon Seigneur m'a oubliée. » Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l'oubliait, moi, je ne t'oublierai pas. Car je t'ai gravée sur les paumes de mes mains, j'ai toujours tes remparts devant les yeux. Ils accourent, tes bâtisseurs ; tes démolisseurs, tes dévastateurs, ils s'éloignent de toi. Lève les yeux alentour et regarde : tous, ils se rassemblent et viennent vers toi. Par ma vie -- oracle du Seigneur --, tous, ils seront comme une parure que tu revêtiras, autour de toi, comme la ceinture d'une jeune mariée. Car tes ruines, tes décombres, ton pays dévasté sont désormais trop étroits pour tes habitants, et ceux qui te dévoraient s'éloigneront.(...) Et tout être de chair saura que moi, le Seigneur, je suis ton Sauveur, ton rédempteur, Force de Jacob.

INDIENNE ET BENGALI

Amaru83

L'amour dans la séparation : retrouvailles

La longue guirlande suspendue à la porte d'entrée est composée de ses yeux, et non des fleurs de lotus bleus
Le jet de fleurs est effectué avec [ses ] sourires, et non avec les fleurs Kunda, le jasmin, ou d'autres fleurs
L'eau offerte à la réception d'un convive est donnée par la lourde poitrine laissant tomber la sueur, et non par l'eau des jarres
La bénédiction du bien-aimé entrant est faite par la femme émaciée, avec ses propres membres84.

Sri Aurobindo85

Invitation

Le vent et l'orage cinglant autour de moi,
Je monte là-haut sur la montagne et la lande.
Qui veut me rejoindre ?
Qui veut gravir les cimes avec moi ?
Traverser les torrents, tailler son chemin dans la neige ?
Ce n'est pas dans le cercle étriqué des cités que j'habite,
A l'étroit entre vos portes et vos murs ;
Au-dessus de moi Dieu est bleu dans le ciel,
Contre moi le vent et la tourmente se rebellent.
Ici dans mes domaines je joue avec la solitude,
De l'infortune je me suis fait une amie.
Qui veut vivre vaste ?
Qui veut vivre libre ?
Qu'il grimpe ici sur les sommets battus par les vents.
Je suis le seigneur de la tempête et de la montagne,
Je suis l'Esprit de liberté et de fierté.
Fort doit-il être et allié du danger,
Qui partage mon royaume et marche à mes côtés.

Révélation

Bondissant des rochers,
Quelqu'un en courant, boucles au vent,
Passa, telle une énigme, surprise et lumineuse,
Qui se dévoile au regard des humains
--- Juste une joue rose d'effroi qui de beauté soudaine s'embrase,
Juste un bruit de pas comme le vent,
Un regard hâtif en arrière, et puis plus rien
--- Telle une pensée fuit le mental avant d'être saisie.
Un habitant des espaces célestes
Surgi de derrière le voile, s'enfuit.

Imagination d'enfant

Ô toi image d'or, miniature du bonheur, au parler tendre et doux !
Chaque mot mérite un baiser.
Étrange, distante, splendide la pure fantaisie de l'enfance
Tressaille à des pensées insondables pour nous,
Vives et obscures félicités.

Quand les yeux deviennent graves et que le rire s'éteint,
La Nature se souvient des jeux de titan de son enfance toute-puissante :
Forêts où filtre le soleil, et habitent les elfes,
Assemblées de géants, rencontres de titans, fantaisies d'un jeune dieu.

Ces images te reviennent dans le mystère de tes pensées ;
En ton cœur Dieu se souvient de toutes les merveilles qu'Il a faites.

Le yogi sur le tourbillon

Sur un tourbillon terrible au milieu du fleuve en furie,
Tel une statue, figée, nu, de bronze,
Sévère il se tenait droit tel un voyant immortel,
Impassible sous l'assaut glacial des eaux démentes.
La pensée ne pouvait naître en lui, ni la chair frémir ;
Ici les pas du Temps ne pouvaient s'aventurer ;
Seul y régnaient un Pouvoir inconnu, pur, austère,
Seul un Silence puissant, libérateur.
Son esprit vaste comme le monde, solitaire
Au-dessus du torrent des jours
Sur le profond tourbillon de notre être,
Silencieux, subissait la pression énorme de la création,
Immuable, supportant les cycles et les lois de la Nature,
Arrière-plan immobile de la course cosmique.

L'Homme, despote des contraires

Moi qui surpasse l'immensité des mers,
Tel une tornade de puissance divine,
Je suis la fleur fragile frémissant dans la brise,
Plus faible qu'un roseau qu'on brise sans effort.
J'abrite toute la sagesse du monde
Dans ma nature de prodigieuse ignorance ;
Fixant les yeux sur une flamme de vertu
Je me vautre avec délice dans la fange et danse en enfer.
Mon mental brille comme la pleine lune,
Obscur comme le troglodyte dans sa grotte.
J'amasse les richesses du temps et les gaspille aussitôt ;
Je suis un épitomé de contraires.
Je surprends le sommeil de la mort chaque fois que je renais,
Et ne suis qu'un instant dans l'éternité.

Désespoir sur l'escalier

Elle se tient, silencieuse et solitaire, sur la dernière marche,
Image d'un superbe désespoir ;
La gravité de son dilemme douloureux
Se lit dans ses yeux immenses et magnifiques.
Dans la beauté muette de cette pose solennelle
Je découvre la tragédie de son esprit mystérieux.
Et pourtant, elle reste aussi majestueuse, grandiose, pleine de grâce.
Tel un masque pensif est sa face immobile.
Sa queue est dressée comme un drapeau invaincu,
Que sa dignité ne souffre pas de remuer.
Créature animale merveilleusement humaine,
Charme et miracle du Brahman à pattes de fourrure,
Est-elle esprit, femme ou chatte,
Tel est le problème qui me laisse songeur.

La fin ?

Est-ce là la fin de tout ce que nous avons été,
De tout ce que nous avons fait ou rêvé --- un nom oublié, une forme défaite --- est-ce là la fin ?
Un corps pourrissant sous une dalle de pierre ou dans le feu réduit en cendres, Un mental dissous, perdues ses pensées oubliées
--- est-ce là la fin ?
Nos petites heures qui furent et ne sont plus,
Nos passions jadis si nobles mourant, moquées par la terre immobile et le calme soleil
--- est-ce là la fin ?
Notre ardent espoir de voir l'homme s'élever un jour vers Dieu
Passant à d'autres cœurs, trompé, tandis que le monde sombre dans la mort et l'enfer
--- est-ce là la fin ?
Tombée, la harpe gît, brisée, muette --- le joueur invisible est-il mort ?
Parce que l'arbre est abattu où chantait l'oiseau, le chant lui aussi doit-il cesser ?
Lui qui dans le mental préparait, voulait, pensait, refaçonnait le destin de la terre,
Lui qui dans le cœur aimait, aspirait, espérait, lui aussi a-t-il une fin ? L'immortel-dans-le-mortel est son Nom ;
Une Divinité artiste ici-bas se refaçonne en formes plus divines, sans cesse, sans repos,
Jusqu'à ce qu'on découvre pourquoi naquirent les astres,
Jusqu'à ce que le cœur découvre Dieu et que l'âme se connaisse.
Et même alors il n'y a pas de fin

Trois chants Bâuls86

Poussière...

Poussière.
Ô mon Bien-Aimé, si le feu de ton amour
peut se passer de moi
Quittons-nous !
Là sur-le-champ...
... je m'en vais !

Tourbillons de poussière, bazars bruyants
Sillons de braises ardentes,
Espace dur des routes ;
Rompue de fatigue, je marche...
Vers Toi.

Ô roi de mon coeur,
Quand à ton tour l'amour t'assoiffera,
Tu sauras bien me chercher
Et me découvrir, à ton tour.
C'est pourquoi, sur ton chemin
Une errante je suis devenue,
Pour Toi.
Sans nom
Poussière !

Pourquoi tous ces arguments...

Pourquoi tous ces arguments, ô savant...
Quel charme puissant
T'a fait bâtir cet édifice,
Ô mon cœur ?

Ce bâtiment d'os tient bon,
Il a son rythme, son harmonie,
Gardé par le paon et la paonne,
Et leur parade miroitante.
Ô savant, quel charme puissant
T'a fait bâtir cet édifice ?

J'ai passé mon enfance à rire et à jouer.
Ma jeunesse fut légère,
Ma vieillesse roule de lourdes pensées.
Quand ai-je pris le temps
De chanter le nom du seigneur...
Ô savant, quel charme puissant
T'a fait bâtir cet édifice ?

Mes cheveux sont gris, j'ai perdu mes dents.
Ma jeunesse s'est envasée.
Chaque jour me flétrit un peu plus...
Cette maison de boue, cette maison d'arc-en-ciel,
Quel charme puissant
T'a fait bâtir cet édifice ?

Comment dire cela ?
J'ai donné mon cœur à un autre
Et je me suis fait avoir !
Comment lui dire à l'autre...

Le Gange est mort de soif.
Brahma le créateur est mort de froid.
La rue est entrée dans ma chambre
Et moi, Varandah, un voleur m'a emporté.
A qui puis-je raconter cela ?

Le lac crache...

Le lac crache de la poussière.
Les hautes terres sont sous l'eau,
La crue a été violente.
Entre temps le maître est venu.
Où trouver un endroit pour le faire asseoir ?
A qui confier cela ?

Le ciel tambourine sur un chaudron.
Une femme brahmane danse.
Là-bas à Delhi, il pleut,
Les routes sont glissantes.
A qui vais-je en parler ?

Une femme décortique le riz.
Elle répète quarante gestes.
Plus loin, un marchand aveugle
Pèse du faux cuivre, du faux bronze.
A qui dire tout cela ?

Toru Dutt87

Ma vocation

Une épave sur cette terre,
Malade, laide et petite,
Condamnée dès ma naissance
Et rejetée de tous,
Est tombée de mes lèvres
Où - oh où fuirai-je ?
Qui m'apportera réconfort?
Chante, dit Dieu en réponse,
Chante pauvre petite chose.

La vie m'a frappé d'effroi -
Pleine de hasards et de douleur,
Alors j'ai étreint avec délice
La dure chaîne de la peine;
Il faut manger, - pourtant je meurs,
Comme un oiseau à l'aile coupée,
Chante - dit Dieu en réponse,
Chante pauvre petite chose.

L'amour a égayé pour un moment
Mon aube de son rayon,
Mais comme un murmure ou un sourire
Ma jeunesse est passée.
Maintenant après la Beauté je soupire,
Mais le printemps s'en est allé !
Chante - dit Dieu en réponse,
Chante pauvre petite chose.

Tous les hommes ont une tâche,
Et chanter est mon lot -
Je ne demande rien aux hommes
Mais une pensée bienveillante.
Ma vocation est élevée -
Parmi les verres qui tintent,

Toujours - vient toujours cette réponse,
Chante pauvre petite chose.

Kabir88

Cent-huit perles

Une bulle sur l'eau vive,
Voilà ta vie qui passe !
Elle brille un instant, puis s'efface
Comme une étoile à l'aube !

O Kabir, reste donc en compagnie des Saints :

Ils t'imprègnent comme l'échoppe du marchand de parfum !
Même s'il ne t'en donne point,
Tu jouis de la fragrance qui partout se répand !

Etrange en vérité est la quête d'Amour :

Qui la narre n'en connaît point la fin ;
Qui la connaît devient muet,
Et du merveilleux conte il ne peut souffler mot !

Mes yeux seront la chambre et mes prunelles la couche :
Baisse, le jour de tes noces, le rideau de tes cils
Pour cacher ton amour et mieux gagner Son coeur ! 

Ami, je demeure en ton coeur :
Pourquoi Me chercher ailleurs ? 
Je ne suis ni dans le temple, ni dans la mosquée,
Ni dans la Ka'ba, ni à Kailash,
Je ne suis ni dans les rites ou les rituels,
Ni dans le yoga ou le renoncement. 
Si tu savais Me chercher,
Tu Me trouverais en un instant !
Dit Kabir : écoute-moi, ô frère Sadhu,
Il est le Souffle des soufles !

Kalidasa89

Le nuage messager

Dans les visions de mon sommeil tu m'apparais j'étends les bras dans le vide, m'efforçant de te saisir d'une étreinte passionnée. Les divinités du terroir, bien souvent, ne peuvent à cette vue retenir des larmes qui, lourdes comme des perles, tombent sur les branches des arbres.
Ces brises venues des montagnes neigeuses ont fait brusquement éclater les bourgeons sur les rameaux des déodars et courent vers le sud, odorantes de la résine écoulée. Je leur ouvre mes bras, vertueuse épouse : Si seulement elles avaient frôlé ton corps !
Écoute maintenant, ô nuage, que je t'explique le chemin qu'il te convient de suivre ;tu prêteras ensuite à mon message ton oreille attentive. Je vais te dire les sommets où, brisé de fatigue, tu iras te poser, Les rivières dont, amaigri, tu boiras l'eau légère.
Je le prévois, ami, malgré ton désir d'aller vite en faveur de ma bien-aimée, tu perdras du temps sur toutes ces collines que parfume le jasmin. Accueilli par les paons aux yeux humides dont les cris sont des souhaits de bienvenue, résous-toi à les quitter sans trop de retard. (...)
Ta fatigue passée, poursuis ta route, arrosant dans les jardins, de tes gouttes d'eau nouvelle, les boutons en grappes des jasmins nés sur les bords de la Vananadî, répandant un instant ton ombre familière sur le visage des cueilleuses de fleur qui froissent et fanent, à essuyer la sueur de leurs joues, les lotus de leurs oreilles.
Ce sera t'écarter du chemin qu'il te faut suivre vers le Nord ; mais ne renonce pas à visiter les terrasses des palais d'Ujjayinî : tu perdrais vraiment à n'y pas goûter le charme des yeux aux coins mobiles des citadines, effrayés par la scintillation de tes guirlandes d'éclairs. (...)
Posé sur le monticule au gracieux sommet que je t'ai dit, réduis aussitôt, pour t'approcher plus rapide, ta taille à celle d'un jeune éléphant ; tu pourras alors, d'un de tes éclairs mais pâle, bien pâle, telle la lueur d'un essaim de lucioles, jeter un regard dans l'intérieur du palais.(...)
Son oeil de gazelle voile sous les boucles ses regards de côté, le fard n'y brille plus et, maintenant qu'elle repousse le vin, elle a oublié la manoeuvre des sourcils. A ton approche, sans doute, elle frémira tout à coup, gracieuse comme le lotus nocturne qui s'agite, heurté par un poisson. (...)
L'ayant réveillée d'un souffle que rafraîchissent tes gouttes d'eau, après que l'aura ranimée le parfum des jeunes boutons du jasmin, cachant tes éclairs, adresse la parole grave de ton tonnerre à cette belle si sage dont les yeux se fixent sur la fenêtre étroite où tu te tiens90.

La lignée des fils du soleil - Mort de la reine Indumati

Un jour, ce roi, respectueux du peuple, se promenait avec la reine dans le jardin de la cité.
À cette époque, le Maître Suprême avait fixé sa demeure sur le rivage de l'océan méridional, à Gōkarna, et Nārada était parti pour l'accompagner de son luth par la route que prend le soleil au retour du septentrion .
Une guirlande, tressée de fleurs inconnues à la terre, était posée au faîte de son instrument ; elle fut enlevée par un coup de vent violent, avide, semblait-il, du parfum des fleurs.
Les abeilles qui entouraient le luth du sage volèrent à la suite des corolles : on vit le luth répandre sous l'insulte du vent des larmes polluées de fard .
La guirlande immortelle, qui surpassait en luxuriance les plantes printanières, par son miel et par son parfum excellents, prit un refuge sûr entre les pointes des larges seins de l'amante royale.
L'épouse aimée du meilleur des hommes regarda l'éphémère compagne de ses beaux seins : égarée, elle ferma les yeux comme un clair de lune, quand l'astre est ravi par les ténèbres.
Son corps délaissé par les sens tomba et fit tomber avec lui le prince : ne voit-on pas, avec la goutte d'huile débordante, la flamme d'une lampe toucher la terre ?
Les suivantes de part et d'autre, poussèrent de confuses lamentations ; les oiseaux furent effrayés cachés au sein des lotus, ils semblaient compatir et gémir, eux aussi.
L'égarement du roi fut dissipé par l'éventail et divers expédients ; mais la reine demeura comme elle était : le remède ne produit son effet que lorsqu'il subsiste un restant de vie.
Elle était comme un luth qui a besoin d'être accordé, elle avait perdu toute connaissance ; alors, dans son amour extrême, il la souleva, la tenant sur son sein à la place accoutumée.
L'époux avec cette femme gisant sur sa poitrine, le teint flétri par la fuite des sens, c'était comme l'astre des nuits, à l'aurore, qui porte sur lui le signe trouble de la gazelle.
Il gémit avec des larmes et des sanglots ; sa constance naturelle l'avait quitté ; lorsqu'on le chauffe, le fer lui-même s'attendrit : combien plus le corps des humains91 !

Sarojini Naidu92

La chanson d'amour du Poète

A l'apogée des heures,
O mon Amour, tranquille et fort,
Je n'ai pas besoin de toi, des rêves fous sont les miens pour lier
Le monde à mon désir et tenir le vent
En captif muet de ma chanson conquérante.
Je n'ai pas besoin de toi, je suis contente avec eux :
Garde le silence dans mon âme, au-delà des mers!
Mais dans l'heure désolée de minuit,
Quand une extase en silence étoilé s'endort
Mon âme a faim de ta voix,
O alors, mon Amour, comme la magie de mélodies sauvages,
Laisse ton âme répondre à la mienne à travers les mers.

Extase

Couvre mes yeux, o mon amour
Mes yeux qui sont las de bonheur
Par la lumière qui est poignante et forte
Oh fait taire mes lèvres d'un baiser,
Mes lèvres qui sont lasses de chanter !
Abrite mon âme, O mon amour!
Mon âme pliée de douleur
Sous le fardeau de l'amour, comme la grâce
d'une fleur frappée par la pluie
Oh mon Amour abrite mon âme de ton visage !

Une chanson d'amour du Nord

Ne m'en dis pas plus sur ton amour, papeeha93
Tu rappelles à mon cœur, papeeha
Mes rêves de plaisirs envolés Et quand me rejoignaient les pas de mon amant
Accompagné des étoiles du crépuscule et par l'aube.
Je vois les ailes douces des nuages sur la rivière
Et les gouttes de pluie en joyaux faire trembler les feuilles de mangues
Et les branches fleurir tendrement sur la plaine...
Mais que m'apporte cette beauté à moi, papeeha ?
La beauté des fleurs et de la pluie
Ne me ramène pas mon amant
Ne m'en dis pas plus sur ton amour, papeeha
Tu ravives dans mon cœur, papeeha
Le chagrin du bonheur qui s'en est allé.
J'entends dans les bois le paon lumineux crier vers son compagnon à l'aube;
J'entends la cour lente, timide du koel noir
Et dans le jardin le doux roucoulement du rossignol passionné et du pigeon
Mais qu'est ce que la musique
Des chansons de leurs rires amoureux, papeeha,
Peut m'apporter à moi qui suis abandonnée par l'amour

Ayyappa Paniker94

Vision

Ô mes amis, écoutez-moi !
Vous qui, à mes côtés, avez fait le serment
De ranimer la terre des justes
Et de la choisir pour demeure,
Chefs de nos clans, approchez-vous !
Gautama, Kashyapa,
Vasishta et Parashara,
Vishvamitra, Bharadvaja,
Et vous, chefs des clans à venir,
Approchez !

Soyez prêts à prendre la route,
Un à un, constituez nos rangs.
Empaquetons nos victuailles,
Le bagage qu'il faut charger :
L'héritage de nos fiertés,
Les chants à chanter en chemin,
Les contes à redire
Et les histoires à rire
Qui égaieront les haltes d'un si long parcours.

Nous ne sommes pas des errants,
Nous ne partons pas à l'attaque,
Nous n'avons pas de terre à vendre,
Nous n'avons pas de terre à prendre,
Nous ne sommes pas des marchands,
Mais des chercheurs, quêteurs de grâce.

L'étoile qui scintille aux yeux des plus ardents
A éclairé les nôtres. De la compassion,
Nous avons éprouvé toute la profondeur.
Nous rectifions les tracés anciens de la connaissance.
Ensemble, nous fonderons une culture nouvelle ;
Nous, pour qui l'univers n'est qu'un reflet tremblant,
Irons chercher par les sentiers inexplorés
Où poser nos pas éphémères.

Plus jamais

Puisque tu me le demandes
Il faut bien que je le dise :
Je n'en veux plus, je n'en veux plus jamais.
Je ne veux pas de nouvelle existence.
Une vie m'aura largement suffi.

D'une si longue peine ---
Arrivées et départs du début à la fin,
L'amour créé, l'amour détruit,
L'instant de douleur
Qui vient pulvériser une vie de délices,
L'heure solitaire des désirs morts
Et sa survie de bavardage --
Je ne veux plus, je ne veux plus jamais
Ni vivre, ni mourir, ni exister encore.

Le récipient près de l'évier,
Les bruits qu'on étouffe au grenier,
La tombée de la nuit dans les tumeurs du ciel,
La chouette qui hulule sur le toit de l'école,
Aux proues des barques qui s'éloignent
Le regard fixe, muet,
Et sur l'aire des départs le sourire évanoui,
Je n'en veux plus, je ne veux plus jamais
Ni vivre, ni mourir, ni exister encore.

Une autre maison ?
Une mère nouvelle ?
Une enfance recommencée ?
Des défis jamais lancés ?
Des élans à découvrir ?
Des blessures, encore ?
De nouveaux rythmes à prendre ?
Des promesses fraîches du jour?
Je n'en veux plus, je n'en veux plus jamais.

Amrita Pritam95

Une ville

Le grain semé par les étoiles
est revendu au marché noir ;
je secoue un sac de nuages,
le marché ce soir va fermer.
La lune est un veau affamé
qui tète des tétins taris.
Liée à un pieu la terre-mère
lèche la mangeoire du ciel.

A la porte de l'hôpital
combien de mots gisent malades,
tels vérité, justice, foi,
--- toute la foule de valeurs.
Quelqu'un peut-être prescrira
un médicament salutaire,
mais il semble pour le moment
que le terme ait été atteint.

En cette ville il est des lieux
où vivent des sans-feu-ni-lieu.
Ils sont tout à fait démunis
et leur vie doucement s'en va.
La première nuit de vieillesse
est venue leur dire à l'oreille
qu'en cette ville leur jeunesse
éternelle a été volée.

La nuit a été froide, à l'aube on a trouvé
dans la rue un corps non identifié.
Le feu du bûcher brûle et personne ne pleure.
Un philosophe est mort, un poète, un mendiant.

Dans les bras d'un homme une fille
a crié, s'est mordue au sang :
Au poste de police on rit,
dans les cafés on se goberge ;
des camelots dans les rues passent
vendant un païsa les nouvelles
et mettant son corps en lambeaux.

Sous un gulamohar des gens
se rencontrent et rient et chantent.
Ils voudraient cacher qu'ils sont morts.
Chacun porte une pierre blanche,
chacun veille sur son cadavre.

On entend le bruit des machines.
La ville est une imprimerie
et chaque homme un mot isolé,
chaque prophète un typographe
qui veut les faire aller ensemble,
mais jamais ne naît une phrase.

Cette ville a pour nom Delhi,
mais ce pourrait en être une autre :
quelle importance un nom a-t-il ?

Dans les draps sales du présent
la nuit l'on rêve d'avenir,
ou bien l'on veille, on imagine,
avant de prendre un somnifère.

Mohan Singh96

C'est pour révéler...

C'est pour révéler Son Essence
Que Dieu façonna la Beauté.
Voyant le rayonnement vif
De la Beauté l'Amour prit force.
Quand surgit la magie d'Amour
L'ivresse bondit dans le cœur.
Lorsque se mit en mots cette ivresse,
Vint le flot de la poésie.

Puisse-t-on, ô puisse-t-on...

Puisse-t-on, ô puisse-t-on me briser,
Me tordre le poignet à le briser !
Comment pourrais-je cacher ma jeunesse,
Je ne suis folle recluse en sa pièce,
Et tout en proie à ma démente ivresse,
Dans les jardins je me sens confinée ;
Puisse-t-on, ô puisse-t-on me briser !
Je suis une aiguière pleine de vin,
Si remplie que j'en déborde à la fin,
Puissent des lèvres que la soif étreint
Sur ma bouche bien vite se poser !
Puisse-t-on, ô puisse-t-on me briser !

Mes yeux fascinés
Sont attirés par la coupe ;
Mes lèvres brûlantes et douloureuses
Ne peuvent se détacher d'elle.
Mes lèvres ont bu à satiété,
Mais la coupe ne se vide pas ;
Je la bénis pourtant de tout mon corps :
Vive celle qui me fait ainsi boire !

Le Seigneur accorde son pardon à tous les pécheurs,
Mais il ne pardonne pas aux voleurs d'amour.
En masse les pèlerins vont à la Mecque, à Médine ;
Puisse ton sanctuaire être La Mecque de Mohan.

Laisse, belle porteuse....

Laisse, belle porteuse de bracelets,
Laisse, fée parée d'or !
Laisse, lâche mon bras,
Je ne saurais rester dans ton village.

Ô je l'ai vu, ton village,
J'en ai l'expérience de ton village,
Où les frères s'en prennent aux frères,
Où ils les frappent à la tête,

Où mille kilos de fer
Deviennent chaînes et menottes,
Des prisons des cachots
Étendent leurs murs sur des kilomètres,

Où au nom de la religion
Coulent des rivières de sang,
Où l'amour du pays est tenu pour un crime
Et condamné comme tel par le pouvoir impérial,

Où les poètes n'ont pas le droit de parler
Ni de défaire les nœuds du cœur.
Je ne saurais rester en pareil endroit

-- Laisse, belle porteuse de bracelets,
Laisse, fée parée d'or !
Laisse, lâche mon bras,
Je ne saurais rester dans ton village.

Kamala Surayya97

L'été à Calcutta

Qu'est-ce que cette boisson sinon
Le soleil d'avril, pressé
Comme une orange dans
Mon verre ? Je sirote le
Feu, je bois et bois
Encore, je suis ivre
Oui, mais sur l'or
des soleils, Quel noble
venin coule maintenant dans
mes veines et emplit mon
esprit d'un rire tranquille ?

Mes soucis somnolent.
De petites bulles sonnent dans mon verre,
comme le sourire nerveux d'une mariée ,
et rencontrent mes lèvres.

Cher, pardonne l'accalmie de ce moment à te vouloir,
le flou dans la mémoire.
Comme la durée de ma dévotion est brève,
comme ton règne est bref
quand, un verre à la main,
je bois, bois et bois encore
ce jus de soleils d'avril.

La maison de ma grand-mère

Il y a une maison maintenant loin où j'ai reçu l'amour...
Cette femme est morte,
La maison s'est retirée dans le silence, les serpents se sont déplacés
Parmi les livres,

J'étais alors trop jeune
Pour lire, et mon sang est devenu froid comme la lune
Combien de fois je pense à y aller
Là, pour regarder à travers les yeux aveugles des fenêtres ou juste écouter l'air gelé,
ou dans un désespoir sauvage, choisir une brassée de ténèbres pour l'amener ici pour se coucher derrière la porte de ma chambre

comme un chien maussade...
tu ne peux pas croire, chérie,
peux-tu , que je vivais dans une telle maison

et que j'étais fier et que j'aimais....
Moi qui ai perdu
Mon chemin et mendie maintenant aux portes des étrangers pour
Recevoir l'amour, au moins en petite monnaie ?

Les monstres

Il parle, me tendant une Joue tachée de soleil,
Sa bouche, une caverne sombre,
Où scintillent des stalactites de dents inégales,
Sa main droite sur mon genou,
Tandis que nos esprits
Veulent courir vers l'amour ;
Mais, ils ne font qu'errer, trébuchant
Paresseusement sur des flaques de Désir...

Cet homme au bout des doigts
Agile peut-il déchaîner
Rien de plus vivant

Que les faims paresseuses de la peau ?
Qui peut nous aider qui avons vécu si longtemps
Et avons échoué en amour ?

Le cœur,
Une citerne vide, attendant
Pendant de longues heures, se remplit
De serpents enroulés de silence...
Je suis un monstre. C'est seulement
pour sauver ma face que j'exhibe,

au Times, un grand et flamboyant désir.

Une bataille perdue

Comment mon amour peut-il le tenir quand l'autre
Affiche une luxure criarde et est la lionne de sa bête ?
Les hommes ne valent rien, pour les piéger
Utilisez l'appât le moins cher de tous,

mais jamais l'Amour,
Qui chez une femme doit signifier des larmes
Et un silence dans le sang.

Rabindranath Tagore98

Cygne

J'ai chéri ce monde
Et l'ai entouré comme une vrille végétale avec chaque fibre de mon être !
La lumière et la ténèbre de la lune mêlée au soir
Ont flotté parmi ma conscience, en elle se sont fondues,
Tant qu'à la fin ma vie et l'univers
Sont un !
J'aime la lumière du monde, j'aime la vie en elle-même.

Pourtant ce n'est pas une moindre vérité que je dois mourir.
Mes mots, ils cesseront un jour de fleurir parmi l'espace ;
Mes yeux, jamais ils ne pourront plus se livrer à la lumière ;
Mes oreilles s'entendront plus les messages mystérieux de la nuit,
Et mon coeur
Il ne viendra plus en hâte au fougueux appel du soleil levant !
Il faudra que je prenne fin
Avec mon dernier regard,
Avec ma dernière parole !

Ainsi le désir de vivre est une grande vérité,
Et l'adieu absolu, une autre grande vérité.
Pourtant doit se produire entre eux une harmonie !
Sinon la création
N'aurait pu supporter si longtemps souriante
L'énormité de la fraude !
Sinon la lumière aurait déjà noirci, comme la fleur dévorée par le ver !

Mes chants
Ce sont les mousses flottantes :
Elles ne sont pas fixées
Sur leur lieu de naissance ;
Elles n'ont point de racines -- seulement des feuilles -- seulement des fleurs.
Elles boivent la lumière joyeuse
Et dansent, dansent sur les vagues.
Elles ne connaissent pas de port,
N'ont point de moisson,
Hôtes inconnues étranges ! incertaines en tous leurs mouvements.
Et quand soudain les pluies tumultueuses de Crâvana
Descendent en nuages sans fin,
Noyant les rivages de leur flottant déluge,
Mes mousses-chansons
Soudainement sans repos, inspirées d'une vie sauvage,
Recouvrent tous les chemins de l'inondation,
Plongent dans la poursuite qui n'a plus de chemins,
Flottent de terre en terre,
De régions en régions,
Mes chansons !

Épier l'enlacement soudain silencieux
De la rivière, par l'ombre du flottant nuage,
Tout cela grise ma vie par un profond tourment-de-joie
Pour qui je lutte toujours espérant toujours l'exprimer !

Tes yeux m'interrogent...

Tes yeux m'interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
De même la lune voudrait connaître l'intérieur de l'océan.
J'ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C'est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux Et t'en faire un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée,

Je pourrais l'arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.
Mais ce n'est qu'un coeur, bien-aimée.

Où sont ses rives, où sont ses racines?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n'était qu'un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire Que tu pourrais déchiffrer en un moment.
Si elle n'était que douleur, elle fondrait en larmes limpides,

Révélant silencieusement la profondeur de son secret.
Ma vie n'est qu'amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même,

Mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.

La Corbeille de Fruits

Toujours, tu te tiens solitaire par-delà les ondes de mes chants.
Les vagues de mes harmonies baignent tes pieds,
mais je ne sais comment les atteindre.
Et ce que je joue pour toi est une musique trop lointaine.
C'est la douleur de la séparation qui s'est faite mélodie : elle chante par ma flûte.
Et j'attends l'heure où ta barque traversera l'eau jusqu'à mon rivage,
et où tu prendras ma flûte dans tes mains.

Écoute, mon coeur ; dans cette flûte chante
la musique du parfum des fleurs sauvages,
des feuilles étincelantes et de l'eau qui brille;
La musique d'ombres sonores, d'un bruit d'ailes
et d'abeilles.
La flûte a ravi son sourire des lèvres
de mon ami et le répand sur sa vie.

Cet amour entre nous n'est point un simple
badinage, mon aimé.
Encore et encore les nuits rugissantes
des tempêtes se sont abattues sur moi,
éteignant ma lumière ;
des doutes noirs se sont amassés, effaçant toutes les étoiles de mon ciel.
Encore et encore les digues ont été rompues, laissant les flots balayer mes moissons,
et les plaintes et le désespoir ont déchiré mon ciel de part en part.
Et j'ai appris que dans votre amour,
il y a des coups douloureux, mais jamais
l'apathie glacée de la mort.

Durant plus d'un jour de paresse

Durant plus d'un jour de paresse j'ai pleuré sur le temps perdu.

Pourtant il n'est jamais perdu, mon Seigneur !

Tu as pris dans mes mains chaque petit moment de ma vie.
Caché au coeur des choses, tu nourris jusqu'à la germination la semence,
Jusqu'à l'épanouissement le bouton,
Et la fleur mûrissante jusqu'à l'abondance du fruit.

J'étais là, sommeillant sur mon lit de paresse
Et je m'imaginais que tout ouvrage avais cessé.
Je m'éveillai dans le matin et trouvai mon jardin plein de merveilles et de fleurs.

Le jardinier d'amour

Poète, le soir approche ; tes cheveux grisonnent.
Entends-tu pendant tes rêveries solitaires le message de l'au-delà ?
C'est le soir, dit le poète, j'écoute : quelqu'un peut appeler du village, malgré l'heure tardive.

Je veille : Deux amoureux se cherchent. Leur cœur les guidera-t-il sûrement ? --- Les cœurs errants de deux jeunes amants se rencontreront-ils ; leurs yeux ardents, mendient une harmonie d'amour qui rompe le silence et qui parle pour eux.
Qui tissera la trame de leurs chants passionnés si je reste assis sur la plage de la vie à contempler la mort et l'au-delà ?

La première étoile du soir disparaît.
L'éclat d'un bûcher funéraire meurt lentement auprès de la rivière silencieuse.
De la cour de la maison déserte, et à la lumière d'une lune pâlie, on entend les chacals hurler en chœur.
Si quelque voyageur, errant loin de sa demeure, vient ici contempler la nuit et écouter, tête penchée, le chant des ténèbres, qui sera là pour lui chuchoter les secrets de la vie, si, fermant ma porte, je m'affranchis de toute obligation mortelle ?

Qu'importe que mes cheveux grisonnent.
Je suis toujours aussi jeune ou aussi vieux que le plus jeune et le plus vieux du village.
Les uns ont un sourire simple et doux, d'autres l'œil brillant de malice.
Ceux-ci ont des pleurs qui sourdent à la lumière du jour, ceux-là des larmes qui se cachent dans les ténèbres.
Tous ils ont besoin de moi, je n'ai pas le temps de méditer sur la vie à venir.
Je suis de l'âge de tous ; qu'importe si mes cheveux grisonnent ?

De peur que je n'apprenne...

De peur que je n'apprenne à te connaître trop facilement, tu joues avec moi.
Tu m'éblouis de tes éclats de rire pour cacher tes larmes.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne dis le mot que tu voudrais dire.
De peur que je ne t'apprécie pas, tu m'échappes de cent façons.
De peur que je te confonde avec la foule, tu te tiens seule à part.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne prends le chemin que tu voudrais prendre.
Tu demandes plus que les autres, c'est pourquoi tu es silencieuse.
Avec une folâtre insouciance, tu évites mes dons.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne prends ce que tu voudrais prendre.

Non, mes amis...

Non, mes amis, vous aurez beau dire, jamais je ne me ferai ascète.
Jamais je ne me ferai ascète, si elle ne prononce les mêmes vœux que moi.
Je suis fermement décidé à ne devenir ascète que si je trouve un abri bien ombragé et une compagne de pénitence.
Non, mes amis, jamais je ne quitterai mon foyer et ma chère maison, pour me retirer dans la forêt solitaire, si nul rire joyeux ne résonne dans l'écho de son ombre, si le vent n'y fait pas flotter le pan d'un manteau couleur de safran, si son silence n'est pas rendu plus profond par de doux murmures.
Décidément, je ne serai jamais ascète.

Un homme voulait...

Un homme voulait se faire ascète.
Une belle nuit, il déclara :
« Le moment est venu pour moi d'abandonner ma demeure et de chercher Dieu. Ah ! qui donc m'a retenu si longtemps ici dans les trompeuses illusions ? »
Dieu murmura : « Moi » ; mais l'homme ne comprit pas.
Il dit : « Où es-tu, Toi qui t'es joué si longtemps de moi ? »
À ses côtés sa femme était paisiblement étendue sur le lit, un bébé endormi sur son sein.
La voix reprit : « Dieu, il est là », mais l'homme n'entendit pas.
Le bébé pleura en rêve, se pelotonnant plus près de sa mère.
Dieu ordonna : « Arrête, insensé, ne quitte pas ta maison », --- mais il n'entendit pas encore.
Dieu soupira et dit avec tristesse : « Pourquoi mon serviteur croit-il me chercher quand il s'éloigne de moi ? »

Pourquoi la lampe...

Pourquoi la lampe s'est-elle éteinte ?
Je l'entourai de mon manteau pour la mettre à l'abri du vent ; c'est pour cela que la lampe s'est éteinte.
Pourquoi la fleur s'est-elle fanée ?
Je la pressai contre mon cœur avec inquiétude et amour ; voilà pourquoi la fleur s'est fanée.
Pourquoi la rivière s'est-elle tarie ?
Je mis une digue en travers d'elle afin qu'elle me servît à moi seul ; voilà pourquoi la rivière s'est tarie.
Pourquoi la corde de la harpe s'est-elle cassée ?
J'essayai de donner une note trop haute pour son clavier ; voilà pourquoi la corde de la harpe s'est cassée.

Qui es-tu, lecteur...

Qui es-tu, lecteur, toi qui, dans cent ans, liras mes vers ?
Je ne puis t'envoyer une seule fleur de cette couronne printanière, ni un seul rayon d'or de ce lointain nuage.
Ouvre tes portes et regarde au loin.
Dans ton jardin en fleurs, cueille les souvenirs parfumés des fleurs fanées d'il y a cent ans.
Puisses-tu sentir, dans la joie de ton cœur, la joie vivante qui, un matin de printemps, chanta, lançant sa voix joyeuse par-delà cent années.

Védas

L'aurore

Comme une fille qui se pavane de son corps, tu vas, ô déesse, vers le dieu qui veut te servir : toute souriante jeune femme, tu découvres au-devant de lui tes seins lorsque tu brilles.

Belle à contempler comme une jeune fille que sa mère revêt d'atours, tu laisses voir ton corps : brille heureuse, Aurore, brille plus loin encore, que les autres aurores ne puissent t'atteindre. 

Commune est la route des deux sœurs, illimitée : elles la suivent l'une après l'autre, instruite par les dieux. Elles ne se heurtent ni ne s'arrêtent, elles sont bien ajustées, Nuit et Aurore au même cœur, si leur forme est diverse.

Elle suit le chemin des Aurores passées, première de celles qui viennent et qui toujours suivront. En brillant elle anime celui qui vit, mais celui qui est mort, l'Aurore ne saurait le réveiller.

Ils s'en sont allés les mortels qui virent se lever l'Aurore d'autrefois. C'est de nous à présent qu'elle se laisse contempler. Et voici qu'arrivent ceux qui verront les Aurores futures.

Avec son fard elle a brillé dans les portiques du ciel ; la déesse a rejeté d'elle le noir ornement. Réveillant les êtres l'Aurore arrive sur son bel attelage, avec ses roses chevaux.

BENGALI

Azad99

Notre mère

Nous avions l'habitude de dire « Tu » à notre mère et « Tu » à notre père.
Notre mère se tenait devant notre père comme une pauvre personne, ne pouvant jamais finir de parler.
Notre mère a été traitée avec un tel mépris devant notre père que nous n'avons jamais pensé à le lui dire .
Notre mère était plus âgée que nous, mais égale à nous.
Notre mère appartenait à notre classe, notre caste, notre tribu.
Baba était comme 'Allah', quand nous avons vu sa lumière, nous nous sommes prosternés. Baba était comme un lion, nous avons frissonné à son rugissement. Quand l'ombre disparaissait, je sortais de nouveau et je voyais le ciel.

Notre mère était une goutte de larmes - Jour et nuit, elle se balançait . Notre mère avait l'habitude d'avoir du lait épais sur nos pieds trois fois par jour. Notre mère avait un petit étang - nous y nagions jour et nuit.
Nous ne savons pas si notre mère avait une vie personnelle. elle ne tombe plus
Je n'ai jamais vu notre mère dans les bras de mon père.
Je ne sais pas si mon père a déjà étreint et embrassé ma mère ou s'il l'a fait,
mes lèvres ne seraient pas si sèches.
Nous étions petits, mais d'année en année nous avons continué à grandir,
notre mère était grande, mais d'année en année, notre mère a continué à devenir plus petite.
Même en sixième, j'avais l'habitude d'embrasser ma mère de peur.
Après être arrivé en septième année, ma mère m'a pris dans ses bras un jour quand elle a eu peur.
Notre mère devient plus petite de jour en jour,
notre mère a peur de jour en jour. Notre mère n'est plus un pétale de fleur sauvage , ne tombant plus à longueur de journée .

Mais notre mère est toujours une larme, de village en ville notre mère vacille encore.

Lokenath Bhattacharya100

Le spectateur enchanté

Posté à la fenêtre, dans la maison qui est la sienne, encadré, tableau lui-même, il reste là, à regarder.
Son regard tourné vers qui, quoi ? Vers la rue ?
Ne s'y rencontre-t-il, au contraire, ni chemin ni défilé ?
Pas davantage d'arbres,de collines, de montagnes ?
Pas non plus d'êtres vivants, pas un seul ?
N'y trouve-t-on donc que vide infini, ciel illimité, insondable silence ?

Tout son corps...

Tout son corps est de jeune fille, sauf les yeux, de femme mûre. Mais ce ne sont pas des yeux, plutôt des forets pour percer la pierre !

Peut-être que, déjà, cette fille en a vraiment fini avec tout ce qu'il fallait voir, et que nul vent printanier, inattendu, soudain, ne pourra plus jamais la troubler.

O nuit profonde, source de mystères infinis, ne peux-tu couvrir ces deux yeux, ne serait-ce qu'une fois ! Ne peux-tu noyer dans l'obscurité sa connaissance aussi cruelle que le soleil de midi, son champ de tous les jours, desséché, calciné !

A celle qui sait tant de choses que nulle surprise ne peut plus l'atteindre, que pouvons-nous dire, nous qui, jusqu'à présent, n'avons rien appris, absolument rien

Pages sur la chambre

Une chambre à moi, un lieu pour m'asseoir, je ne les ai toujours pas eus.
Depuis l'enfance, j'entends en moi cette voix, cet appel : « Rentre chez toi, esprit, retrouve la lumière que tu connus à la naissance, de naissance en naissance, retrouve cette obscurité : elle accueillera ton amour. »
Puis, de village en village, le chemin dans le chemin s'est perdu. D'un village à l'autre le rêve s'est enfui, éternel voyageur des champs déserts.
J'ignore où se trouve à présent ce désir fervent d'une chambre : m'y asseoir un peu, pouvoir y réfléchir...
Aujourd'hui, le ciel et ce moi aussi nu que lui, aussi démuni, dépourvu de tout : esclave de la tourmente, amoureux de cette servitude.
Mais cette envie de s'asseoir un peu, de réfléchir un instant, ce désir du bref et du doux éclat dans les yeux d'un visage connu aurait pu tout aussi bien naître aujourd'hui, tel un fleuve bondissant dans les artères.
Cela aurait été sûrement agréable, même sous ce ciel. Dans ce ciel. Surtout là.
Alors, là seulement, dans ce ciel, j'aurais pu moi aussi installer ma chambre.
Une chaise, une table : un foyer.
Pas seulement une chambre, mais plusieurs, l'une après l'autre, d'instant en instant se propageant Mais voilà, c'est encore un désir. De l'instant.
L'instant d'après, il pourrait tout aussi bien disparaître.

La représentation commence à sept heures et demie

À peine ai-je fait un pas de plus dans sa direction que l'homme, lui, recule de quelques mètres, puis va vite se poster sous le lampadaire, à quelque distance... Quelques secondes plus tard, sa figure s'illumine d'un sourire bizarre - moi, je souris, lui aussi, il sourit. Mais comment décrire son sourire ! On n'y voit aucune compassion, pas un atome de tendresse ; au contraire, c'est l'expression d'une joie démoniaque, comme si une possibilité inespérée s'était tout à coup présentée à lui, c'est cela que révèle son visage. Mon sourire s'efface, je me mets à trembler de tous mes membres. Ce sourire démoniaque le transforme soudain en un comédien en train de jouer une pièce de théâtre, en un être d'un autre monde. Je devais aller voir une pièce ce soir à sept heures et demie, mais je vois que celle-ci est d'un tout autre genre.

Jibanananda Das101

Sensation

Dans la pénombre et l'ombre je vais. Dans ma tête
Pas un rêve, mais une certaine sensation est à l'œuvre.
Pas un rêve, pas de paix, pas d'amour,
Dans mon cœur une sensation est née.
Je ne peux pas lui échapper
Car elle met sa main dans la mienne,
Et tout le reste pâlit jusqu'à l'insignifiance - futile à ce qu'il paraît.
Toute pensée, une éternité de prière,
Semble vide.
Vide.

(...)
Dans ma tête
Pas un rêve, pas d'amour, mais une sensation est à l'œuvre.
Je laisse tous les dieux derrière moi
Et m'approche de mon cœur -
Je parle à ce cœur.
Pourquoi marmonne-t-il tout seul comme des eaux bouillonnantes ?
N'est-il jamais fatigué ? N'a-t-il jamais un moment de paix ?
Ne dormira-t-il jamais ? N'appréciera-t-il pas simplement
de se reposer calmement ? ou ne pas connaître la joie
de contempler le visage de l'homme ?
de contempler le visage d'une femme ?
de regarder les visages des enfants?

Cette sensation-seulement ce désir
Que gagne-t-il, immense-profond ?
Ne souhaite-t-il pas sortir des sentiers battus
Et chercher l'étendue étoilée du ciel ? A-t-il juré
de regarder le visage de cet homme ?
Regarder le visage de cette femme ?
Pour regarder les visages de ces enfants ?
Ces ombres maladives sous les yeux,
Les oreilles qui ne peuvent pas entendre,
Le bossu - un goitre qui a surgi sur la chair,
Une citrouille gâtée au concombre et au chancre,
Tout ce qui est dans le cœur de l'homme
- Tout cela.

vents glacés

Dehors où les vents glacés soufflent
cliquetis des portes et des fenêtres avec
chiens de nuit,
la neige dort dans la fissure des étoiles
et ça coule toute la nuit.
Voyageant à travers les mers,
et les rivières et les routes
un amant est venu dans une chambre froide et sombre.
De là, des escaliers en colimaçon émergent
menant à un dédale de pièces.
Pour ceux-ci, pour des raisons inconnues,
le monde a levé le doigt de l'avertissement.
Quelles mesures dois-je prendre
pour me rendre dans quelle pièce ?
Ayant gravi tous les escaliers
il atteint enfin l'échelon inférieur.
La vie, le temps et l'univers
donner un seul sens :
le chemin est tout.

Akashleena

Suranjana, va là-bas, parle à ce jeune homme ;
Reviens Suranjana :
Dans la nuit argentée remplie de feu des étoiles ;

Reviens dans ce champ, fais signe ;
Reviens dans mon cœur ;
De loin en loin -- de plus en plus loin tu vas avec les jeunes.

Qu'est-ce qui se passe avec lui ? - avec lui!
Tu es comme de la poussière dans le ciel derrière le ciel :
son amour vient comme de l'herbe.

Suranjana,
ton cœur est l'herbe aujourd'hui :
vent au-delà du vent -- ​​ciel au-delà du ciel.

Dans leurs oreilles

Une fois dans l'eau des étoiles
- une fois dans l'eau de la douleur,
le groupe de jeunes hommes
a écrit de nombreux poèmes
Sur les sentiers de la terre, les fées

Entendirent avec une révérence folle
--- Toutes ces statues sourdes d'airain encore doré
Pourtant, hélas, la troupe de la jeunesse alla
versant à leurs oreilles bien des richesses
Une fois pour abreuver des étoiles
--- Une fois pour abreuver de la douleur.

Taslima Nasreen102

Lettre de divorce

Si tu fais ton chemin, tu ne seras plus à moi
Tu seras le gigolo de toute une chacune.
Suivant n'importe laquelle tel le vautour qui s'acharne sur la forme et la substance
Tu t'en repais --- ne percevant plus la moindre différence
Entre le corps de l'amour et celui de la femme payée.
A la poésie, tu préfères la ruse.
A la tombée de la nuit, ton sang n'est plus que piétinement de mille et un chevaux
Sans bride --- les ancêtres se réveillent et tes hémoglobines dansent la rumba.
Je t'ai souvent parlé de clair de lune.
Tu es incapable de percevoir la différence entre nouvelle et pleine lune.
A l'amour, tu préfères l'opulence.
Sous le talon de n'importe qui, tu aspires
La moindre goutte d'alcool,
cet alcool bien aimé qui t'imprègne de la tête aux pieds
Sans qu'un seul instant tu sois désaltéré.
Je t'ai souvent parlé de rêves.
Toi, tu ne vois aucune différence entre égout et océan.
Si tu fais ton chemin, tu seras le gigolo de n'importe laquelle.
Qui est à toute une chacune ne sera jamais mien103.

Frontière naturelle

Je vais aller de l'avant
Derrière moi, une famille entière qui me rappelle
Mon enfant qui me tiraille par les pans du sari
Devant moi, un mari qui bloque la sortie.
Mais je m'en vais.

Le seul obstacle, c'est une rivière
Mais je traverserai.
Je sais nager, mais ils me l'interdisent
Eux tous, ils ne veulent pas que je traverse.

Il n'y a rien sur l'autre rive, rien qu'une vaste étendue de champs vides
Mais ce vide-là je veux le toucher
Ne serait-ce qu'une seule fois,

Courir contre le vent, dont les gémissements me donnent envie de danser.
Un jour, vous pouvez en être sûrs, je danserai
Et puis je serai de retour.

Je n'ai pas joué au gollachut depuis des années
Je soulèverai un beau tintamarre un jour, en jouant au gollachut.
Et puis je reviendrai.

Depuis des années, je n'ai pas pleuré dans le giron de la solitude.
Un jour je pleurerai toutes les larmes de mon coeur.
Et puis je rentrerai.

Il n'y a rien devant sauf la rivière
Et je sais très bien nager.
Pourquoi ne m'en irai-je pas ? je m'en vais.

Sentence de mort

Me voici devant vous.
Procédez à l'ultime examen. Permettez-moi un dernier bain.
Enquerrez vous de mes dernières volontés.

Demandez-moi, sans doute, d'exprimer mes souhaits
Quant au menu de mon tout dernier repas:
Un riz spécial ? des langoustes ? du koï frit ?
Un pickles à l'écorce d'orange amère ? De l'hilsa à la moutarde ?
Les personnes que je souhaite voir --- père, mère, frères, amis ?
Quelqu'un de particulièrement proche, un être très cher ?
Non, je ne souhaiterais rien de tel.
Plutôt que tout cela, vous auriez l'étonnement
De ne me voir exprimer que cet unique désir...

Si je vous dis que je veux un monde sécularisé pourriez-vous me l'offrir ?
Ou si je réclame que l'on brise les digues, les murs, les barbelés et les frontières entre nations ?
Si j'exige un monde sans classe, sans religion,
Où l'égalité entre les femmes et les hommes existerait réellement enfin
Sauriez-vous me le donner ?
Pourriez-vous me faire entrevoir l'aube d'un monde aussi beau ?
Si oui, j'irais à la potence en riant,
J'écouterais sans murmurer ma sentence de mort.
Sinon, j'arracherais la corde, je m'évaderais pour vivre encore et encore.
Vivante, tel une rizière aux trois quarts submergée,
Je sèmerais le monde de mes rêves.

Soif

(Noyant nos corps dans l'essence de parfum nous nous ébattrons dans les filets du désir)
Mon plus cher souhait: Demeurer à jamais au contact de ce trésor sans prix.
Si le chant de la pluie emplit enfin le ciel
J'offrirai mon corps à découvert
A ses baisers froids, je répondrai
Avec la tiédeur de mes lèvres entrouvertes.

Je languis d'être enfin à genoux
Dans l'abandon de tout palais, l'oubli
De tout empire.
étendez seulement les bras, cueillez en une fois toute la chaleur de l'été
Son exquise douceur.
Réveillez l'appel du tambour, j'ai besoin de la crue pour apaiser ma soif!
Que l'inondation me soit enfin refuge !
Oh, depuis si longtemps j'ai souhaité
Voir le sceau du sang anoblir
Les formes de ce corps trop virginal !
Pour toucher ne serait-ce qu'une seule fois l'insupportable beauté
J'abandonnerais monde et foyer !

Les filles de la confection

Elles marchent ensemble, les filles de la confection,
Comme des centaines d'oiseaux volant dans le ciel du Bangladesh
Les filles de la confection regagnent leurs taudis à minuit.
Les vagabonds des rues tentent de leur soutirer quelques takas,
Les fils de riches frôlent et se frottent au corps des filles.
Les filles en perdent le peu qu'elles possèdent.
Après une nuit sans sommeil, juste avant l'aube,
Les filles repartent ensemble.

Dès qu'ils les voient, les gentlemen ont l'eau à la bouche.
Dés qu'ils les voient, ils leur crachent dessus,
Mais les filles continuent à marcher, à marcher droit devant.
Elles ne prennent la nourriture et les vêtements de personne,
Elles marchent droit devant.
Les filles de la confection sont enchaînées
A la corde impitoyable des riches,
Elles marchent tel le bétail aveugle qui fait tourner la machine à huile des riches,
Les riches prennent l'huile, elles n'ont droit qu'aux déchets.
Elles ne verront jamais d'arc-en-ciel.

Recouvrant leur corps de ténèbres,
Les mafieux des taudis les ont violées.
Elles ne se baigneront jamais au clair de lune.
Les filles de la confection marchent ensemble
Comme des centaines de Bangladesh volant dans le ciel du monde.

INDONÉSIENNE MALAISE

Chairil Anwar104

Aku

Si mon heure devait venir,
j'aimerais que personne ne m'attire
Pas même toi
Pas besoin de ces sanglots et de ces cris

Je ne suis qu'un animal sauvage
Coupé de son espèce

Bien que les balles me transpercent la peau
Je frapperai toujours et je marcherai

Blessures et poison dois-je prendre la fuite.
la douleur et la douleur devraient disparaître

et je devrais m'en soucier encore moins
Je veux vivre encore mille ans

Pas de femme !

Pas de femme ! Ce qui m'habite
se dérobe encore facilement à ton étreinte fiévreuse et sombre,
soucieux de retrouver la verdeur d'une autre mer,
d'être de nouveau sur le navire où nous nous sommes rencontrés,
abandonnant le gouvernail au vent,
les yeux fixés sur les étoiles en attente.
Quelque chose battant des ailes, transmet à nouveau
le Tai Po et le secret de la mer d'Ambonèse.
Telle est la femme ! Une seule ligne vague
est tout ce que je peux écrire
dans ma fuite vers son sourire énigmatique.

Annonce

Diriger n'est pas mon intention,
le destin est des solitudes séparées.
Je te choisis parmi les autres, mais
en un instant nous sommes de nouveau pris au piège de la solitude.
Il fut un temps où je voulais vraiment que vous
soyez comme des enfants dans les ténèbres suprêmes,
et nous nous sommes embrassés et caressés, sans nous fatiguer.
Je ne voulais jamais te laisser partir.
N'unissez pas votre vie à la mienne,
car je ne peux rester très longtemps avec personne
J'écris maintenant sur un navire, dans une mer sans nom.

Pantoun

Le terme pantoun désigne en langue malaise (ou indonésienne), un quatrain (mais aussi sizain ou huitain...) fait pour être énoncé, échangé, récité, chanté, dansé en toute circonstance de la vie quotidienne (déclarations d'amour, de rupture, railleries, allusions, proverbes...) ou de cérémonies (soirées dansantes, concours et « jeux de société », mariages...). En France, les romantiques (Hugo, Baudelaire, Th. Gautier, Leconte de Lisle...) ont voulu en faire un genre poétique à part entière. Il semble aujourd'hui disparu. Les cinq règles du pantoun qu'ils ont établies : 1/Le pantoun est un poème constitué d'une suite de quatrains . 2/Vers en octosyllabes ou décasyllabes. 3/On alterne les rimes féminines et les rimes masculines et on croise (ABAB...) 4/On applique la règle de clausule : Le deuxième vers du premier quatrain devient le premier vers du deuxième quatrain, Le quatrième vers du premier quatrain devient le troisième vers du deuxième quatrain, Et ainsi de suite... Le dernier vers du dernier quatrain du poème est le même que le premier vers du premier quatrain . La cinquième règle est qu'il ne faut pas de vers-phrases, chaque vers doit se connecter au suivant, et au quatrain suivant également,

Ernest Fouinet105

Les papillons jouent... (traduit d'un pantoun malais)

Les papillons jouent à l'entour sur leurs ailes ;
Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers.
Mon cœur s'est senti malade dans ma poitrine,
Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente.

Ils volent vers la mer, près de la chaîne de rochers...
Le vautour dirige son essor vers Bandam.;
Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente,
J'ai admiré bien des jeunes gens ;

Le vautour dirige son essor vers Bandam,...
Et laisse tomber de ses plumes à Patani.
J'ai admiré bien des jeunes gens ;
Mais nul n'est à comparer à l'objet de mon choix.

Il laisse tomber de ses plumes à Patani.
Voici deux jeunes pigeons !
Aucun jeune homme ne peut se comparer à celui de mon choix,
Habile comme il l'est à toucher le cœur.

Nisah Haron106

La goutte ne fait pas....

La goutte ne fait pas l'encre
C'est l'encre qui fait la goutte
La beauté ne fait pas l'amour
C'est l'amour qui fait la beauté

Quinze pantouns107

Mille colombes passent en un vol
L'une se pose au milieu du terrain
Je voudrais mourir au bout de tes ongles
Pourvu qu'on m'enterre au creux de ta main

La sangsue, d'où s'en vient-elle donc ?
-- De la rizière, elle descend au canal.
Et l'amour, d'où s'en vient-il donc ?
-- Des yeux, il descend jusqu'au foie.

Quand il y a une aiguille qui casse
On ne la garde pas dans la boîte
Quand il y a un mot qui blesse
On ne le garde pas dans son cœur 

Citrons sauvages citrons verts
Mûris aux bords du Port Rama
Le tigre mort les rayures restent
L'homme mort le nom restera

Fourmis rouges dans le creux d'un bambou,
Vase rempli d'essence de rose...
Quand la luxure est dans mon corps
Mon amie seule me donne l'apaisement.

Planter le riz sur la colline de Jeram...
Planter, puis se reposer sur un rocher...
Comment le coeur ne serait-il réchauffé
A voir un sein sous le voile écarté ?

Papillons volant deci-delà
Volant sur la mer à la porte des récifs
Pourquoi ce trouble dans mon coeur,
Qui vient de loin, qui dure encore ?

Si ce n'était pour les étoiles
la lune monterait-elle ainsi
Et si ce n'était pas pour toi
serais-je venue jusqu'ici ?

Ce soir on grille du maïs
demain ce sera de l'herbe-citron.
Ce soir nos chemins nous unissent
demain soir ils divergeront.

Veux-tu goûter du riz d'ailleurs
peut-être brisure peut-être pas
peut-être qu'il sera mangé par les friquets
Veux-tu t'essayer à mon cœur
brisera peut-être peut-être pas
peut-être bien qu'amour va prospérer.

Une perle est tombée dans l'herbe
tombée dans l'herbe elle resplendit
L'amour est comme la rosée sur l'herbe
qui s'évapore dès que le soleil luit.

Une perle est tombée dans l'herbe
tombée dans l'herbe elle rebondit
de vos pieds ne l'écrasez point
l'herbe amère pousse ici et là

Mes yeux ne voient rien d'autre qu'elle
de mon cœur elle ne veut partir
le jour ma chimère elle devient
la nuit dans mon rêve elle est là.

Artistes de l'ombre
Artisans des couleurs
Peintres et poètes
Tous le sont108

Au lever du jour s'enfuient les nuages
Une étoile fend la colline au soir.
Si au fond du cœur j'avais son image,
Je n'aurais ici plus grand-chose à voir.

Umbu Landu Paranggi109

La Mère Bien Aimée

Cette vieille dame s'appelle toujours:
le chagrin et le sourire éternels
qui sont bien lisibles et écrits,
avec des mots de poésie depuis les bouts de ses cheveux 

jusqu'à la plante de ses pieds.
Cette vieille dame s'appelle toujours:
la victime, le remerciement, la bénédiction,

et le pardon qui accouche sincèrement
et inlassablement des dizaines de rôles,
de destins et d'histoires d'hommes.
Cette vieille dame s'appelle toujours:
l'amour, l'affection, la douceur,
les trois mots anciens sur ses épaules,
chaque enfant se dresse pour saisir les étoiles
avec son cœur et sa promesse110.

Sitor Situmorang111

La maison

La mer et la terre ne peuvent plus être habitées.
Fais la chambre dans ton cœur
Ou - restons dans ma maison,
La terre est sans abri

Ou - tiens bon seul
(C'est depuis longtemps)
Dans les maisons solitaires
Il n'y a pas d'hommes

La lumière est fidèle
Qui s'attend
Et les chaises
Et l'horloge dans la vieille nuit.

IRAKIENNE

Salah Faïk112

Voyageur perpétuel

Une fois par semaine j'accroche une valise vide sur mon dos
pour sentir que je suis un voyageur perpétuel
en chemin, si je le rencontrais
je dirais des amabilités au postier car il ne frappe pas à ma porte

les battements de mon cœur s'accélèrent quand je crie
j'essaie d'écrire quelquefois jusqu'au matin
mais j'échoue
cela ne me fait rien car mes défaites sont nombreuses
une fois on m'a porté sur des épaules,
je poussais des clameurs et des insultes
soudain je suis tombé. Je souffre de douleurs dorsales
depuis ce temps-là

je ne regrette rien, je me suis sauvé de mes régions inexplorées
je me frotte les mains je me sais brave
dans mon royaume de vent.

Mohammed Mahdi Al-Jawahiri113

Berceuse pour les affamés

Dormez, affamés, dormez !
Les dieux de la nourriture veillent sur vous.
Dormez, si vous n 'êtes pas rassasiés
Par l 'éveil, le sommeil vous comblera.
Dormez, avec des pensées de promesses onctueuses comme du beurre,
êlées à des mots doux comme du miel.
Dormez et profitez d 'une santé optimale.
Quel bonheur que le sommeil pour les malheureux !

Dormez jusqu 'au matin de la résurrection
Alors il sera temps de se lever.
Dormez dans les marais
Gloutons d 'eaux limoneuses.
Dormez au bourdonnement des moustiques
Comme si c 'était le chant des colombes.
Dormez à l 'écho des longs discours
Des politiciens de grande et éminente puissance.
Dormez, affamés, dormez !

Car le sommeil est l 'une des bénédictions de la paix.
Il est stupide de votre part de vous lever,

semant la discorde là où règne l 'harmonie.
Dormir, car la réforme de la corruption
consiste simplement à continuer de dormir.
Dormir, affamés, dormez !
Ne privez pas les autres de leurs moyens de subsistance.
Dormir, votre peau ne peut supporter
La pluie de flèches acérées à votre réveil.
Dormir, car les cours des prisons
Grouillent de morts violentes,
Et vous avez d 'autant plus besoin de repos
Après la dureté de l 'oppression.
Dormir, et les dirigeants trouveront le soulagement
D 'une maladie incurable.
Dormir, affamés, dormez !
Car le sommeil est plus à même de protéger vos droits
Et c 'est le sommeil qui est le plus propice
À la stabilité et à la discipline.
Dormir, je vous adresse mes salutations ;
Je vous envoie la paix, tandis que vous continuez de dormir.
Dormir, affamés, dormez !
Les dieux de la nourriture veillent sur vous.
Dormir, affamés, dormez !
Les dieux de la nourriture veillent sur vous.
Dormir, affamés, dormez !
Les dieux de la nourriture veillent sur vous.

Kadhem Khanjar114

Amir Ali Jawad

Ta photo est haute en couleur
Ton visage bien rasé et souriant
Tu te tiens debout dans ta tenue militaire
En bas, à droite, la sourate d'al-Fatiha
A gauche, on peut lire : martyr, heureux et héros
Et encore plus bas : mort le 7 novembre 2015

On a collé ta photo sur le mur face à notre maison
Exactement à l'endroit où tu m'attendais chaque jour
Pour aller à l'école

On n'a récupéré que la moitié de ton corps
La maison était piégée

De ses mains trempées de larmes, ta mère se frappe le visage devant la photo
Chaque jour
Et chaque jour
Je prends ta main sur la photo
Et je pars à l'école

** Nazik al-Mala'ika**115

Nouvel An116

Nouvel An, ne viens pas chez nous, car nous sommes des errants
venus d 'un monde fantomatique, niés par l 'homme.
La nuit nous fuit, le destin nous a abandonnés.
Nous vivons tels des esprits errants
sans mémoire sans rêves, sans désirs, sans espoir.
L 'horizon de nos yeux est devenu cendré
gris comme un lac immobile,
comme nos fronts silencieux,
sans pouls, sans chaleur,
dénués de poésie.
Nous vivons sans connaître la vie.

Nouvel An, avance. Voici le chemin qui guide tes pas.
Nos veines sont de roseau dur,et nous ignorons la tristesse.
Nous souhaitons être morts, et rejetés par les tombes.
Nous souhaitons écrire l 'histoire au fil des ans.
Si seulement nous savions ce que c 'est que d 'être attaché à un lieu.
Si seulement la neige pouvait nous apporter l 'hiver et nous envelopper de ténèbres.
Si seulement le souvenir, l 'espoir ou le regret pouvaient un jour barrer la route à notre pays.
Si seulement nous craignions la folie.
Si seulement nos vies pouvaient être perturbées par un voyage,
un choc,
ou la tristesse d 'un amour impossible.
Si seulement nous pouvions mourir comme les autres.

Qui suis-je ?

La nuit demande qui je suis
Je suis ses secrets -- anxieux, noirs, profonds
Je suis son silence rebelle
J'ai voilé ma nature de silence,
Enveloppé mon cœur de doute
Et solennelle, je suis restée ici
à contempler, tandis que les âges me demandent :
Qui suis-je ?

Le vent demande qui je suis
Je suis son esprit confus, que le temps a renié
Moi, comme lui, sans jamais me reposer
Je continue à voyager sans fin
Je continue à passer sans pause
Si nous atteignions un tournant
Nous croirions que c'est la fin de nos souffrances
Et alors -- vide

Le temps demande qui je suis
Moi, comme lui, je suis un géant, embrassant les siècles
Je reviens et leur accorde la résurrection
Je crée le passé lointain
Du charme de l'espoir agréable
Et je reviens l'enterrer
Pour me façonner un nouvel hier
dont le lendemain est de glace.

Le moi me demande qui je suis
Moi, comme lui, je suis déconcertée, le regard perdu dans les ombres.
Rien ne me donne la paix. Je continue à demander, et la réponse
restera voilée par un mirage.
Je continuerai à penser que ça s 'est approché,
mais quand je l 'atteins, ça s 'est dissous,
mort, disparu.

Jeunesse117

C'est en vain que tu rêves, ô poétesse mienne, entre un matin et un soir, sans répit, à ce qu'est cette existence.
C'est en vain que tu demandes pourquoi le secret n'est pas dévoilé, pourquoi l'on ne t'accorde pas le don de briser les chaînes.
A l'ombre du saule, tu as passé tes heures dans la perplexité, sous les coups douloureux que t'infligeaient ces énigmes, questionnant l'ombre, alors que l'obscurité ne sait rien et que les destinées connaissent out ce qu'elle ignore.
Tu regardes toujours l'horizon anonyme, perplexe. Ce qui est caché s'est-il jamais manifesté au jour ? Tu questionnes toujours, et la destinée moqueuse est un silence hermétiquement clos, un silence sans fin.
De quels résultats désespères-tu ? Jamais auparavant un cœur n'a saisi les secrets du monde ; que vas-tu donc rêver de les saisir à son tour ?
Jeune fille, hélas, tu ne comprendras jamais les jours ! Prends-en donc ton parti : il te faudra les ignorer.
Laisse aller cette barque fatiguée. Les destinées la pousseront de leurs mains là où elles veulent la mener.
Qu'as-tu à gagner à lutter contre les vagues ? La misère s'est-elle endormie un seul jour, qui te permettrait de voguer, insoucieuse vers le but que tu as choisi ?
Hélas ! Toi dont la vie s'est perdue dans les songes, qu'as-tu récolté en cette quête, sinon l'ennui ?
Son secret n'a cessé d'être en elle un corps enseveli. Ô gaspillage d'une vie que tu as passée à questionner ! 
C'est le secret de l'existence, trop fin pour que les intelligences puissent jamais le saisir, trop vaste pour que les sages le puissent jamais cerner.
Désespère-toi donc, jeune fille...La vie et ses secrets échappent encore à l'emprise commune. Qu'espérais-tu à la fin ?
Des humains par myriades sont venus en ce monde avant que tu ne viennes. Et puis, ils ont passé, ils ont cessé de vivre.
J'aimerai bien savoir ce qu'ils ont récolté de leurs nuits... savoir vers où ont fui leurs plaisirs et leurs fêtes.
Il ne reste plus d'eux que des tombeaux endeuillés, bâtis sur le rivage de la vie.
Ils ont quitté le lieu clos de l'existence, et les voilà captifs, immobiles, fixés pour jamais dans l'univers des morts.
Combien de fois la nuit triste a-t-elle fait le tour des climats de ce monde ? Combien de fois les êtres se sont-ils soumis à sa loi ?
La nuit a témoigné qu'elle a toujours été exactement semblable à elle -même. Où sont-ils à présent ceux qui hier encore se trouvaient près de nous ?
Comment, ô siècle, tant d'espoirs s'éteignent-ils entre tes paupières et tous ces rêves évanouis ?
Comment les cœurs se fanent-ils, alors qu'ils sont lumière, et comment l'obscurité vit-elle, alors qu'elle est obscurité ?
Comment les ronces persistent-elles, et les fleurs séduisantes, qui leur a appris à flétrir sous l'étreinte du temps ?
Comment les chansons voguent-elles vers la mort, alors que reste vivante la ritournelle moqueuse du destin ?...
Je suis toujours assise sur ma dune de sable dont le silence prête l'oreille aux chansons du jour précédent.
Je ne cesse d'être une petite fille, à ceci près que chaque jour d'avantage m'échappe le sens de ma vie et jusqu'au sens de moi-même.

Oraison funèbre pour une femme sans importance118

Elle nous quitta sans que blêmisse une joue ou frémisse une lèvre
Les portes n'entendirent personne rapporter le récit de sa mort
Aucun rideau de fenêtre suintant le chagrin
Ne se leva pour suivre son cercueil des yeux jusqu'à ce qu'il
disparaisse
Dehors de rares personnes s'émurent de son souvenir
La nouvelle se perdit dans les ruelles sans que se répande son écho
Et se réfugia dans l'oubli de quelques fosses
La lune déplora ce malheur

La nuit n'y porta aucune attention et se rendit au jour
Alors vint la lumière avec les clameurs de la laitière, le jeûne,
Le miaulement d'un chat affamé n'ayant que la peau sur les os,
Les querelles des marchands, l'amertume, la lutte,
Les enfants se jetant des pierres d'un bout à l'autre de la rue,
Les eaux souillées dans les rigoles et les vents jouant seuls aux
portes des terrasses
dans un oubli presque total.

Déshonneur119

« O mère ! » fut le cri de sa nuit,
De son râle implorant,
Tandis que de son corps tremblant 
Sous le poignard s'ouvrait le sang,
A sa chevelure la boue s'était prise. 
« O mère ! » nul que le bourreau ne l'entendit. 
A l'aube de demain, aux roses refleuries,
A l'appel des vingt ans, à l'appel de l'espoir,
Répondra le pré, répondront les fleurs
« C'est pour laver le déshonneur ».

Et le bourreau sans cœur,
Aux gens rencontrés,
Au chemin du retour,
s'en ira raconter
Essuyant son couteau
« Déshonneur, déshonneur, nous l'avons poignardée !
Voici reconquises vertu et liberté,
Avec l'intégrité de notre Renommée.
Holà patron, où sont les vins, où sont les verres ?
Appelle la putain lascive à l'haleine de parfum,
Je veux lui sacrifier avec le Livre Saint le reste de mes jours. »
Remplis les verres  ô bourreau,
Cette exécution a lavé le déshonneur.

A l'aube revenue, aux questions des enfants,
« Où est-elle ? » le monstre répondra,
« Nous l'avons mise à mort.
A notre front la honte de cette tâche
Nous l'avons lessivée ».
Et les voisines diront son atroce histoire
Dans le quartier jusqu'aux palmiers qui la raconteront
Jusqu'aux portes de bois qui ne l'oublieront pas,
Jusqu'aux pierres à voix basse qui en reparleront,
« C'est pour laver le déshonneur,
Pour effacer, hélas, le déshonneur »

Voisines du quartier, ô filles du village,
De nos larmes hélas ! nous pétrirons le pain,
Nous couperons nos tresses, nous meurtrirons nos mains,
Pour qu'ils gardent, eux, leurs vêtements sans tache.
Pas de sourire, pas de joie, pas un regard de côté,
Car le poignard est là qui nous regarde
Au poing de notre père ou de notre frère.
Et demain qui saura où, en quel désert,
On ira nous mettre en terre
Pour laver le déshonneur.

Aya Mansour120

Egarées121

Dans les rues de notre ville
les chemises marchent seules
à la recherche de leurs propriétaires
pendus nus
dans l'armoire du cimetière

Al Mutanabbi122

Un sabre et un livre

Puisqu'il faut que l'homme meure, qu'au moins ce ne soit pas en lâche !
Je me passe de patrie et n'ai nulle envie de revoir un pays que j'ai quitté.
Je n'accorde à la femme qu'un instant de ma vie puis un désert nous sépare, sans retour.
Mon cœur n'est pas la proie des belles et mes doigts n'enfourchent pas les coupes.
C'est aux fers de lances que vont mes désirs. Les femmes, pour des gens de ma trempe, ne sont qu'un jeu futile.
Nous frappons de nos sabres, tandis que se brisent les lances contre les flancs de nos chevaux.
Y-a-t-il endroit plus noble ici-bas que la selle d'un coursier, et meilleur confident dans cette vie qu'un livre ?
L'homme supérieur, où qu'il soit, est, partout, solitaire.

La mort avide

L'homme, un jour, doit s'allonger dans la tombe pour y dormir d'un sommeil éternel,
Oubliant sa morgue passée et les tourments que lui a fait goûter la Mort.
Les pacifiques et les doux ont la même fin que les enragés de guerre et de violence.
Que de paupières que l'on baisait avec affection et déférence sont, aujourd'hui sous la terre, fardées de sable et de poussière.
La Mort avide prend les vies les plus précieuses.

Qui se targue des biens amassés sur cette terre est un sot.
Où est celui qui a construit les pyramides ? Et son peuple, où est-il ? Quand est-il mort ? Et comment ?

Les œuvres survivent un temps à leurs créateurs puis le néant les engloutit à leur tour.
L'homme s'accroche à la vie pour les plaisirs qu'elle lui donne.

La vieillesse est sagesse et la jeunesse futile.
Mais je l'ai pleurée cette jeunesse, quand mes tempes étaient encore noires et mon visage radieux !

À sa grand'mère

Que Dieu t'assiste, toi l'esseulée,
Morte de nostalgie, qui pourrait te blâmer ?
Par crainte pour sa vie de son vivant je la pleurais.
Chacun de nous fut l'unique aux yeux de l'autre.
Si l'éloignement tuait tous les amants
de son départ le pays aurait été anéanti.
Après tant de peine, ma lettre lui est parvenue,
De joie elle en est morte et moi de chagrin,
Que la gaieté me soit désormais interdite !
Poison est la joie dont elle est morte :
Elle fut déconcertée par mon écriture et mes paroles
Comme si elle voyait à travers les lettres des corbeaux blancs
L'embrassant jusqu'à ce que sa bouche
Et les contours de ses yeux soient par l'encre noircis.
Ses larmes cessèrent de ruisseler, ses paupières séchèrent
Et mon amour qui l'avait blessée quitta son coeur.
Seule la mort pu la consoler, la maladie fut dissipée
Par ce qui est plus fort que la maladie.

Âme en flammes

Insomnie sur insomnie ! Qui, dans mon cas, pourrait dormir ?
Un feu qui brûle toujours plus fort et une larme qui coule.
La rançon de l'amour, c'est un œil que plus jamais le soleil n'habite

Et un cœur qui bat la chamade.
Qu'un éclair luise ou qu'un oiseau chante et mon âme enflammée tressaille.
L'amour m'a brûlé d'un feu si intense qu'il éteindrait celui des « ghada ».
Je blâmais les amants jusqu'au jour où j'ai goûté à l'amour.

Alors, étonné, je me suis demandé comment on pouvait mourir sans avoir jamais aimé !

Muzaffar al-Nawwab123

J'avoue devant...

(...) J'avoue devant le Désert
Que je suis banal, scélérat et triste
Comme votre défaite
Ô hommes honorables vaincus
Ô dirigeants vaincus
Ô peuples vaincus
Comme nous sommes sales, comme nous sommes sales, comme nous sommes sales. Comme nous sommes sales,
je n'exclus personne.

Pardonnez ma tristesse, mon vin, mon indignation et mes mots durs.
Certains d'entre vous diront qu'ils étaient impertinents.
D'accord !
Montrez-moi donc une situation plus insolente que celle dans laquelle nous vivons !

Ma'ruf al-Rusafi124

à Ameen Rihani

Amine, tu es venu en Irak, désireux de voir
Et comme c 'était unique :
Pardonne-moi, mais l 'étoile s 'est éteinte ;
Après l 'obscurité, les gens ne cherchent que la discorde.
Tu dois savoir :
L 'Irak, bien que beau, est parsemé de vides
Et ils envahissent les lieux habités.
Les anciennes pluies fertilisantes
Sont toujours les mêmes, mais rien ne peut plus prospérer.
Car les pluies coulent dans des directions différentes,
Et chaque printemps est ce qu 'il était.
Mais maintenant, chaque fois qu 'il revient, il se plaint
De la stérilité, et les gens sont
Captifs de l 'ignorance.

Amine, ne sois pas en colère :
De tous mes mots, je trouve des preuves.
Comment peux-tu espérer
Du progrès, si la voie que nos dirigeants
empruntent dérègle
La vraie voie irakienne ?
Qui peut trouver du bien dans un pays où les épées sont aux mains des lâches
et des avares, manipulent les riches
et la sagesse est réservée aux exilés.
Le savoir appartient aux étrangers et le pouvoir aux intrus,
d 'où viennent les quelques-uns qui tyrannisent.

Fragments d'amour

Elle apparaît au loin comme un narcisse sauvage desséché, flétri et jaune.
L 'endroit où elle se lève (l 'orient où le soleil se lève) sourit le matin et se remplit de sang le soir lorsqu 'elle voit ton visage.
Elle s 'est progressivement rapprochée du coucher du soleil après avoir quitté la partie la plus lumineuse du ciel.
Alors qu 'elle se couche à l 'ouest, le soleil relève ses jupes et prend l 'aspect d 'un amant émacié.
Avant de disparaître, elle tremble comme un amant qui exploserait son lit tant qu 'ils sont amoureux.

La veuve qui allaite

Je l 'ai trouvée. J 'aurais aimé la rencontrer.

Elle marche avec le plus lourd des fardeaux.

Ses robes sont miteuses et l 'homme est pieds nus.

Des larmes ont coulé de ses yeux.

Elle a pleuré de pauvreté, et ses larmes sont devenues rouges.

Et jaunes comme les couleurs de la faim sur son visage.

Matt la protégeait et la rendait heureuse.

Après lui le temps de la pauvreté la plus misérable.

La mort l 'a frappée, et la pauvreté l 'a frappée.

Et l 'inquiétude, je l 'ai oubliée, et le chagrin, je l 'ai perdu.

Quand la poésie a un noble but humain.

Badr Shakir al-Sayyab125

Car je suis un étranger

Irak bien-aimé
Et lointain, et moi ici, dans mon désir
Pour lui, pour lui... Je crie : Irak
Et de mon cri revient une lamentation
Un écho éclate
Je sens que j 'ai traversé l 'étendue
Vers un monde en décadence qui ne répond pas
À mon cri
Si je secoue les branches
Seule la décadence en tombera
Pierres
Pierres -- pas de fruits
Même les sources
Sont des pierres, même la brise fraîche
Pierres mouillées de sang
Mon cri est une pierre, ma bouche un rocher
Mes jambes un vent errant dans les étendues désolées

Retour à Jaykour126

Sur le coursier du rêve
Je suis parti à travers les collines,
Fuyant la ville, ses tournoyantes poussières
Son souk plein de marchands,
Son aube basse,
Sa nuit sifflante et ses passants,
Sa lumière sans couleur,
Son dieu lavé avec le vin,
Sa honte cachée dans des fleurs,
Sa mort glissant sur le fleuve,
Marchant sur ses flots endormis.
Ah, si l'eau se réveillait
Et si la Vierge venait y boire,
Si le soleil blessé du couchant
Venait se rafraîchir, ou s'il se levait,
Si les branches du crépuscule fleurissaient.
Si les maisons de luxure fermaient leurs portes !

Sur le coursier du rêve,
Sous le soleil du levant vert,
Dans l'été généreux et riche de Jaykour,
J'ai marché sur une route longue et sans fin,
J'ai marché entre la rosée, les fleurs et l'eau,
Cherchant à l'horizon une étoile,
Une naissance de l'Esprit sous le ciel,
Une source pour éteindre le feu de la soif,
Un gîte pour le voyageur las.

Jaykour, Jaykour, où est l'eau, où est le pain ?
La nuit tombe, et les guides se sont endormis,
Et la caravane veille, tourmentée par la faim et la soif,
Et le vent hurle, et l'horizon n'est qu'écho
Désert d'on on ne voit pas la route au bout,
Ciel d'une nuit aveugle,
Jaykour ouvre-nous une porte pour entrer
Ou envoie-nous une étoile pour nous éclairer.

Agonie et non mort,
Parole et non voix,
Douleurs de l'enfantement et non naissance,
Qui crucifiera le poète à Bagdad ?
Qui achètera ses deux mains ou ses deux prunelles ?
Qui transformera sa couronne en épines ?
Jaykour, O Jaykour,
Les fils de la lumière
Ont tendu le filet du matin,
Fais avec mes blessures
Un festin aux oiseaux et aux fourmis,
Voici mon pain, vous qui avez faim,
Voici mes larmes, Vous les malheureux,
Voici ma prière, Vous les dévots :
Que le volcan rejette sa lave,
Que l'Euphrate envoie son déluge
Pour que les ténèbres voient le jour,
Et que nous connaissions la miséricorde.
Jaykour, O Jaykour,
Les fils de la lumière
Ont étendu le filet du matin,
Avec mes blessures
Fais un festin aux oiseaux et aux fourmis.

Ce cheval est plus fort que les murailles,
« Le plus fort des coursiers du rêve »,
Le fer est devenu mou,
Et le cortège a été vaincu.
Jaykour, ton passé est revenu. 

Voici le chant du coq : le sommeil a fui
Et je suis revenu de mon grand voyage :
Le soleil, père des épis verts
Est comme un pain, derrière les maisons,
Mais sur les trottoirs
Il est plus précieux que l'or.
Et l'amour : « Entends-tu
Ces cris violents ?
Mais que nous importe ?
Abd al --Latif sait que nous... de quoi as-tu peur ? »
Et mon âme s'envola, et le train siffla,
Et des larmes perlèrent à mes yeux,
Et un nuage me porta, et il partit.
O soleil de mes jours, n'y aurait-il plus de retour ?

Jaykour, dors dans la nuit des années.

Brûlant

Et même lorsque je sentais ton corps de pierre dans mon feu
Et que j 'arrachais la glace de tes mains, entre nos yeux
Persistent d 'immenses étendues de neige qui dévorent le voyageur nocturne
Comme si tu me voyais à travers la brume et le clair de lune
Comme si nous ne nous étions jamais rencontrés dans l 'espoir et le désir

L 'espoir de l 'amour est une rencontre... où donc nous sommes-nous rencontrés ?
Ton corps nu est déchiré
Tes seins, sous le toit de la nuit, sont déchirés par mes ongles
Mon ardeur a tout déchiré, sauf les voiles
Qui cachent en toi ce que je désire
Comme si le sang que je bois de toi était du sel
Des gorgées entières ne suffisent toujours pas à ma soif

Où est ta passion ?
Où est ton cœur à nu ?
Je te verrouille la porte de la nuit, puis je l 'embrasse.
J 'y cache mon ombre, mes souvenirs et mon secret.
Puis je te cherche dans mon feu.
Et je ne te trouverai pas, je ne trouverai pas tes cendres dans la flamme ardente.
Je me jetterai dans la flamme, qu 'elle brûle ou non.
Tue-moi, afin que je puisse t 'abattre.
Tue la pierre.
D 'une effusion de sang, d 'une étincelle de feu.
... ou brûle alors sans feu.

Poème sumérien127

Poème d'amour au roi Shu-Sin

Époux, cher à mon cœur,
grande est ta beauté, douce comme le miel,
Lion, cher à mon cœur,
grande est ta beauté, douce comme le miel.

Tu m'as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi;
Époux, je voudrais être conduite par toi dans la chambre.
Tu m'as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi:
Lion, je voudrais être conduite par toi dans la chambre.

Époux, laisse-moi te caresser:
ma caresse amoureuse est plus suave que le miel.

Dans la chambre, remplie de miel,
laisse-nous jouir de ton éclatante beauté
Lion, laisse-moi te caresser:
ma caresse est plus suave que le miel.

Époux, tu as pris avec moi ton plaisir:
dis-le à ma mère, et elle t'offrira des friandises;
à mon père, et il te comblera de cadeaux.

Ton âme, je sais comment égayer ton âme:
Époux, dors dans notre maison jusqu'à l'aube.
Ton cœur, je sais comment réjouir ton cœur:
Lion, dormons dans notre maison jusqu'à l'aube.
Toi, puisque tu m'aimes,
donne-moi, je t'en prie, tes caresses.
Mon seigneur dieu, mon seigneur protecteur,
Mon Shu-Sin qui réjouit le coeur d'Enlil,
Donne-moi, je t'en prie, tes caresses.

Ta place douce comme le miel,
je t'en prie pose ta main sur elle,
pose ta main sur elle,
referme en coupe ta main sur elle comme un manteau Gishban,
referme en coupe ta main sur elle
comme un manteau Gishban-Sikin,
Ceci est un poème Balbale d'Inana128

Abd al-Wahhab al-Bayati129

Amants en exil130

(...)

Là-bas dans les vases périssent les fleurs
Et le soleil embrasse les maisons.
Et la chanson des enfants Poursuit la ronde ancienne
Et les vendeurs ambulants Et les cœurs insouciants
Marchandent toujours
Les restes de ce petit aigle qui s'appelle « conscience »

Et ces gens-là et toi et moi
Telle la chèvre lépreuse qu'évite le troupeau
Nous sommes sans printemps
Sans printemps ni maison
u coucher du soleil à son lever
Et du lever au coucher
Nous restons à attendre ce qui n'arrive pas.

Rien  n'est vivant de ces murs affreux
Et de ces ruelles
O malheureux dans ces ruelles
Rien n'est vivant
Ici le terrible néant ici
Rien que le terrible néant
Et le soleil se couche et les enfants
Baillent au seuil des maisons
Et les cœurs insouciants
Marchandent en bavardant
« Vendre des aigles est plus profitable
Que le commerce des poteries et des fleurs "

Et ces gens-là et toi et moi nous attendons
Et la nuit tel un chien acharné
Nous assaille à travers les murs.
Et moi ? Et toi ? Je suis seul
Comme la stérile goutte de pluie je suis seul.
Et ces gens-là ?
Comme toi, comme moi, ils creusent le mur
Pour échapper à leur tombe
Comme toi, comme moi, ils espèrent
En une chose plus forte que la ruine
Ces gens-là et toi et moi
Telle la chèvre lépreuse qu'évite le troupeau
Notre effort est vain
Et s'il demeure quelque chance
Elle s'en viendra tomber
A ce mur impossible à franchir
A ces cœurs insouciants
Car tout effort est vain
A ces gens-là, à toi et à moi ;
Les cœurs insouciants et le soleil des nues 

Tristesse de la violette131

Les multitudes qui travaillent
Ne rêvent pas à la mort du papillon
Ni aux tristesses des violettes
Ni au voile qui scintille
Sous la lumière de la lune verte des nuits d'été
Ni aux amours du fou avec son fantôme

Les multitudes qui travaillent
Qui se dépouillent
Qui se déchirent
Les multitudes qui fabriquent le bateau du rêveur
Les multitudes qui tissent les mouchoirs des amants
Les multitudes qui pleurent
Qui chantent qui souffrent
Tout autour de la terre
Dans les usines de fer, au fond des mines
Qui mâchent le soleil des morts certaines

Rient parfois aux éclats
Tombent amoureuses
Mais pas comme le fou d'un fantôme
Sous la lumière de la lune verte des nuits d'été
Les multitudes qui pleurent
Qui chantent qui souffrent
Sous le soleil de la nuit
Rêvent de leur pain quotidien.

Saadi Youssef132

Martil

C'est bien de virer vers Tétouan,
d'y rester un peu,
d'être libéré d'une pince, les deux montagnes
qui enserrent Tétouan depuis la rose de Tétouan,
une blanche
colombe
dans une cage de montagnes.
Il n'y a d'échappatoire que vers le large,
le sable qui nous évite de toucher la roche,
l'eau où nous débarquons comme si nous tombions dans un secret,
l'Atlantide s'est dissoute dans les lentes vagues du sommeil.
Nous sommes maintenant à Martil
entre bleu bleu et blanc,
entre mer et sable,
entre une tasse et une autre.
Nous sommes pieds nus dans le vieux bar presque désert,
qui arbore encore un air espagnol d'antan.
Un chat arrive,
un chat doit venir nous rejoindre
pour faire avancer le terrain dans la nuit.

Trains allemands

Où tous ces trains emmènent-ils leurs passagers ?
Ils rugissent à l'aube,
la nuit,
à midi.
Même l'oreiller tremble de peur devant ces trains,
le saule du quartier tremble,
la porte de la brasserie,
le magasin asiatique
et la statue de Bouddha.
Même la rosée tremble.
Où emmènent-ils leurs passagers ?
Où vont-ils les jeter ?
Où vont-ils ?
Le monde a retrouvé ses esprits, nous le savons.
Encore . . .

Ces trains vont en sens inverse
(vers des gares d'il y a deux siècles)
en grondant avec leurs passagers,
leurs passagers sans méfiance133.

Jamil Sidqi al-Zahawi134

Poètes en enfer

Après une inspection plus approfondie,

J'en vins à la conclusion suivante :

Nul en enfer n'est un imbécile,

Car l'imbécile gît au paradis.

Alors je fus accueilli par al-Mutanabbi,

Puis par le poète aveugle al-Ma'arri.

Aussi majestueux que l'océan, tous deux affichaient leur grandeur,

Même en enfer, ils étalaient leur grandeur.

Puis je vis Bachar se faire étrangler.

Son visage macabre, couvert de cloques, était ébouriffé,

Abou Nawas suivait, l'air abattu.

L'ivrogne joyeux ne semblait plus ravi.

Comme lui, les grands Khayyam et Dante,

Shakespeare et Imru' al-Qais,

endurant une peine,éternelle

pour avoir manqué de foi en leur poésie.
Puis j 'entendis la voix de Khayyam,
Réjouissant la foule,
Chantant avec une splendeur incomparable,
Les versets de sa franche poésie :
 Comme je te désire, Ô vin,
Pour me secourir, Par ta présence.
Les flammes ne m 'affligent pas.
Si tu étais là, Ô vin,Je caresserais les flammes.
Car elles me fascineraient, Comme un rubis,
L 'abîme m 'a enlevé,Mais avec toi mon âme revient. »

ISRAÉLIENNE

Yéhudah Amihaï135

Mon fils a un parfum de paix

Mon fils a un parfum de paix
quand je me penche sur lui,

et n'est pas que l'odeur du savon.
Chacun de nous a été un enfant au parfum de paix
(et dans tout le pays il n'y a plus un
seul moulin-à-vent qui tourne)
Ô pays déchiré comme des vêtements
qui ne peuvent plus être rapiécés
et de durs et solitaires ancêtres dans les caveaux.
Silence mutilé d'enfants.
Mon fils a un parfum de paix.
le ventre de sa mère lui a promis
ce que Dieu ne peut nous promettre136.

Quel dommage, nous étions une si belle invention

Ils ont amputé tes cuisses de mes hanches
Pour moi, ce sont toujours des chirurgiens.
Tous.
Ils nous ont démantelés.Un à un
Pour moi ce sont toujours des ingénieurs.
Tous.

Quel dommage.
Nous étions une si belle tendre invention.
Un avion fait d'un homme et d'une femme.
Des ailes et tout le reste.
Nous planions un peu au-dessus de la terre.

Même nous volions un peu137.

Dieu plein de pitié

Dieu plein de pitié dit la prière des morts.
Si Dieu n'était pas plein de pitié,
La pitié aurait été dans le monde,
et non seulement enclose en lui.
Moi, qui ai cueilli des fleurs dans les collines
et baissé les yeux vers toutes les vallées,
Moi qui ai descendu les cadavres des collines,
je peux vous dire que le monde est totalement vide de pitié.

Moi, qui fus Roi du Sel à la Mer Morte,
qui me tenais sans but à ma fenêtre,
qui comptait les pas des anges,
dont le cœur se soulevait du poids de l'angoisse
dans les terribles disputes.

Moi qui n'utilise qu'une si faible partie
des mots du dictionnaire.

Moi, qui dois déchiffrer des énigmes
je ne veux pas déchiffrer.
Sachez que si ce n'était ce Dieu plein de pitié
il y aurait de la pitié en ce monde,
et pas seulement en lui138.

Touristes

Un jour, j'étais assis sur les marches
près d'une porte à la Tour de David
J'avais posé mes deux lourds paniers à mes côtés.
Un groupe de touristes entourait
leur guide et je devins leur point de repère.
Vous voyez cet homme avec les paniers ?
Juste à droite de sa tête, il y a une voûte datant
de l'époque romaine. Juste à droite de sa tête.
Mais il s'en va, il s'en va !
Je me suis dit : la délivrance ne surviendra que si
leur guide leur dit :
Vous voyez cette voûte datant de
l'époque romaine ? Ce n'est pas important, mais à côté,
à gauche, un peu vers le bas, un homme est assis
qui a acheté des fruits et légumes pour sa famille.

Mon aimée n'était pas à la guerre
elle apprend l'amour et l'histoire
de mon corps, et de ses guerres
Et la nuit quand mon corps transforme
la guerre en paix, elle est surprise.

David Avidan139

Ration de bataille

Boire de l'eau lourde
respirer de l'air pur de l'armée de l'air
revêtir un uniforme et des vacances
battre les battus
descendre à la vie des descentes
monter au décollage facile
perdre les pertes perdues
et retrouver tout le monde d'un coup
et ne pas perdre de fluides
et non pour donner de l'argent ou du sang
parce que le monde est rempli d'escrocs
et que vous n'êtes pas de leur côté
mais pour attendre l'avenir
les yeux grands ouverts
maintenant Avidan David
se condamne à l'oubli
et se rappellera à nouveau
dans encore deux mille ans
et surgir faiblement de la mort
avec les yeux collants du sommeil
et boire de l'eau transparente
et respirer dans une armada spatiale lointaine
et voir la vie belle et nue
sans loi et ordre,
puis il échangera
quelques mots avec eux dans leur langue

Et tu es permis à tout homme

un homme vit avec une femme pendant des mois et des années
ils partagent l'amour et la joie et la haine et les poignards
et dorment au petit matin sur des couvertures sans draps
ils n'ont pas d'enfants et ils dorment comme des petits enfants
les murs se déploient sur eux et le plafond chuchote des nuages
​​Dieu est au paradis et demain est un nouveau jour les gens changent
pour le meilleur et pour le pire c'est une affaire délicate

un homme vit avec une femme et échange des substances avec elle
leurs âges biologiques se combinent et une lueur étrange s'installe
et ils se déplacent de pièce en pièce et ne s'entendent
ni entre eux ni entre eux ni avec personne d'autre
qu'eux on est ensemble depuis qu'ils se sont accrochés
et deux cornes de bélier sont collées à la fenêtre comme un couple d'oiseaux
attention les enfants l'été est fini les nuits sont déjà froides

un homme et une femme vivent seuls ils n'ont pas d'enfants
il est seul et elle est seule tous les deux seuls
ils ont beaucoup de connaissances et quelques admirateurs
il est spécial et elle est spéciale les deux sont spéciaux
il accumule les possibilités et les documents et elle accumule des vêtements
qu'ils ne partagent que sexe et solitude et désespoir et peur
et à un certain moment c'était assez évident dès le début ils se sont séparés

un homme vit avec une femme pendant deux ans dans un appartement
avec des meubles de fortune et des terreurs anciennes et pas de bonnes nouvelles
un homme vit avec une femme dans un appartement loué
et l'aime et elle lui il a dit qu'elle a dit
que tout avait commencé d'une manière ou d'une autre l'année dernière
quand c'était merveilleux et ça a mal tourné de manière inattendue
il n'y a pas de nuages ​​dans le ciel et pas de Dieu au plafond

un homme vit avec une femme et maintenant c'est fini
il fait ses valises et elle fait ses bagages bref et simple
ils ne partagent rien d'autre que des ténèbres blanches et des scintillements indéfinis
et un placard et des tapis et un peu de liquide de nettoyage supplémentaire
un homme vit avec une femme et maintenant ça plante
et deux cornes de bélier à la fenêtre battent des ailes comme un couple de pigeons
ce qui était était et ce qui est fini est fini

Poèmes locaux

(...) L'homme accroche son pantalon et planifie sa virilité accroche son pantalon à une chaise et prend
position
position concernant ses futurs poèmes et fait tomber une jambe
baisse une jambe jette un coup d'œil dans le miroir et fait un film
fait un film accroche son pantalon et plan
prend position sur ses plans futurs et baisse
puis lève les yeux dans le miroir et fait un film
l'homme met son pantalon et manie son règne
tant de pieds de son entrejambe à sa fermeture éclair
jusqu'ici ses dettes d'ici ses retours
l'homme porte son pantalon tranche sa terre
est ouest nord sud et partout où
la Sixième Flotte et la Flotte Rouge peuvent atteindre

Quand l'homme se lève le matin, l'homme met
son pantalon et ouvre instantanément le feu sur
son lit sa terrasse ses livres
sur les jets d'eau qui le poursuivent
un homme somnolent se lève le matin sans
avoir peur de mettre son pantalon et d'ouvrir le feu saison l'homme harcèle une machine à écrire et retarde son sommeil de combien de minutes heures d'années va-t-il rester alerte l'homme alerte sa machine à écrire et harcèle son sommeil l'homme rentre dans son appartement et allume une machine plus ou moins la bonne machine l'homme allume une alerte-machine et retarde son sommeil
pendant combien de minutes heures d'années restera-t-il alerte
dans cet appartement dans ce pays et partout où la Sixième Flotte
et la Flotte Rouge peuvent atteindre dépenses Deux mots sur le statut problématique des érections sur fond de déclin de la lutte des classes et du durcissement des positions des superpuissances : il est clair, par exemple, que chaque durcissement visible est de plus en plus visible vis-à-vis d'un assouplissement140,

Renversement

Tous les projets non réalisés
sont le meilleur matériau pour la poésie
ainsi que le contraste de tous les temps
entre poètes et hommes d'affaires.

Ce que font les hommes d'affaires
peut être important, mais ce n'est pas de la poésie.
Mais ce que les hommes d'affaires veulent faire
- mais ne font pas -
est clairement un certain type de poésie,
à condition que les poètes expriment leurs lacunes.

Haïm Naham Bialik141

À l'oiseau

Je salue ton retour, charmant oiseau,
Qui des terres du soleil reviens à ma fenêtre --
J'ai tant aspiré à entendre ton doux chant
Depuis qu'un jour d'hiver tu quittas ma demeure !

Chante, raconte-moi, mon oiseau bien-aimé
Les merveilles de ces lointaines contrées ;
Ce beau, ce chaud pays connaît-il lui aussi
Tant de malheurs, tant de tourments ?

La rosée tapissera-t-elle comme des perles le Hermon
Ou coulera-t-elle comme des larmes ?
Comment se portent les eaux limpides du Jourdain ?
Et toutes les montagnes, et toutes les collines ?

Mais je n'ai plus de larmes tout est fini déjà
Seule ma peine est sans fin
Je salue ton retour mon oisau bien-aimé
Fais retentir ton chant joyeux142 !

Massacre

O cieux, implorez grâce pour moi !
S'il est en vous un Dieu, et vers lui un chemin ---
Que je n'ai pas trouvé ---
Priez, priez pour moi
Mon cœur est mort, et de mes lèvres la prière est absente,
Ma force m'abandonne, tout espoir m'a quitté ---
Jusqu'à quand, jusqu'où, jusqu'à quand ?

Bourreau ! Voici mon cou --- lève-toi, égorge-moi !
Abats-moi comme un chien, ta main est armée d'une hache,
Et pour moi l'univers n'est plus qu'un échafaud ---
Et nous --- nous sommes insignifiants !
Ma mort est légitime --- frappe ma nuque, et que le sang du meurtre
D'enfants et de vieillards jaillisse sur ta chemise,
Et jamais ne s'efface.

S'il est une justice --- qu'aujourd'hui elle paraisse!
Mais si elle se dévoile après que j'ai quitté
Le monde d'ici-bas,
Que son trône soit à jamais anéanti !
Et que les cieux pourrissent dans une éternelle iniquité;
Quant à vous, démons, allez dans votre ignominie,
De votre sang vivez, nourrissez-vous.

Et maudit soit celui qui crie vengeance !
Satan lui-même n'a pas encore conçu la peine
Qui du sang d'un enfant puisse être la vengeance ---
Puisse ce sang pénétrer jusqu'au fond de l'abîme !
Puisse-t-il envahir l'abysse des ténèbres,
Et dans l'obscurité, éroder et ronger
Les fondements décomposés de l'univers entier143.

Rachel Blaustein144

A mon pays

Je ne t'ai pas chanté, mon pays,
Et je n'ai pas glorifié ton nom
Par de victorieux exploits,
Par les prises de guerre.
Rien qu'un arbre -- mes mains ont planté
Aux bords paisibles du Jourdain,
Rien qu'une sente -- mes pieds ont foulé
A travers la campagne.

Certes très pauvre --
Je le sais, mère,
Certes très pauvre
L'offrande de ta fille.
Rien que l'écho d'un cri de joie
Au jour où brille la lumière,
Rien qu'un sanglot voilé
Sur ta peine.

Leah Goldberg145

Sur moi-même

Mes jours sont gravés dans mes poèmes
telles les années dans les anneaux d'un arbre
telles les années de ma vie dans les rides de mon front.

Je ne possède pas de mots difficiles---
des valves d'illusion.
Mes images sont
aussi transparentes
que les fenêtres d'une église :
à travers elles
on peut voir
comment la lumière du ciel change
et comment mes amours
défaillent
tels des oiseaux mourants146.

Voyage sans nom

Cela doit faire des semaines
que personne ne m'a appelée par mon nom
la raison en est si simple
dans ma cuisine les perroquets
ne l'ont pas encore appris
aux quatre coins de la ville
les gens ne le connaissent pas
il n'existe que dans des papiers
dans des écrits
couché
sourd
muet
aphone.

Des jours entiers
je marche sans nom
dans des rues dont je connais le nom
je m'assieds sans nom
face à un arbre dont je connais le nom
je pense sans nom aussi
à celui dont je ne connais pas le nom.

Dan Pagis147

Témoignage

Non non : c'étaient bien
des êtres humains : uniformes, bottes.
Comment expliquer? Ils ont été créés
à l'image.

J'étais une ombre.
Un créateur différent m'a créé.

Et lui, dans sa miséricorde, n'a rien laissé de moi qui mourrait.
Et je me suis enfuie vers lui, rose en apesanteur, bleue,
pardonnante -- je dirais même : s'excusant --
fumée à fumée toute-puissante
sans image ni ressemblance.

Europe, il est tard

Dans le ciel se soulèvent des violons
Et un canotier. Excusez-moi, Madame, quelle année est-il ?
Trente-neuf et demie environ, il est encore tôt, très tôt,
On peut fermer la radio.
Faites connaissance, je vous prie : voici la brise marine,
âme vivante de la promenade,
Si polissonne,
Qui fait tourner les robes-cloche et battre
Des journaux inquiets : tango ! tango !
Et le jardin public se fredonne
Je vous baise la main, Madame,
Une main fine comme
La peau d'un gant blanc,
Tout se mettra en place
Comme dans un rêve,
Ne vous inquiétez pas tant, Madame,
Ici, ça n'arrivera jamais,
Vous verrez plus tard,
Ici jamais

Ein leben

Au mois de sa mort, elle se tient près du cadre de la fenêtre,
une jeune femme avec une vague permanente élégante.
Elle semble être d'humeur contemplative
alors qu'elle se tient là, regardant par la fenêtre.

À travers la vitre, un nuage d'après-midi de 1934
la regarde, flou, légèrement flou,
mais son fidèle serviteur. De l'extérieur,

c'est moi qui la regarde, quatre ans presque,

retenant ma balle,
sortant tranquillement de la photo et vieillissant,
vieillissant prudemment, tranquillement,
pour ne pas l'effrayer148.

Israël Pincas149

Retour

Retour à la
Grèce classique
A cause de ce qui s'y « fige ».
Comme celui qui trouve
Un grain de blé
Conservé, dans le tombeau d'une pyramide.

Ou l'effervescence de la première
Rencontre avec le cubisme :
elle aussi a sa place ici.
Le voyage de la ligne brisée,
le poème "Sans sujet".

Après des années
sous les tropiques,
le début du froid150.

Gabriel Préil151

Des lacs

Le lac de glace est lacéré d'égratignures blanchissantes.
Des silhouettes joyeuses avec l'hiver se déplacent dessus et gèlent
Vomies de quelque part par le temps aveugle
Qui brûle et est là.

Le deuxième lac au-dessus, traversé d'entailles de lumière et de nuages,
Qui a été le témoin éternel du temps et s'y est conformé,
Est surpris par un avion en cercle pointu ou par une autre lune humaine,
Fendant ses vagues en grand ouvert.

Les couteaux bleus de la glace
Seront comme des fleurs en souvenir Où
les ombres de la neige glissent
Comme de l'argent et comme de la laine.

Avant que la mélodie vacille pour la dernière fois sur un lac
Et que le monde connaissable soit décédé.

Un avenir sans peut-être

J'efface tellement de noms
De mon petit carnet. ils ne sont pas.
Supprimez-les d'abord
le plus miséricordieux
L'envahisseur bondissant
de la forêt de ses ombres.

Je supprime nom après nom
De mon petit carnet. me sentir
doit de sombres châtiments, 
Comme si je n'étais pas devant toi
a fait ce qu'il a fait
Avant

Bien sûr, je ne suis qu'un bloc-notes
que les faits glaciaires
les signe comme une phrase
ça va m'envahir aussi
dans un avenir pas-peut-être152

Yonatan Ratosh153

Dans la salle...

Dans la salle en bois du père du temps
Dans la main de qui est l'âme de toute chair 
Aux pieds de qui s'inclinent tous les êtres vivants.

Cet homme a connu l'Affliction et sa verge.
Cet homme a cessé ses travaux  Bound pour la maison. 
La justice marchera devant lui
Éclairant son chemin
La justice porte le bouclier devant lui dans les ténèbres
La justice marchera devant lui.
Au cœur des abîmes jumeaux
Au cœur du ciel et de la terre
À la salle en bois du père des années,
Dont la main a donné la couronne de Baal
Dont la main a donné la puissance d'Anat
Dont la main a donné la sagesse de Kothar
Dont la main a donné le bien d'Astarté
A sa droite --- la corne de Baal
A sa gauche --- le poids de Mot.
El au pignon puissant
Qui ombrage les coins du monde
Qui rend justice dans vos profondeurs,
Justice dans le ciel et sur la terre, 
Bénissez celui qui retourne vers ses parents.
Bénis l'âme de Ton serviteur
Allé  à jamais 
Vers son repos. 
La justice marchera devant lui
Éclairant son chemin
La justice porte le bouclier devant lui dans les ténèbres
La justice marchera devant lui.

Abraham Shlonsky154

Habillez-moi...

Habillez-moi, bonne mère, d'un magnifique manteau aux mille couleurs
Et avec l'aube, conduisez-moi au travail.
Ma terre s'enveloppe de lumière comme un châle de prière,
Les maisons se dressent comme des phylactères,
Et comme des bandes de phylactères glissent des routes asphaltées posées à la main.

Ainsi une belle ville offre sa prière du matin à son créateur.
Et parmi les créateurs, ton fils Abraham,
Poète constructeur de routes en Israël.

Et vers le soir, au crépuscule, le père revient de ses travaux
Et comme une prière chuchote avec plaisir :
Mon fils bien-aimé est Abraham :
Peau, nerfs et os.
       Alléluia!

Habillez-moi, bonne mère, d'un splendide manteau aux mille couleurs
Et à l'aube conduisez-moi155

Avot Yeshuron156

Berceuse pour le quartier de Nordia

Les bédouins venus de Pologne sans
plan préétabli se répandirent rue
Balfour face à Ohel Shem maintenant et sur
la pente face aux sycomores maintenant Nordia.

Et ils étaient dans des tentes et ils étaient dans des
cabanes et ils étaient dans des baraques.
Une poignée de porte largeur d'une porte des toits.
Et des toits s'envolaient comme des gosses et se déguisaient.
Et l'été et l'hiver rue Dizengoff.

Puis alentour se dressèrent des demeures princières,
et des maisons de cèdre s'étendirent sur les baraques.
Tel-Aviv, ville sainte, tu n'as pas
de berceuse. Hier, c'était.

En toi, j'ai marché toutes choses à pied,
comme le cheval mange à même la terre.
Et quelquefois je donne ma vie
pour chaque robinet oublié ouvert.

J'ai marché en toi dans la petite ville que j'ai abandonnée.
Dans ta ville à toi, dans ma petite ville à moi.
Ma petite ville qui est dernière ton dos
et moi-même, moi -- tout ça jeté vers toi.

J'ai marché toutes choses en toi.
Primo, on a détruit la première maison.
Secundo, on a détruit la deuxième maison :
un bulldozer est arrivé, s'est rué sur la maison.

Des amis « que père avait achetés ».
Un jour je mets ma main sur son épaule,
et lui la main sur ta cuisse.
Ainsi te quittent tous tes amis.

Et dans la ville pas de funérailles pour moi sinon celle
d'Ahad Ha-Am, Bialik, Nordau -- dont le nom atteste
l'existence du quartier qui porte son nom.
Car tu as broyé Nordia comme on écrase un testicule.

Lyber

Viendra un jour...

Viendra un jour où
personne ne lira les lettres de ma mère.
J'en ai tout
un paquet.
Ni qui.
Ni quoi.

Viendra un jour où personne ne les prendra dans
ses mains.
Il y en a toute une liasse -- trop.
On dira : papier, bouts de --
pas
plus.

Ce jour-là, je les emporterai dans la grotte de Bar-Kokhba
pour les jeter à la poussière.
L'ancien monde
n'ira pas rechercher là
une langue maternelle157.

Comment me lever...

Comment me lever le matin avec une ville dans le cœur
et une ville dans les yeux.
Comment s'arracher
à ce déchirement ?

J'ai abandonné un pays, j'ai abandonné une langue,
j'ai abandonné un peuple.
J'ai abandonné une ville. J'ai abandonné des Perlemuter juifs.
J'ai abandonné leur langue.
J'ai abandonné mon père, j'ai abandonné ma mère,
j'ai abandonné mes frères et ma sœur.
Et je suis allé en terre de Palestine tel-avivienne
et j'ai adopté un hébreu tel-avivrien.

Écrit un journal de bord, écrit deux jours, trois, dans cette langue-ci, mienne,
car me voici un jour, me voici deux jours,
trois, après deux mille années en vérité.
Suis venu au pays, ai mangé des jours, des pavés de figues - du miel sur ma langue.
Les pavés de figues irritent, la langue s'attache (au palais).

Arbre

Demandez-lui si elle se souvient de l'été - non.
Sa soirée est pour les voleurs de nids de peur de perdre les feuilles
des gerbes de pluie de l'automne
maintenant.

L'arbre margosa est la maison de nuit de l'ombre. Car l'ombre
est une maison. Une maison d'immigrants pour tourterelles sauvages et autres
ailes d'été. Une maison d'immigrants de corps
sauvages et de bêtes sauvages monte dans l'arbre. Et maintenant il n'y a plus personne.

La violence de la pluie de l'automne sur la fenêtre.
Son sort est tombé. Hangars d'elle tombe d'elle.
Elle ne peut pas. A bras nus, j'atteignis la fenêtre.
Le Yoreh est sa mort.

Les feuilles qui tombent sont comme des oiseaux migrateurs.
Dans le hangar d'hiver et dans la réparation d'été. Mais les oiseaux dehors
et laisse à l'intérieur. Et dans le cas qui nous occupe, les feuilles peuvent également ne pas revenir.

JAPONAISE

Kaga No Chiyo158

Un papillon

Un papillon ---
Quel rêvete fait battre des ailes ?

Papillon ---
Tu te mets aussi en colère
parfois.

Même le papillon ---
sans voix
Prière bouddhiste.

En plein vol,
le papillon retourne
aux pins du sanctuaire Shiogoshi.

Ce que le papillon
veut dire ---
seulement ce mouvement d 'ailes.

Kakonimoto No Hitomaro159

Sur la route de Karu...

Sur la route de Karu
(oies sauvages à travers le ciel)
est le village de mon amour
et violemment je rêvais de la voir
malgré les yeux fixés sur moi
je rêvais notre rencontre
branches du Katsura
et je vivais confiant comme le pilote d'un grand bateau
l'aimant toujours en secret ainsi
une petite flamme dans le silex
une eau profonde dans le roc
le soleil à travers le ciel se pose
la lune brillante se cache sous les nuages
et mon amour qui s'appuyait
sur moi comme l'algue sur la vague s'est évanouie
rouge feuille de l'érable
le messager est venu
la nouvelle fut comme le bruit de l'arc
je ne sais que faire ni que dire
je cherche dans mon cœur
apaiser un fragment  des mille fragments de mon amour
comment vivre n'entendre que cela
je vais sur la route de Karu
où mon amour si souvent m'attendait
je vais j'écoute guettant sa voix
mais seulement les oies crient sur Unebi
(o nuque gracieuse comme des bandelettes au poignet)
de ceux qui vont sur la route
javelot pas un ne lui ressemble
et rien ne me reste plus que
crier le nom de mon amour
en secouant mes manches

sur la montagne d'automne
les feuilles rouges sont épaisses
je cherche mon amour égarée
mais je ne sais pas le chemin
dans la chute des feuilles de l'érable
je vois le messager
sa branche d'if
et pense à nos jours ensemble

Comme les montagnes d'automne

Comme des montagnes d'automne
Teintées d'écarlate étiez-vous, jeune fille,
Un bambou flexible, Flexion de l'approvisionnement, dame,
À quoi pensiez-vous?
Une corde de chanvre
Doit prolonger votre vie ;
La rosée tombe avec le matin
Et avec le soir s'évanouit, dit-on ;
La brume se lève avec le soir
Et avec le matin se perd, dit-on ;
Comme un arc de catalpa,
Les rumeurs, moi aussi, je les ai entendues, et
je ne vous ai vu que brièvement.
Quelle tristesse :
Comme du linge plié,
Couché sur ton bras,
Une épée bien aiguisée,
Son corps près de toi dans le sommeil,
Comme une jeune herbe, est ton mari.
A quel point doit-il être seul ?
En pensant à vous, il dormira, affligé ;
Sentiment affectueux,
Ce n'était pas ton heure,
Et tu es partie, oh madame,
Comme l'est la rosée du matin,
Comme l'est la brume du soir.

Kiyohara no Fukayabu160

Qui donc à l'amour ...

Qui donc à l'amour
A pu donner
Son nom ?
Il aurait dû l'appeler
Tout simplement mourir.

Haïkus de Kobayashi Issa161

Le haïku est une forme poétique d 'origine japonaise, célébrant l 'évanescence des choses et les sensations qu 'elles suscitent. Un haïku évoque généralement une saison et comporte souvent une césure. Il est composé en principe de 17 mores (syllabes brèves) réparties en trois vers suivant un schéma 5/7/5. Sa forme très codifiée est attribuée au poète Bashō Matsuo (1644-1694) [ Le haïku tire son origine du haïkaï, un genre drôle, léger, parfois frivole et grivois, formé de plusieurs versets. Le haïku correspond au premier verset du haïkaï, qu 'il remplaça progressivement. C 'est Masaoka Shiki qui forge le mot haïku en 1891. Il est écrit sur trois lignes dans son adaptation francophone, depuis 1905

Huit haïkus

Sur la montagne
La lune éclaire aussi
Le voleur de fleurs.

Le gros matou
Dort comme une masse
Sur l'éventail.

Les humains passe encore
mais pas même les épouvantails
ne sont droits

Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du cœur
Et la fraîcheur de l'air.

L'arracheur de navets
Montre le chemin
Avec un navet.

Tuant une mouche
J'ai blessé
Une fleur.

Papillon voltige
Dans un monde
Sans espoir.

Grimpe en douceur
Petit escargot
Tu es sur le Fuji !

Haïkus de Masaoka Shiki162

Trois haïkus

Je me remets, oui
Mais mes yeux sont fatigués
De ne voir que des roses !

Ignorant
Que le site fut célèbre
Un homme laboure le champ

L'herbe des champs
Libère sous mes semelles
Son parfum.

Haïkus de Matsuo Basho163

Huit Haïkus *

Ah, printemps, printemps,
admirable printemps !
etcétéra, etcétéra

Neige qui tombait sur nous deux -
Es-tu la même
Cette année ?

Jour de l'an
je revois que je suis aussi seul
qu'un jour d'automne

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu'elle est près de sa fin.

De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.

C'est pour moi que
la grue laisse du riz et du persil
à manger

Mes larmes grésillent
En éteignant
Les braises.

Fleur d'hibiscus
Nue j'en porte une
dans mes cheveux

Ôtomo no Yakamochi164

Mon cœur souffre...

Mon cœur souffre
Quand je pense à elle,
Je ne puis parler
Je ne puis donner de nom à mon chagrin.
Puisque dans ce monde
Rien d'elle ne reste
Je ne sais plus comment faire.

Dame Ôtomo no Sakanoe165

De mon jeune seigneur...

De mon jeune seigneur
Les vêtements sont légers.
Ô vents de Saho
Ne soufflez pas trop fort
Jusqu'à ce qu'il soit à la maison.

Je ne puis que pleurer

Avec gentillesse
Mon seigneur me tenait des serments
Solides comme les racines
Des laiches sur le Naniwa ensoleillé.
Il me jurait fidélité
Pour de longues années.

Depuis le jour
Où je lui ai abandonné
Mon cœur pur
Comme un miroir bien poli,
Je n'ai point laissé celui-ci
Aller ici et là
Comme une algue qui flotte
Au gré des vagues.

Tandis que j'étais confiante
Comme on se fie à une grande barque
Les dieux puissants
se sont-ils détournés de moi ? (...)
Mon seigneur n'est plus venu

Et maintenant
Je ne vois plus son messager
Porteur d'une fine branche de catalpa
Mais, hélas qu'y puis-je ? (...)

Je me lamente, mais
Aucun signe de lui n'apparaît.
Je pense à lui, mais
Je ne vois nul moyen.
C'est bien avec raison
Que l'on dit « faible » femme !
Comme un enfant,
Je ne puis que pleurer
Errant en peine,
Je ne puis plus attendre
Le messager de mon seigneur.

Eizo Ryokan166

Le voleur...

Le voleur
M'a tout emporté, sauf
La lune qui était à ma fenêtre.

Jeune, j'ai laissé mon foyer pour parcourir le pays
M'exerçant à imiter le tigre, je ne suis même pas parvenu à imiter le chat
Si on m'interrogeait sur ce que je pense vraiment, je dirais:
"Je suis le même que le jeune Elzo, mais en vieux".

Plus de soixante dix ans ont passé.
Ce que les hommes appellent le vrai et le faux ne me concerne pas
La neige de la nuit a effacé les traces de mes pas
Sous la fenêtre brûle l'encens.

Même lorsque
je n'ai pas eu assez à manger
au fond de mon bol
de soupe de riz apparaît
mon ombre

Dans le calme, près de la fenêtre vide
Je m'assois correctement pour la méditation, portant ma robe de moine.
Le nombril et le nez alignés,
les oreilles parallèles aux épaules.
La clarté de la lune envahit la pièce ;
La pluie s'arrête mais l'avant-toit continue à goutter.
Parfait est cet instant -
Dans l'immense vide, ma compréhension s'approfondit.

Sugiyama Sampû167

Haïku

J'y suis résolu :
Je vais de ce pas m'enrhumer
Pour voir la neige.

Suzuki Michihiko168

Haïku

Oh ! La belle aurore
Où le brouillard s'allie
A la neige et à la lune !

Yamanoue no Okura169

Sans remède est la fuite du temps

En ce monde,sans remède est la fuite du temps.
Sans intermission les adversités nous poursuivent
Et nous attaquent de cent manières.

Les jeunes filles
Imitant toutes les filles
Enroulent à leurs poignets des bijoux chinois
Elles font voltiger leurs manches d'un blanc éblouissant
Et sont suivies d'une traîne d'un rouge écarlate.
Aux amies du même âge elles se joignent pour jouer.
Ne pouvant s'arrêter à la fleur de leur jeunesse
Elles doivent la laisser passer.

Sur leur chevelure d'un noir corbeau
Un beau jour tombera la gelée blanche,
Sur le rose de leur visage
Venues on ne sait d'où se dessineront des rides.
Les sourires et les sourcils peints
Qu'elles arborent toujours
Se faneront comme se flétrissent les fleurs.

En ce monde il n'en va pas autrement.
Les jeunes guerriers imitant tous les garçons
Ceignent leurs deux sabres
Tenant d'une main ferme leurs arcs de chasse,
Ils posent sur leurs chevaux bais leur fin tapis de selle.
Ils se hissent sur leur monture et caracolent.
Ainsi font-ils sur cette terre.

La porte de bois derrière laquelle dort la jeune fille
Est rouverte par un jeune homme
Qui s'approche à tâtons.
Les beaux bras aux beaux bras se mêlent.
Combien y en aura-t-il encore
De telles nuits à dormir ensemble ?

Quand sur leur canne ils redresseront leurs reins,
Lorsqu'ils iront par ici les gens d'eux s'écarteront,
Lorsqu'ils iront par là les gens les haïront.
Ainsi des vieux en va-t-il
Quelque regret que l'on ait
De cette vie si brève
Il n'y a point de remède.

Yosa Buson170

Quatre haïkus

Chaque fleur qui tombe
Les fait vieillir davantage
Les branches de prunier !

Pour celui qui part
Pour celui qui reste
Deux automnes.

La rivière d'été
Passée à gué, quel bonheur
Savates à la main.

Fanée
Son image encore persiste
La pivoine.

KURDE

Mehmet Said Ayidin171

Là n'est pas le sujet

vous écoutez un türkü, toi tu chantes avec, « de quelle vigne es-tu le vigneron »
cette proximité n'est pas telle qu'un amour pourrait en naître mais là n'est pas le sujet

mais là n'est pas le sujet, le türkü et le fait que tu chantes avec, l'amour ou encore le cauchemar
il est très tard, à neuf ans quelqu'un gémit, le corps et la fièvre
en tant d'années ils m'ont appris quelques alphabets, l'un arabe l'autre cyrillique
la faucille le marteau la sociologie des peuples opprimés
l'instruction des opprimés et le manuscrit de 1844

tu ne t'appelles pas zîn, ni moi mem ni tajdîn
mon nom n'est mentionné dans aucune chanson, le tien dans aucun poème
tu ne m'as pas chanté de türkü une nuit de novembre
moi un quatre novembre peut-être mem û zîn
pour le dire comme ce poète, j'aime beaucoup turgut uyar moi pas du tout

je ne suis pas un réfugié, je ne connais ni occident ni orient
je n'ai pas assez de courage pour chercher un asile, un pays dans la poésie
kürdistan est un mot plein de fraîcheur.
je garderai en mémoire le fait que tes cheveux sont couleur café.

aussi.
mais là n'est toujours pas le sujet.

La délivrance

on apprend ce qu'est le malheur quand certaines maisons se construisent
les murs sentent l'alcool, les rideaux sont d'un jaune maladif, c'est la cigarette
des napperons de dentelle sur le poste de télévision, les fauteuils longs, verts
les métaphores pour les maisons dont la porte ouvre sur la cour sont de seconde main
la métaphore, quand je parle de mon père, est suicide.
d'ailleurs, certains suicides sont classés. ne me dites pas que j'ai 27 ans, je vous prie.

parce que certains mots font penser à un autre mot
débarras pas exemple, ressemble à dé à coudre. dé à coudre dit épingle.
les mots appellent l'odeur. et l'odeur par exemple, la peur.
il y a sur les couettes jaunes des épingles vertes dans le débarras
le mot kurde pour douleur d'ailleurs est en lui-même une odeur
papa on est devant le débarras avec maman. tu es où toi ?

il se redresse, regarde comme sur cette grande photo et dit : « kurtuluş ».
fiston, « délivrance ».
je ne dis rien, sans doute.

mon père est le savoir anisé d'une ville que je n'ai pas encore vue
mon père aussi est une odeur mon père à moi aussi.

l'odeur du café

le café vient du yemen le rossignol de l'herbe

ils disaient qu'on sait pas d'où vient le café
quand ils disaient « dégage » et qu'ils le disaient en gueulant
qu'on met pas les verbes à la bonne place, que d'ailleurs nous on est des vrais sauvages
que le café c'est dans un sachet, que quand on l'ouvre on en met partout
que quand on se retrouve à deux, on est incapables de trouver un troisième, juste le café
qu'on s'assoit dans les cafés, nous, qu'on passe notre temps à brailler
qu'on sait pas dire « je vous remercie », et tout juste « merci »
que quand on marche on tombe, que quand on court on se fatigue, qu'on a la respiration qui boite
qu'on connaît pas les verbes, qu'on sait pas faire des phrases, qu'on fait taper la cuiller contre le verre
qu'on peut rien tirer de nous
qu'on vaut même pas les mots « cacık », « menthe » ou « merde » qu'on pourrait mettre à la place de ce « rien »
qu'on dit tout ce qui nous vient au bout de la langue, qu'on a des langues de vipère
qu'on sait pas d'où vient le café, que tout notre horizon c'est les türkü
qu'on transpire sans arrêt, que la monnaie qu'on fait passer quand on monte dans un dolmuş est moite
qu'on passe notre temps à fumer des cigarettes dans les gares routières, café et cigarettes
qu'on est pas du tout polis, qu'on connaît pas la politesse, ni les mots de la parenté
qu'on a la voix rude, qu'on est généralement des hommes, qu'on humilie les femmes

qu'on est qui pour savoir d'où vient le café qu'ils nous disaient si on s'empêtrait dans les verbes
qu'on a pas de voitures, qu'on est serveurs, qu'est-ce que ça sait un serveur
qu'on fait mal quand on aime, qu'on n'a jamais entendu parler d'aragon, c'est qui aragon ?
que nous on connaît celal güzelses, muharrem ertaş, kazancı bedih, eyfettin sucu
qu'on n'a même pas encore réussi à apprendre à dire je, que chez nous c'est deux chambres un salon, qu'on vit les uns sur les autres

mais on dirait bien qu'on sait quand on dit « marabout », quand on ajoute à côté « bout d'ficelle » « selle de cheval » on ne sait pas ce qu'est un hall ce qu'est une véranda seulement le rebord de la fenêtre
le mot peuple c'est pour qui patron ?

Rojen Barnas172

Je ne sais quand...

Je ne sais pas quand J'aurai des livres en quantité suffisante
Je ne sais pas quand Je pourrai les lire en entier et d'une traite
Un par un...
Je pourrai acheter un livre ou une publication Que je veux
Sans une caravane de préoccupations et de blessures
Des fantômes et d'êtres invisibles
Je ne sais pas
Je ne sais pas
Je ne sais pas
Je ne sais pas quand...
Je ne sais pas quand
Lorsque je rentre à la maison avec un livre
N'apparaîtra dans les yeux de ma femme La peur de la mort
Elle ne courbera pas son cou Et ne me dira pas en se plaignant
"Ça suffit Ça suffit Ça suffit ! ... Qu'est-ce que tu veux encore ?
Je sais que tu n'as pas peur pour toi Mais aie peur pour nous"
Quand les flocons ne dévaleront plus en fontaine de ses yeux
Lorsque concernant les livres
Elle n'écoutera pas des informations obscures à la radio
Elle ne tremblera pas de peurSon cœur ne sera pas brisé
Ne se souviendra plus du poêle De l'impuissance [... ]
Je ne sais pas quand
Je ne sais pas quand
J'aurai des livres en quantité suffisante.
Pour les lire en entier et d'une traite
Sans préoccupation, sans peur
Je ne sais pas quand... [... ]

Berken Bereh173

Ça fait combien...

Ça fait combien d'années
Que je n'ai pas senti un narcisse
Ne me suis pas blotti
Au sein d'une chanson
N'ai pas pris une laitière par l'épaule
Ni chanté un heyranok

Dans mon enfance...

Dans mon enfance
J'avais des chats qui
Comme les rêves de mes longues nuits
Scintillaient de toutes leurs couleurs.
Dans ma jeunesse

J'avais des colombes qui
De leurs ailes
Volaient vers la liberté.
À l'âge d'homme

J'avais un frère de sang
L'un et l'autre solides comme des rocs
Nous récoltions des roses

Parmi les blessures.
J'avais un village Prospère, heureux
Plus libre que Les étoiles de l'été.
Par un automne humide et fatal

Une grêle jalouse s'abattit
Plus de village, plus de chat,
Plus de colombe
Même la citadelle du plaisir s'effondra.

Terze Caf174

Portraits de la ville

[Premier portrait]{.smallcaps}
Au pied du mont Gwéje, face à la route de Heware
Berze, un tout petit village timide, craintif,
Un châle de boue sur ses épaules,
Contemple les bottes gigantesques
Et sans peur de la ville !

[Deuxième portrait]{.smallcaps}
Sur la route de Dokan,
Toute une série de magasins,
Face à face, ils affichent tous
Une enseigne de poissons,
Tous, aussi, affichent
Poissonnerie, c'est le nom
Et, tous, vendent de l'essence !

[Sixième portrait]{.smallcaps}
Un chat blanc, au milieu de la chaussée,
En début de soirée, face aux klaxons
Des voitures, reste figé, à un mètre
Et demi de son copain écrasé
Par les voitures.

Ilhan Sami Çomak175

Liberté

Sortez-moi d'ici, il y a tant de choses que j'ai vues
J'ai vu si profondément, si loin. Longtemps, longtemps j'ai été attristé
Le temps est venu pour les torrents de montagne, le vent
qui souffle sur les récoltes, pour le...

Temps de remuer sans fin mes jambes
se dirigeant vers l'horizon quand le jour ouvre grand sa porte
Comprenez-moi par mes racines, pas par mes branches
par mes rêves, pas par la vie que j'ai menée
Peut-être que le miroir est en morceaux
Connaissez-moi par mon rire, pas par ce que le miroir raconte.

Il y a si longtemps que ma rue a été peuplée d'absence
et par l'ascension silencieuse du lierre

Son hirondelle : sombre, lente et toujours à mi-chemin.
Emportez-moi loin de cette stagnation
J'ai tant regardé l'abîme, longtemps, longtemps, je l'ai dévisagé
Ce vide n'est que répétition.

Il est temps pour toi de dire que tu es un oiseau mouillé par la pluie
Il est temps de respirer l'odeur de la terre, de s'en emplir, de grandir avec elle
Connaissez-moi par mon amour, pas par ma solitude.
Comprenez-moi pour ce après quoi je languis, pas pour ce que j'ai perdu
Comprenez-moi par mon enfance, pas par la version présente de ce que je suis.

Je viens pour vous chercher176.

Abbas Haghighi177

Remplis ta coupe...

Remplis ta coupe, Ô échanson, une gorgée ne suffit pas.
La peine, haute et auguste comme le Damâvand et le Sahand, a rempli mon être.
Le printemps est là, Et notre espérance de la fraîcheur d'un jardin.
Le printemps est là, Et l'on n'entend plus le sanglot de la flûte.
Le printemps est là, Et improbable est le rossignol du jardin de la Nature.
Le printemps est là, Et il n'y a plus de chant de perdrix ni de joie.
Le printemps est là, Voici le temps de la résurrection de la terre,
Mais parfois, par sagesse, la destinée prend un autre sens.
Les bombardements chimiques, les fusées et les armes de destruction massive,
Ont fait de notre pays un Hiroshima.
Ses villages et ses villes sont détruits et son air pur,
Ne distille plus rien que l'odeur de la peine et le chant de la chouette.
Les villes ravagées de ma patrie sont nombreuses,
Et Halabja est leur porte-étendard.
Le printemps est là, Et les cadavres de ses nouveaux nés sont nombreux comme les feuilles qui tombent,
Où est Mani pour dessiner ces nouveaux nés ?
D'un côté, le bruit des sanglots et du chagrin,
Et de l'autre aussi, le concert du deuil.
Arrachés par la tempête meurtrière,
Des milliers de bourgeons, de tulipes et de narcisses.

Dlawar Karadaghi178

Ce parfum...

Ce parfum qui imprègne le corps
Ce fut la ruée l'exode
Le feu, de toutes parts, craquait
L'eau fuyait de peur d'être violée
La tempête s'affolait le cheval volait dans le ciel
Blé, pluie, papillons poissons, baleines tous se sauvaient
tous en courant pleuraient tous en courant s'effondraient
La mort était là
Mais tous couraient se cognaient aux rochers
jetaient leurs enfants dans l'abîme
Les pierres pleuraient en heurtant les corps
La forêt pleurait en ensevelissant les corps dans la boue
Même les lions en courant rougissaient de honte

La prochaine fois s'ils nous rendent nos filles nous les marierons aux pigeons
nous les cacherons jusque dans les pages des livres
jusque dans les flammes du feu
N'importe où Nous, nous ne briserons jamais leurs miroirs
Nous baignerons leurs corps dans l'eau des roses
Pendant et après la guerre s'ils nous rendent nos filles
nous les protègerons nous les cacherons avec la cigogne dans le minaret
Et jusqu'à la fin de la guerre elles seront à l'abri près de la tourterelle179

Mohsen Ahmad Omer180

Au temps où je jouais...

Au temps où je jouais de l'accordéon
Au temps où, dans les ruelles je jouais de l'accordéon
j'offrais autour de moi à ceux qui se pressaient des bouchées de musique
Au temps où je jouais de l'accordéon
simples, vrais, emplis de fraîcheur bondissaient les mots
Limpides étaient les jours
Fraîche était une vie au goût de vanille et de cannelle
Argile pure et parfumée enivrant était l'air
Au temps où je jouais de l'accordéon
je mêlais sans fin les jours aux nuits je débridais les songes je nouais les rêves à la réalité l'espoir au désespoir les chimères à la vérité

Au temps où je jouais de l'accordéon errant dans les ruelles
je semais mon cœur au vent tentais de prendre mon envol
Soudain, tout autour de moi sous l'effet d'un coup de tonnerre sursauta
Je poursuivis mes essais Peu à peu, mon oreille s'ouvrit
Je repris conscience boum, boum, boum ce n'était que mon cœur qui battait à se rompre

Au temps où je jouais de l'accordéon vaguant de ruelle en ruelle
je priais que la musique exauce mes vœux
Des femmes enceintes des soldats de retour de guerre sans bras, sans jambes s'accrochant à leurs béquilles se pressaient attendant de moi une prière
M'entouraient aussi des fillettes effarouchées des garçons lassés de tout qui rêvaient d'exil et de contrées lointaines
A travers les notes de mon accordéon ils cherchaient les traces d'un destin

Au temps où je jouais de l'accordéon jusqu'à l'aube je travaillais la musique
je passais des nuits blanches à veiller sur mon âme
Je m'évertuais à trouver le bon accord
à inventer une mélodie unique et merveilleuse que sublimait mon accordéon
à inventer des concertos de la couleur des pluies
des sonates aussi tristes que l'autruche et tirées de siachemanehs
aussi parfumés que le basilic noir

Au temps où je jouais de l'accordéon par la musique j'inventais des couleurs
je distillais le parfum je dessinais et, avec l'eau de la pluie je rinçais les mélodies
En ce temps -- là je drapais les rythmes de solitude
je les enchevêtrais de tout l'imaginaire des contes et quand ils commençaient peu à peu de grandir qu'ils devenaient affection
je les mélangeais à une poignée de petits non-dits à une pincée d'émois du cœur
je les enrobais d'une fine pointe de tristesse
et les laissais dans l'âtre de la solitude de mon cœur cuire jusqu'à se faire musique
Nombreux furent les enfants aveugles qui ouvrirent les yeux en écoutant le chant de mon accordéon
Nombreux furent les enfants perdus auxquels la magie de ma musique donna des ailes
qui, volant très haut battant de leurs ailes jamais plus ne revinrent
Nombreuses aussi furent les filles tristes qui, écoutant  ma musique furent entraînées et emportées par le vent
Elles disparurent du regard et d'elles il ne resta que des voiles blancs pendus aux cordes à linge des cours et des terrasses aux fils électriques des ruelles

Au temps où je jouais de l'accordéon
le monde regorgeait de problèmes importants autant que de menus plaisirs
de voyages au long cours d'immenses tremblements et d'espoirs les plus fous
Au temps où je jouais de l'accordéon le monde frémissait de barouds d'honneur
de morts en grande pompe de cataclysmes d'échecs, de revers et de désespérance
Lorsqu'à la tombée du jour je cessais de jouer de l'accordéon
mon âme commençait de trembler l'air et les rues avaient la saveur d'une vanille pure et fraîche
Mes doigts étaient parfumés de l'odeur d'une terre rouge humide et brute181

Zana Xelîl182

L'Europe et les larmes rouges des prophètes

[Adam]{.smallcaps}
Une assiette couverte des restes du marché
Et au-dessus des kilos de pommes Aldi
Lui est allongé sur un tapis de lune
Il attend l'aide sociale
Son travail régulier ne leur suffit pas
A lui et ses enfants.

[Caïn]{.smallcaps}
Travaille toute la semaine au noir dans une charcuterie
A la fin de la semaine il s'empare d'un couteau
Et s'en prend à tout le monde

[Noé]{.smallcaps}
Sur internet : un passeur perd son chemin, le mauvais temps,
Et, dans un reportage sur la BBC, je vois un climatologue dire que l'arche
A pris la direction de l'Europe avant d'être déviée violemment
Par le déluge et les satellites montrent que le capitaine installé
Dans la petite cabine fume du hash avec un verre de raki
Et jette de temps en temps un coup d'œil vers le ciel :
Dieu quand donc les colombes arriveront-elles ?

[Abraham]{.smallcaps}
Au cours 'une réunion anti-immigration l'Union Européenne
Brandit le doigt et proclame : il ne faut jamais
Que ce monsieur s'installe en Europe
Car si déjà il a égorgé son fils,
Qu'est-ce qu'il fera ici ?

Kawe Xusrewi183

Si seulement

Si seulement un jour arrivait,
où le bruit des balles ne le serait pas.
La brise de la paix, pleine d'espoir,
couvrirait les terres, de la tête aux pieds.
Le souffle de l'existence, loin de la peur,
comme un oiseau,
serait posé sur l'arbre vert de la vie

Si seulement un jour arrivait,
où les nouvelles de la guerre ne le seraient pas.
Les meurtres ne seraient pas une source de fierté
la vie serait une valeur en soi.
Le soleil du matin,
sans l'épaisse fumée noire de la guerre
s'étendrait à l'horizon

Si seulement un jour arrivait,
où le mal serait coupé à ses racines.
Sur les vagues des champs de maïs
dans la nature colorée du printemps,
dans le jardin des fleurs,
dans les écoles d'enfants,
dans n'importe quel endroit, avec n'importe quelle couleur
sous la tente bleue du ciel,
la liberté, sans crainte,
serait parmi nous tous.

Si seulement ce jour arrivait,
et restait pour toujours.

Poésies populaires184

Lo de lo, lo de lo

Lo de lo, lo de lo,
Je suis dans le défilé de Goyan,
C'est un défilé de hautes roches.
Fatoum a crié par trois fois :
Khamra, ma sœur, l'armée de l'Angleterre est une armée lourde,
De deux côtés, ils ont entouré nos foyers,
Mais il est agréable d'entendre les cris de nos hommes qui ont renoncé à la vie.
Tous les hommes s'exhortent entre eux et les voix des femmes se mêlent à leurs cris.
De loin, on entend les échos de nos vaillantes femmes qui disent :
« Aujourd'hui je suis la perdrix mâle du défilé de Goyan,
Je suis le bélier qui a grandi dans les hauts pâturages,
Je suis le flambeau des maisons de nos pères. »
Ne craignez rien, ô mes frères,
Rappelez-vous Le jour, ce jour entre les jours,
C'est moi, quand l'armée d'Angleterre nous assaillait de toutes parts,
Qui vous ai sauvés de la main des porteurs de drapeau.

Notre maison est tout au loin

Viens, vois, sur la route du paradis a poussé du  gazon
Viens jeune fou emmène-moi vers ces hautes  montagnes
Je t'ai dit à cœur ouvert : si mon amoureux est  jeune,
Qu'importe qu'il soit habillé de coton épais.
Pourquoi vas-tu à gauche, pourquoi vas-tu à  droite ?
Regarde les manches larges qui couvrent mes bras  blancs ornés de bracelets d'argent pur
Mes doigts pleins de bagues précieuses, d'or, et de  diamants,
Regarde ma ceinture brodée de perles
Regarde ma gorge et sa finesse
Il te faudra toute la nuit pour voir ces  merveilles
Et si cette dot ne te suffit pas,
De surcroît, je te donnerai mon cœur.

LAOTIENNE

Saysamone Amphonesinh185

Poète

Le poète Lao est un artiste,
Le poème Lao n'est pas toujours un art triste,
C'est sa main qui écrit, c'est son cœur qui le dit
La page est sa plus belle amante, son esprit,
Il la soigne, la lisse et la caresse, cette déesse,
Il l'emplit, baigne chaque pied de sa tendresse.

Il l'habille en blanc ou en couleur selon son envie,
Il lie le vrai et le faux, il embellit le ton et l'harmonie
Il ne la couvre que de mots assortis et précis,
D'un coup de pinceau il recrée la vie
Créant milles partitions de joie.

Nulle déception, tristesse ou douleur,
Il peint les yeux tels qu'on y voit le bonheur.
D'un tour de main il dessine la mélodie de l'éternité,
Il chante la bonté pour effacer la maudite cruauté.

Le poète Lao est un artiste,
Le poème Lao n'est pas toujours un art triste,
Il change détresse en richesse, mendiantes en princesses
Il colore les étoiles et les descend par milliers en plein jour.
Les Mor Lam chantent ses vers dans les cours,
Il convertit le pire en sainteté, la puissance en faiblesse.

Il transforme le désespoir, reforme le chagrin en amour,
Il taquine la cour, il transmet des mots, de l'humour.
Il a ce don de la beauté des écrits, et pour sa création
Il parfume sa poésie et y ajoute une goutte de passion.

Il égaye pluie en beau temps, invente d'autres odeurs,
Il conte et distrait le monde, séduit et fait vibrer les coeurs.
Il calme sa faim à la fin de son dernier vers prononcé.
Il revient sur terre dans son sort et dans sa pauvreté.

Le poète Lao est un artiste,
Le poème Lao est parfois un art triste.

anonyme

Regrets d'un exilé

Moi, qui ai composé ce récit versifié,
Je me suis enfui au loin, tout comme la petite [héroïne dont je vous parle ] !
Car moi, votre serviteur, couche en solitaire ;
Je suis bien seul, dans ma chambre, les bras pendant dans le vide... Depuis que j'ai quitté ma maison pour aller chez les Thaï où je n'ai
pas d'amis,
Je m'efforce d'écrire des vers pour me réchauffer le cœur.
Tout au fond de mon être... je me dis que je finirai par rentrer chez moi.
Ils sont évidemment bien éloignés l'un de l'autre, la cité d'or et le pays natal !

LIBANAISE

Abbas Beydoun186

Tombes de verre

Lumière carbonique : elle filtre d'une imprimerie
Obscurité spectrale, impossible de revenir davantage en arrière
L'huile accordée pour un seul exemplaire touche à sa fin
Peut-être l'air s'infiltre-t-il aussi
Peut-être ce ne sera ni le barbu de la tour ni celui du souterrain
Qu'est-ce qui peut figer l'âme des chars et des forteresses
Âmes relevant d'autres espèces
Peut-être ce sera pour un morceau de pain, une pomme, un coup de feu
Peut-être pour des hommes qui ne sont que domiciles
Pour des journaux qui ne sont qu'âme des jours
Pour des boîtes à transporter les montagnes
Pour des villes dotées de la mémoire des tiroirs
Peut-être pour l'araignée mère de l'univers
Peut-être pour un mur
Peut-être pour les tortues qui conduisent la marche

Sarra Durr

Je m'épris d'une belle...

Je m'épris d'une belle couleur d'ébène
La noirceur de mon cœur est l'une de ses qualités.
La pleine lune ne disparaît que pour l'imiter
Et pour elle le temps n'est daté que par les nuits.

Deux contraires partagent un même corps
Et le choisissent pour demeure :
Des larmes qui coulent, ruisselantes, des yeux
Et un feu da(anonyme)ns le cœur jetant des étincelles.
Je ressemble à un des ces nuages qui circulent
Portant en eux eau et feu.

Andrée Chedid187

Je m'accompagne

A corps entier
Imitant l'inclinaison des feuilles
Leur chute ralentie dans le velouté de l'automne
Suspendu entre ici et le temps sans échelle
A l'écoute de l'animation qui s'amenuise

Je m'accompagne
Et me coule dans une absence moelleuse
Toute pesanteur se disperse je me délivre de mes confins
Les marges du possible s'évasent je m'adonne à l'intérimaire vie

A corps entier
Je monte la garde pour retenir l'instant

Éperdument je veille et combats les torpeurs
La pensée s'épaissit
Les mots se débandent

Membre après membre
Le sommeil m'entraîne
dispose de mon sang
m'attire dans les orifices de l'absence
m'amène bois mort
au littoral du rien ou du surcroît
Caves ou soleils me happeront

De cet amour ardent

Je reste émerveillée du clapotis de l'eau
Des oiseaux gazouilleurs ces bonheurs de la terre
Je reste émerveillée d'un amour invincible
Toujours présent

Je reste émerveillée de cet amour ardent
Qui ne craint ni le torrent du temps
Ni l'hécatombe des jours accumulés

Dans mon miroir défraîchi je me souris encore
Je reste émerveillée rien n'y fait
L'amour s'est implanté une fois pour toutes.
De cet amour ardent je reste émerveillée.

Khalil Gibran188

Des enfants

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit:
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier. Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.

Du mariage

Al-Mitra reprit la parole. Elle demanda : Maître, que dire du Mariage?
Il répondit:
Ensemble êtes-vous nés et ensemble resterez-vous pour toujours.
Quand les blanches ailes de la mort éparpilleront vos jours, vous serez ensemble.
Oui, vous serez ensemble dans la mémoire silencieuse de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un carcan:
Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos âmes.
Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez pas à la même.
Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne partagez pas le même morceau.
Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun demeure isolé,
Comme sont isolées les cordes du luth, bien que frémissantes de la même musique.
Donnez vos coeurs, mais pas à la garde de l'autre,
Car vos coeurs, seule la main de Dieu peut les contenir.
Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de l'autre:
Car les piliers du temple se dressent séparément,
Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur ombre mutuelle.

Vêtements

Un jour la Beauté et la Laideur se rencontrèrent sur le rivage.
Et elles se dirent : " Allons nous baigner dans la mer. "
Alors elles se dévêtirent et nagèrent.

Au bout d'un moment la Laideur revint sur le rivage ;
Elle s'habilla avec les vêtements de la Beauté et poursuivit son chemin.
Et la beauté sortit aussi de la mer, mais ne trouva pas ses habits ;
Parce qu'elle était trop timide pour rester nue,
Elle s'habilla avec les vêtements de la Laideur.
Et la Beauté poursuivit son chemin.

Et à compter de ce jour
Les hommes et les femmes prennent l'un pour l'autre.

Cependant il en est qui ont aperçu le visage de la Beauté,
Et ils la reconnaissent malgré ses habits.

Et il en est qui connaissent le visage de la Laideur,
Et ses vêtements ne la dissimulent pas à leurs yeux.

Joumana Haddad189

Je suis une femme

Personne ne peut deviner
Ce que je dis quand je me tais,
Ce que je vois quand je ferme mes yeux,
Comment je suis emportée quand je suis emportée,
Ce que je recherche car, quand je tends les mains
Personne, personne ne sait
Quand j'ai faim, quand je prends un voyage,
Quand je marche, et quand je suis perdue.
Et personne ne sait
Que mon départ est un retour

Et que mon retour est une abstention,
Cette faiblesse est un masque
Et ma force est un masque,
Et que ce qui est à venir est une tempête.

Ils pensent qu'ils savent
Donc je les laisse penser,
Et je me trouve.

Ils m'ont mise dans une cage de telle sorte que
Ma liberté peut être un cadeau de leur part,
Et je dois les remercier et obéir.
Mais je suis libre devant eux, après eux,
Avec eux, sans eux.

Je suis libre dans ma suppression, dans ma défaite.
Ma prison est ce que je veux !
La clé de la prison peut être leur langue,

Mais leur langue est enroulée autour de mon désir de doigts,
Et mon désir qu'ils ne peuvent jamais commander.

Je suis une femme.
Ils pensent qu'ils possèdent ma liberté.
Je les laisse croire,
Et je me trouve190.

Je ne me souviens pas

Je ne me souviens pas m'être
déshabillée à la lumière du jour
pour un homme aux yeux fermés.

Je ne me souviens pas que je courais comme de la salive
et qu'il était un désir inaccessible,
que j'étais affamé de faim et qu'il était un lit impossible,
que j'étais le conquérant et lui une ville résiliente.

Je ne me souviens pas, je ne me souviens pas
que j'ai vaincu un homme comme une tempête
et qu'il était les fenêtres ouvertes qui faisaient face à ma faiblesse,
que j'ai bondi sur lui comme une fièvre
et que ses hallucinations m'ont avalé la langue.

Je connaissais le corps des hommes comme voyage
et mon corps comme arrivée et adieu facile.

Je savais que les cœurs des hommes sont des paires de mains,
et j'ai su que mon cœur était une promesse d'asphyxie
qui reste fausse même quand il gagne.

Je savais que l'arrivée des hommes était une douce inondation
et leur départ une ruine passagère.
J'ai su les oublier alors même qu'ils s'abattent sur la poussière de la mémoire.

Je n'avais jamais connu d'homme
dont le cœur professait la rupture comme une catastrophe annoncée.

Je n'ai jamais connu d'homme capable de me transformer
d'Eve en femme191.

Amin Maalouf192

Si tu cherches

Si tu cherches ce qui ne va pas chez les peuples d'Orient,
et pourquoi ils sont tellement fustigés,
Tu découvriras qu'ils ont des qualités nombreuses
et ne souffrent que d'un seul mal : l'ignorance.
Ce mal est guérissable, mais c'est par le savoir qu'on le soigne,
pas par l'émigration !
Le savoir est né en Orient avant de partir pour l'Occident,
et il devrait revenir chez les siens. [... ]
Enfants de mon pays, il est temps de se réveiller,
il est temps de rejeter les chaînes qui vous retiennent,
Il est temps de rattraper l'Occident, aussi haut soit-il,
et même si vous deviez y laisser la vie.
C'est vous qui aviez donné à l'Occident son savoir,
c'est vous qui lui aviez montré la voie.
Moïse et le Christ et le Prophète de l'islam étaient des vôtres,
de même qu'Avicenne et les siens...
Abandonnez les traditions néfastes,
et n'ayez pas peur de ceux qui, à tort, vous réprouveront !
Redressez la tête, portez les habits de votre époque,
et dites : il est révolu le temps des turbans.

Observez la pastèque...

Observez la pastèque,
vos yeux se réjouissent de sa couleur,
votre nez de son parfum discret,
votre main caresse sa peau ferme et lisse,
vous n'avez pas besoin de boire en même temps,
car son eau est en elle,
vous n'avez pas à la caler dans une assiette,
puisqu'elle mûrit et s'offre dans son propre récipient.

Commencez par les extrémités,
puis rapprochez-vous du cœur,
et chaque bouchée vous rapprochera
des Jardins de Lumière.L'automne à Paris

À l'amie qui est tombée...

À l'amie qui est tombée, une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons, main dans la main.
Pour tous ceux qui sont tombés, pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons, main dans la main.

Pour Paris, ses quais, sa brume, la plage sous ses pavés,
La brise qui fait danser, ses feuilles mortes.
Paris, ses flâneurs, ses ombres, ses amoureux qui roucoulent,
Ses bancs publics, ses platanes, ses feuilles mortes.
Paris qui s'éveille à l'aube, deux cafés noirs en terrasse,
Un jardinier qui moissonne ses feuilles mortes.

À l'amie qui est tombée, une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons, main dans la main.
A ceux qui se sont battus pour que Paris reste libre,
Que Paris reste Paris la tête haute.
Aux hommes qui sont venus des quatre coins de la terre,
Dans l'unique espoir de vivre la tête haute.
Aux femmes qui ont subi, humiliations et violences,
Pour avoir osé garder la tête haute.
Pour tous ceux qui sont tombés, pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons, main dans la main.

Nous reprendrons les accents des aînés qui ne sont plus.

Leurs mots au milieu des nôtres,nous chanterons.
"J'ai deux amours" "Douce France" "Non, je ne regrette rien",
"Ami, entends-tu", "Paname" nous chanterons.
Dans la langue de Racine, de Senghor, d'Apollinaire
De Proust, de Kateb Yacine, nous chanterons.

À l'amie qui est tombée, une chanson sur les lèvres,
Ensemble nous chanterons,main dans la main.
À vous tous qui gardez foi en la dignité de l'Homme,
Dans tous les pays du monde et pour toujours.
L'avenir vous appartient, il vous donnera raison,
Il sera à votre image, et pour toujours.
Vous pourrez voir refluer le fanatisme, la haine,
L'aveuglement, l'ignorance, et pour toujours.

À l'amie qui est tombée, une chanson sur les lèvres,

Ensemble nous chanterons, main dans la main.
Pour tous ceux qui sont tombés, pour tous ceux qui ont pleuré,
Ensemble nous resterons, main dans la main.
Que jamais plus la terreur ne vienne souiller nos villes,
Ni jamais jamais la haine souiller nos cœurs.
Que la musique demeure, dans nos rues comme en nos âmes,
Pour toujours un témoignage de liberté.

Georges Schéadé193

Sur une montagne...

Sur une montagne où se déshabille le vent
Quand les troubadours de la lune
Un soir d'été
Auront joué nos cœurs aux dés
Dans ce pays d'infortune
Toi plus belle que jamais
Tu passeras dans la brume

Ce n'est pas des mots...

Ce n'est pas des mots pour rien ce poème
Ce n'est pas un chant pour personne cette mélancolie
Voici l'automne et ses froides étoiles
Il reste assez de vent pour s'enfuir
L'oiseau d'Afrique demande l'heure
Mais la mer est loin comme un voyage
Et les pays se perdent dans les pays
-- Écoute à travers les ramures
Le bruit doré d'un arbre qui meurt

À ceux qui partent...

À ceux qui partent pour oublier leur maison
Et le mur familier aux ombres
J'annonce la plaine et les eaux rouillées
Et la grande Bible des pierres

Ils ne connaîtront pas
--- À part le fer et le jasmin des formes
La Nuit heureuse de transporter les mondes
L'âge dans le repos comme une sève

Pour eux nul chant
Mais la rosée brûlante de la mer
Mais la tristesse éternelle des sources

Nous reviendrons corps de cendre ou rosiers
Avec l'œil cet animal charmant
O colombe
Près des puits de bronze où de lointains
Soleils sont couchés
Puis nous reprendrons notre courbe et nos pas
Sous les fontaines sans eau de la lune
O colombe
Là où les grandes solitudes mangent la pierre
Les nuits et les jours perdent leurs ombres par milliers
Le Temps est innocent des choses
O colombe
Tout passe comme si j'étais l'oiseau immobile

Nadia Tuéni194

Quand on est seul...

Quand on est seul
Je veux dire quand on a le mal des fleurs,
que l'on fait à genoux le tour de soi-même,
il ne reste que deux yeux sur le mur.
Quand on est seul comme un oiseau royal,
déjà le jour impose l'horizon.
Si l'enfant est en deuil,
ce n'est pas par hasard qu'on crucifie à l'aube.
Quand on est seul avec la pluie dans un verre d'eau,
un bateau contre la fenêtre, et des voyages à perte de vue,
un sourire saigne alors sur ton visage loin comme une cicatrice.
Quand on est seul sans maison sous la lune
ni même une odeur de chemin,
sans désert dans la main, que faire à cet instant précis
de tous les mots qui meurent ?

Et mes yeux...

Et mes yeux sont un port d'où partent les navires dont on dit qu'ils sont beaux comme un enfant qui pleure dans la nuit des miroirs.

La mer se cache dans ses eaux
Le vent est un fardeau de prince, mais la lampe et la nuit s'en vont

en chuchotant, écoutent la respiration des mémoires.
O que la vérité est menteuse,
car l'infini de l'eau est démenti par le sable.
Tout n'est si beau que parce que tout va mourir,
dans un instant...

Je ne préfère rien aux vérités de l'eau,
aux coups de vent chargés des embruns de la vague.

Poème pour une histoire 1972

Ils sont morts à plusieurs
C'est à dire chacun seul
sur une même potence qu'on nomme territoire
leurs yeux argiles ou cendres emportent la montagne
en otage de vie.

Alors la nuit
la nuit jusqu'au matin
puis de nouveau la mort
et leur souffle dernier dépose dans l'espace la fin du mot.
Quatre soleils montent la garde pour empêcher
le temps d'inventer une histoire.

Ils sont morts à plusieurs
sans se toucher
sans fleur à l'oreille
sans faire exprès
une voix tombe: c'est le bruit du jour sur le pavé.

Crois-tu que la terre s'habitue à tourner?
Pour plus de précision ils sont morts à plusieurs
par besoin de mourir
comme on ferme une porte lorsque le vent se lève
ou que la mer vous rentre par la bouche...

Alors
ils sont bien morts ensemble
c'est-à-dire chacun seul comme ils avaient vécu.

Jérusalem

Appelle-moi terre
sache que je suis vivante
dans mes yeux tout un peuple s'est nourri de sel
qui avait goût de rose
une odeur de neige
un profil
je croyais te connaître
mais ta bouche à présent prononce le silence
et moi j'ai faim
ô la multitude des saisons
qui m'enfoncent tandis que la nuit devient neuve
demeure ma genèse
pour que s'achèvent les étoiles
près de Jérusalem il y a des caresses que je n'oserai pas
il y a l'inimaginable horizon
cet excrément d'étoiles
Jérusalem
il faudrait que tu brûles pour mettre en moi la guerre
qui renaît chaque juin d'une odeur parallèle à celle des corps
d'un tien regard plus froid que le mercure
ô la multitude des voyages sur le sable à jamais perdu
et qui laisse échapper l'invraisemblable cri
Jérusalem
voici la cendre des commencements
nos doigts qui se referment sur ton soleil
puis brusquement la terre
n'est plus qu'une larme.

Étranger

Tu as sali la mer par tendresse
Étranger
mais tu ne savais pas qu'elle est espace vide,
Qu'elle est tout ce qui reste du chemin
nécessaire
à la respiration des bibles,
au pacte entre nous et nous,
à la mort fertile et qui devient jardin
de sommeil et d'eau pour délivrer les races,
nécessaire
au sens de chaque pierre
dont je suis la neige royale,
pour que la terre apprenne à vivre avec son double,
ne plus connaître absence.
Étranger
le sable est langage du monde,
nos pieds ont déchiffré ce qui brûle ton soleil
et t'empêche d'être libre comme enfant.
Étranger
voilà pourquoi ce soir
sous les murs derniers de l'Asie,
j'offre mon corps mobile au rasoir de la vague.

MAURICIENNE

Malcolm de Chazal195

Pourquoi écrire...

Pourquoi écrire ? Eh bien, parce qu'il faut que l'arbre donne ses fruits, que le soleil luise, que la colombe s'accouple à la colombe, que l'eau se donne à la mer, et que la terre donne ses richesses aux racines de l'arbre.

L'air

L'air
A toujours
Raison
Du vent.

L'air
N'a pas
De
Cartouches
De dynamite.

La seule chose
Qui ne connaisse
Pas
Son épaisseur
Est l'air.

Poèmes

La dernière Sensation Du pendu C'est Qu'on Lui arrache Les | pieds

    • *

La pâquerette
Est
La plus belle
De toutes
Les lingères.

Les
Bourgeois
N'ont
Jamais
Pu
Embourgeoiser
Leur
Pot de chambre.

Ananda Devi196

En apnée

Parce qu'il m'est trop lourd de respirer ce qui n'existe plus
Parce que ce ne sont pas les poumons mais la mémoire qui respire
Les souvenirs ne nourrissent pas leur femme

-- ils la dessèchent -- la font de paille et d'orge -- un pain quotidien d'amertume
Ne me buvez pas : le goût frelaté de la mort rôde.

En apnée
Parce qu'il arrive que l'air oublie son rôle, se raréfie
Comme s'il se croyait au sommet de l'Annapurna ou de la Nanda Devi
Hélas je grouille plus bas que l'air, plus bas que la terre, plus bas que la mer
L'île est une presqu'île rattachée par les pieds à une barre de fer rouillée
qui traverse nos douceurs pour nous dire : souvenez-vous.

En apnée
Comme si au bord du Gange ou du Grand Bassin tu aspirais les chants liturgiques qui promènent dans ton corps l'indécence des croyances,
celles qui, toujours, te trahissent
te font croire aux grandes puissances des mères et des pères
avant de les dissoudre en poussière

Tu sais que respirer c'est t'emplir de la suie des vies
dont il ne reste plus rien que la langue des flammes
corps qui se disloquent, chœurs entonnés par les cloches
vêtus de jaune vêtus de noir vêtus de blanc
le Gange ne s'arrêtera nulle part, ni pour les prieurs ni pour les mourants
encore moins pour les absents
remonter le Gange c'est remonter à la source du vivant
avant n'était que chant -- ils ont chanté avant que de savoir
et ils sont oublié avant que d'être

et ils sont morts avant que de devenir
et ils ont disparu lorsque
la dernière cloche a sonné.

Je ne vous connais pas

Je ne vous connais pas
J'ignore jusqu'à votre nom
Votre visage m'est étrange
Balafré de sa rage

Quand vous déchirerez ma page
Vous saurez qui j'étais
Un trou, un remous
Un déchet sur un rêve

Vous le maître de nos destins
Dont je ne connais pas le nom
D'où vous vient cette colère
Cette fureur sans pardon ?

J'ai eu beau fuir
Vous me ramenez
Me tirant par mes cheveux
Comme la dernière des damnées.

Six décennies

La peau où s'inscrit ton histoire
Entre entailles et engelures
Tu auras beau écrire
C'est sur ton corps qu'elle se lit
Pas dans tes mots qui le plus souvent
Démenbrent la réalité
En cadences malaisées
En mythologies réinventées
Six décennies et rien de poétique
Dans le glas du regard

En toi je perçois
Le ravissement de l'incertain

Le désir n'est jamais dompté
Puisqu'il n'obéit ni à nos crimes ni à nos consciences
  Six décennies et je l'admets
Je refuse tout ce qui interdit les sens
  Tout ce qui nous embourbe
Nous entourbe
Nous réduit à moins que nous-mêmes
  La nature nous a construit autres
Joyeux et généreux
  C'est là le ravissement de l'incertain
Le reniement de tout ce qui nous encastre
Et nous empêche d'être
Le simple fait d'une joie
D'une tendresse
D'un orgasme rieur
  Je ne veux d'aucun masque
Aucun voile
Aucune croyance
Qui m'interdisent d'être

Jean Fanchette197

Exils

Je ne suis pas d'ici.
Je ne suis plus d'ailleurs.
Je me coule dans la verticalité de mon corps.
Je me love dans l'horizontalité de mes ans.
Au-dessus de moi vole immobile l'oiseau Absence.
Je ne marche plus que dans l'évidement, le vacant
Où l'écho de mes pas résonne comme une salve.

Osmoses

Écoutons Le poème de l'arbre enfant :
Les pulsations d'un paysage
Vibrant dans les veines de l'arbre,
Le rocher frère et ses présages
Furent appris en ce matin
Porté vers moi du fond des âges.
[... ]
L'arbre se souvient de l'amande,
De la nuit lente des racines,
Des forêts d'ombre et de résine,
Jusqu'au cri du premier oiseau
Par-delà des siècles d'attente.
Et moi l'enfant d'une seconde,
Parmi l'or mouvant des genêts,
Je veille cet instant que fonde
L'angoisse de millions d'années
Dans le désordre clair du monde.

Presto vivace

Je cours depuis toujours sans jamais m'arrêter
Tout se fait en courant aimer naître et mourir
Je poursuis des soleils que je n'ai jamais vus
Je cours après des rêves que je ne ferai plus

Je cerne les saisons dans leur cycle sans fin
d'éblouissements verts et de métamorphoses
Le temps n'est pas pour moi Je guette les nuages
En flottant derrière eux vers des silences vagues

Météore sans nom dans le ciel des âges
Je ne sais même plus d'où je me suis enfui
et conduis dans l'espace une ronde infernale
De fantômes moqueurs qui ne sont jamais morts.

Robert Edward Hart198

Montagne fée

Debout entre les Plaines-Wilhems et la Rivière-Noire, dominant de loin la mer, et dressée vers le ciel, couleur de clématite, la voici, ce matin, bleuâtre et verte, modelée comme un visage humain, estompée de nuages vermeils.
Les jeux nuancés de la nue se reflètent amoureusement sur sa robe toujours changeante et belle toujours. Elle est une montagne fée, jaillie tout droit de la plaine, noble de profil, aux incurvations harmonieuses.
À son versant septentrional une silhouette d'homme est étendue, qui ressemble à un roi gisant mort sur un lit de parade. Mais la montagne est frappée du sceau d'une royauté plus haute. Élan de la terre vers les dieux, elle prie d'une oraison dont les heures déterminent la liturgie et le chant. C'est vers elle que mon humanité, oppressée par le prosaïsme des nains qui rampent à ses assisses, c'est vers elle que mon humanité -- anxieuse, comme la grenade mûre, d'éclater -- élève le cri muet qui délivre l'âme, l'exorcise, la sauve.
Mont d'exaltation et de sérénité alternées ; front de pierre où défilent, avec l'ombre des nuages, tant de pensées éternelles ; autel de géants pour l'offrande aux maitres invisibles de l'azur ; mystérieuse aïeule agenouillée devant le mystère ; vestale, druidesse, vierge solaire tendue vers le soleil... J'essaie avec ferveur de percevoir son rythme, sa musique secrète, son message.
Elle a l'air d'être immobile, et dormante, et morte. Pourtant elle vit de toutes ses clartés, de toutes ses pénombres. D'ici je crois entendre son appel. Ô Déité protectrice de ma terre et de ma race, Inspiratrice qui sais dompter la douleur et discipliner la Joie, je t'aime comme un enseignement de la Nature, comme un signe du divin.

Mélopée

Pour Les Beaux Jours
Si j'ai fait de granit ma maison pour la mort
Je n'ai fait qu'en rafia la maison de ma vie.
Je vois passer les jours sans désir ni remords.
Dans ma chair sans orgueil mon âme est assouvie.
J'ai du riz, un toit sûr, un lamba qui me vêt:
C'est là ce que pour moi mon vieux père rêvait.
Toutefois il me faut, quand viendra l'agonie,
Qu'on enroule à mon corps la toile Cramoisie
− Le lambamena pourpre aux larges plis soyeux−
Et qu'on garde à mes os le culte des aïeux,
Ainsi, moi trépassé, que l'on pleure ou qu'on rie,
Je dormirai content, sans désir ni remords.
Je n'ai fait qu'en rafia la maison de ma vie
Mais j'ai fait de granit ma maison pour la mort.

Yusuf Kadel199

Voile

Murs nus de ma chambre
autant de toiles...
où projeter par défaut
les formes me trottant sous le crâne
quelle aire d'autoroute sous la neige ?
ce quai de gare : deux mains gantées
distantes d'une vitre
écharpes laissées au vent
il manque un visage
toujours le même
mes souvenirs portent le voile

La rivière

La rivière
ne se retourne pas  la rivière
ignore d'où elle vient
« rivière » est le nom que porte l'eau lorsque
tenue en laisse
L'eau
nous bouscule de l'intérieur  l'eau
est plus pointue qu'on ne pense
l'homme !
est une idée de l'eau

Léoville Lhomme200

Bouddha

Cakya-Mouni, rêveur, écoutait les voix calmes
De l'eau parmi les joncs et du vent dans les palmes,
Dans les bambous géants qui frémissent , parmi
Les nymphéas plongés dans le fleuve à demi...
Le soufle de la brute entre les hauts bambous
Errait, avec les pas furtifs, les élans fous,
Les appels haletants d'amour dans le mystère
Où l'ombre enveloppait le sommeil de la terre.
Et le Bouddha songeait qu'aveugle, en proie au mal,
L'homme aussi se ruait, plus vil que l'animal,
Vers l'abîme des sens et la source de l'être,
D'où monte jusqu'au ciel qui jadis le vit naître,
Pâle comme la mort, belle comme une fleur,
La Grande Illusion, mère de la Douleur.

Les Salines

Lieux chers à mon enfance, ô quartier des Salines,
J'ai parfois le regret de vous avoir quittés.
Il m'est doux de crier dans vos brises marines
Ce que j'ai su par vous de chastes voluptés.
Oui, je reviens souvent errer sur vos rivages.
Je ne puis oublier tant d'arbres pleins d'oiseaux,
Les vounes des marais hantés de chiens sauvages
Dont les abois roulaient dans la rumeur des eaux.
J'aime vos toits moussus et même vos ruines.
Vous m'appelez la nuit, je vous revois le jour,
Bords aimés où le flot laisse des mousselines,
Sables d'or qu'il roulait jusqu'à la vieille tour !
Océan, c'est ici que ma neuve prunelle
A vu bondir ta houle en orageux éclair,
Et que, sentant soudain en moi s'ouvrir une aile,
Mon rêve a pris l'essor dans ton grand souffle amer.

Khal Torabully201

Cale d'étoiles

Coolitude pour poser la première pierre de ma mémoire de toute mémoire, ma langue de toutes les langues, ma part d'inconnu que de nombreux corps et de nombreuses histoires ont souvent déposée dans mes gènes et mes îles .
À me demander si je fais partie d'une race de malaxeurs d'épices et de parfums, de soies et d'ors, de pigments de peaux et de mots.
Coolitude, mon roulis-coolie, chant d'un enracinement autant que chant d'un déracinement dans une terre faite d'autres poussières, rencontre nécessaire où l'indien apporte son cuivre millénaire au chant du monde.
Pour dire nos voyages, nos rencontres et nos métissages incessants ; voici mon chant d'exil et de bonheur : avant d'être homme nouveau, je suis homme en devenir.
* * * * * Coolitude non seulement pour la mémoire... mais aussi pour ces valeurs d'hommes que l'île a échafaudées à la rencontre des fils d'Afrique de l'Inde de Chine et de l'Occident.
Pour moi, la seule patrie rêvée est celle de la grande fraternité... de la réconciliation.
Coolitude : parce que je suis créole de mon cordage, indien de mon mât, européen de la vergue, je suis mauricien de ma quête et français de mon exil. Je ne serai toujours ailleurs qu'en moi-même parce que je ne peux qu'imaginer ma terre natale...
Est-ce pour cela que ma vraie langue maternelle est la poésie ?

Chair corail

Je ne suis pas d'ici comme on est commis de seconde classe.
Je suis père des métamorphoses
Après avoir longtemps courbé ma langue
Devant le saccage des cervelles.
On ne dira plus c'était un bon coolie,
Un coolie sucré qui se distrait de rien,
Un z'indien qui a la fragilité de l'horizon
à l'approche du cyclone glouton.
On ne dira plus que la gale de sa misère
Le ravale à l'insignifiance de sa présence.
Ni que son sang étrange
Imprégné d'épices rances
A le relent troublant de son costume de fakir.
On ne dira plus qu'il mange chien
Ou crapaud sans sel.
On dira qu'il a retrouvé l'appétit des mots
Au cri puissant de son humanité.

MONGOLE

Uriankhai Damdinsüren202

Abreuver son cheval en automne

Un oiseau solitaire plane sur un ruisseau...
Étrangement,
Il plane très lentement, à l'allure d'une tortue...
Pour une raison que j'ignore,
Mon cheval, en méditation,
Oublie de boire, ronge son mors séché
Et regarde tristement le sommet de montagne...

Un oiseau solitaire plane sur un ruisseau...
Le fait que l'oiseau solitaire plane seul sur le ruisseau,
Semble qu'il ait perdu ses ailes sur terre, le pauvre ,
Et les cherche toute la journée.
Par empathie, l'envie de voler avec lui me vient...

J'ai sifflé en desserrant la sangle...
Mon cheval
En humant l'ombre de l'oiseau
Depuis les rapides du ruisseau,
Tâte ma paume avec ses lèvres tièdes
Comme s'il cherchait la clé de mon âme,
Et me fixe au fond des yeux
Comme s'il retraçait mes péchés.
Son hennissement doux... tout doux, comme s'il pleurait
Résonne dans le bosquet de mon âme
Telle une foudre subite203...

Nyamdorj Gürjav204

Deux soleils

Chaque fois que je vois votre beau visage
Mon corps s'accorde comme une cithare,
Alors que je voudrais chanter à tue-tête
D'un soupir, toutes mes cordes se brisent.

György Kara205

Chants d'un barde mongol

Le cheval de Gheser
Il a le corps de la grandeur d'une montagne,
Il a les oreilles de la grandeur d'une ravine.
Il a les yeux de la grandeur d'un lac,
Il a un nez d'acier noir,
(C'est) la monture miraculeuse, le Sage Bai. (...)

La tente de Gheser
(Inondée) par la lumière de la lune et du soleil,
Elle a la forme d'un moule de petit stupa.
Dans sa contrée belle et claire
C'est une belle tente mongole sans pareille.
Elle a des treillis de pierres précieuses tressées
Et les lanières (du treillis) sont des perles fines.
Elle a des lattes de pierres précieuses qui s'allongent
C'est une tente bien dressée (...)

Rogmo, la femme favorite de Gheser
Pour le maître, Gheser le Brave,
Elle est comme le foie et le cœur.
Elle est la fleur pour les yeux voyants,
Elle est le musc pour son nez flairant206.
Avec la blancheur de son visage
Le papier et la ouate pourraient rivaliser ?
Avec la splendeur de ses dents
La conque nouvelle pourrait rivaliser ?
Elle a des lèvres comme le meilleur des raisins
Ses joues sont rouges comme la pêche.
Ses sourcils sont pareils aux feuilles du saule.
Ses yeux ébranlent le pays.
Elle est pleine d'esprit et d'intelligence.
Elle est Rogmo, la femme délicieuse
Rogmo, la femme bien-aimée
Rogmo, la femme d'une beauté merveilleuse.

Ölziitögs Luvsandorj207

Chaque herbe un arbre...

Chaque herbe un arbre
Chaque pierre une montagne.
Chaque chose un centre
De ce monde grand.

Chaque plume un oiseau
Chaque oiseau un ciel
Chaque jour nouveau
De cette vie fertile208.

Princesse Nirgidma de Torhout209

Avez-vous vu ?

Il monte un cheval couleur de feu,
Son corps d'homme est jeune et beau.
Passant qui suivez les chemins herbeux,
Avez-vous vu  mon bel amant ?

Sa taille est fine, ceinte de soie noire
Son front, celui d'un roi glorieux
Passant, qui revenez des mers lointaines
Avez-vous vu mon bel amant ?

A qui me parlera de lui,
Je donnerai mon bracelet d'or.
A qui me montrera ses traces,
Les perles rondes de mes oreilles.

Mais ni dans les herbes, ni sur les eaux
Sous le soleil il n'est plus.
Par quel chemin inconnu
Aller rejoindre mon bel amant ?

Le doux tendre (le vent)

Au doux et tendre vent
Se balancent les arbres des monts.
Avec son ami pareil à un axe de tendresse
Plus cela dure et plus on s'accoutume.

Sur mon aubère aux oreilles en pointe
Je franchirai le Gobi du pays Khalkha
Avec toi mon cher amour.
Plus l'on vivra ensemble et plus l'on s'accoutumera.

Sur mon aubère à la crinière dédoublée
Je franchirai le Gobi de Charga
Et toi, petite délurée
Une fois par mois je te rencontrerai (...)

Dans les denses forêts bleutées
Le coucou coucoulera
Avec toi, ravissant amour,
En un continuel épanouissement je m'accorderai.

Dans les blancs nuages effilochés
La fraîche transparence migrera
Avec toi, amour de mon cœur
Vivant à l'abri je serai heureux.

Onze Triades

Une colonne manque au ciel
Un couvercle manque à la mer
Une ceinture manque à la terre

Bien qu'audible l'écho est vide
Bien que visible le mirage est vide
Bien que perceptible le rêve est vide

Blanches les dents de la jeunesse
Blancs les cheveux de l'âge
Blancs les os de la mort

La mer en bleu lance sa blanche écume
La mer écrit son éternel refrain
La mer envie un peu un océan

Le désert jaune avance doucement
Le désert met son long manteau de mort
Le grand désert aura le dernier mot

Le premier homme en veste d'animal
Le premier homme affronte les hivers
Le premier homme imagine demain

Un siècle dit les faits divers du monde
Un siècle chante un air du temps présent
Un siècle rit des hommes chimériques

Le vent soulève un monceau de poussière
Le vent envoie ses rafales maudites
Le vent emporte un fragment de la vie

Un oiseau chante un refrain éternel
Un oiseau fait sa douce mélodie
Un oiseau fuit dès qu'un homme s'approche

Une herbe pousse au milieu d'un jardin
Une herbe veut une place au soleil
Une herbe est prise aux pièges des humains

Un écureuil grignote sa noisette
Un écureuil se sent comme à la fête
Un écureuil se cache dans la branche

NÉPALAISE

Bhanubhakta Acharya210

Le puits du tondeur

Consacrant sa vie à tondre l'herbe, il gagnait un peu d'argent ;
Et espérant qu'on se souvienne de lui, il a creusé un puits.
L'aulacode est pauvre chez lui, mais si riche d'esprit.
Moi, Bhanubhakta, je n'ai rien fait de ma richesse.
Je n'ai pas de puits, ni d'auberges ni de maisons de repos
Quelles que soient les richesses et les richesses, il y en a chez moi.
Quelle leçon ce coupe-herbe a donné !

Laxmi Prasad Devkota211

Poème lunatique

Oh oui, mon ami ! Je suis fou -
c'est comme ça que je suis.

Je vois des sons, j'entends des images, je goûte des odeurs,
je ne touche pas le ciel mais des choses du monde souterrain,
des choses que les gens ne croient pas exister,
dont le monde ne soupçonne pas les formes.
Je vois des pierres comme des fleurs
allongées lissées par l'eau au bord de l'eau,
rochers aux formes tendres au clair de lune
quand la céleste sorcière me sourit,
éteignant des feuilles, ramollies, scintillantes,
palpitantes, elles se dressent comme des maniaques muets,
comme des fleurs, une sorte de fleurs d'oiseau lunaire.
Je leur parle comme ils me parlent, une langue, mon ami,
qui ne peut être écrite ou imprimée ou parlée,
qui ne peut être comprise, qui ne peut être entendue.
Leur langue vient en ondulations sur les rives du Gange éclairées par la lune,
ondulation par ondulation -
oh oui, mon ami ! Je suis fou - c'est comme ça que je suis.
(...)
Vous êtes une prose puissante et un vers liquide.
Quand tu gèles je fond, quand tu es clair je m'embrouille
et puis ça marche dans l'autre sens.
Votre monde est solide, le mien vaporeux, le vôtre grossier, le mien subtil.
(...) J'ai le tranchant de l'épine, toi l'or et les diamants.
Vous pensez que les collines sont muettes - je les appelle éloquentes.
Ah oui, mon ami !
Je suis libre dans mon état d'ébriété - c'est comme ça que je suis.

(...) Quand j'ai vu les premières marques des neiges du temps
dans les cheveux d'une belle femme,j'ai pleuré pendant trois jours.
Quand le Bouddha a touché mon âme , ils ont dit que je délirais.
Ils m'ont traité de fou parce que j'ai dansé quand j'ai entendu le premier coucou du printemps.
(...) Pendant des années, ces choses ont duré.
Je suis fou, mon ami, c'est comme ça que je suis.

J'ai appelé le sang de vin du Navab, la prostituée peinte un cadavre
et le roi un pauvre. J'ai attaqué Alexandre avec des insultes,
et dénoncé les soi-disant grandes âmes.
Les humbles que j'ai élevés sur le pont de louange vers le septième ciel.
Ton savant pandit est mon grand sot, ton ciel mon enfer,

ton or mon fer, mon ami ! Ta piété mon péché.
Là où tu te considères comme brillant, je te trouve idiot.
Votre ascension, mon ami, mon déclin.
C'est comme ça que nos valeurs sont mélangées, mon ami !
Votre monde entier est un cheveu pour moi.
Oh oui, mon ami, je suis totalement ébloui par la lune !
C'est comme ça que je suis.

Je vois l'aveugle comme le guide du peuple,

l'ascète dans sa caverne comme un déserteur ;
ceux qui agissent dans le théâtre du mensonge
je les vois comme des bouffons noirs.
Ceux qui échouent, je trouve qu'ils réussissent et que les progrès ne font que reculer.
Suis-je louche ou juste fou ? Ami, je suis fou.

Regardez les langues flétries des dirigeants sans vergogne,
La danse des putains à briser l'épine dorsale des droits du peuple.
Quand le papier journal à tête de moineau étend ses mensonges noirs
Dans un tissu de mensonges pour défier la Raison - le héros en moi -
Mes joues deviennent rouges, mon ami, rouges comme du charbon en fusion.
(...) Quand je vois le tigre oser manger le cerf, mon ami,

ou le gros poisson le petit,
alors dans mes os pourris vient la force terrible de l'âme de Dadhichi
et essaie de parler, mon ami, comme le jour d'orage qui tombe du ciel avec la foudre.
Quand l'homme considère un homme comme n'étant pas un homme, mon ami,
alors mes dents grincent ensemble, toutes les trente-deux,
mâchoires supérieure et inférieure, comme les dents de Bhimasena.
Et puis, rouges de rage, mes globes oculaires tournent en rond, d'un seul
coup comme une flamme fouettant ce monde humain inhumain.
Mes organes sautent hors de leurs cadres - tumulte ! Tumulte!
ma respiration devient orageuse, mon visage déformé, mon cerveau en feu, mon ami !
d'un feu comme ceux qui brûlent sous la mer,
comme le feu qui dévore les forêts, frénétique, ami !
comme quelqu'un qui avalerait le vaste monde cru.
Oh oui, mon ami, je suis la belle chakora, destructrice du laid,
à la fois tendre et cruelle, l'oiseau qui vole le feu du ciel,
enfant de la tempête, vomi du volcan fou, la terreur incarnée.
Oh oui, mon ami, mon cerveau tourne, tourne -
c'est juste comme ça que je suis.

Suman Pokhre212

C'est la ville de qui ?

Cette ville rit
en buvant ses propres désillusions avec mes angoisses,
Elle bourgeonne en jouant avec mes désirs insatisfaits,
Dort sous le couvert des doux rêves de mes récits d'amour,
Se réveille en faisant des démonstrations de mes rébellions.

J'ai ramené à la maison la poussière et la fumée de cette ville

et je les ai lavées avec mon visage et mes vêtements,
j'ai capté ses sons rauques
et les ai soigneusement ciselés pour les utiliser dans mes chansons,
j'ai embelli ma poésie en recueillant ses scènes chaotiques,
Et en recueillant ses angoisses, j'ai couronné la mélodie de ma vie.

Prenant sur moi toutes ses vertus et tous ses vices,
je déclare que cette ville est la mienne213.

Ma recherche de toi

Dis-moi une fois où es-tu ?

Où es-tu dont on devrait se souvenir quand vient ta mémoire ?
Où es-tu qui devrais être touchée quand j'ai envie de te toucher ?
Où es-tu qui devrais être aimée quand j'ai envie de t'aimer ?

Que dois-je faire?
Dois-je construire un temple de ton âme et y rester sonnant la cloche de la prière ?
Dois-je construire un monastère sans forme et m'y asseoir en méditation ?
Dois-je construire une maison invisible d'amour et dormir à l'intérieur ?

Je veux aimer le moi que tu dis être toi.

Si tu n'es pas un corps pourquoi devrais-je enrichir des scènes devant tes yeux ? Pourquoi devrais-je balayer les épines du chemin où tu marches ?
Pourquoi devrais-je toujours rendre tendres les choses que tu touches ?
Pourquoi devrais-je bloquer les sons rauques venant assaillir tes oreilles ?

Pourquoi devrais-je renverser de l'arôme sur des fleurs ?
Pour qui devrais-je remplir mes lèvres de goût ?
Je veux t'aimer sortant de ce circuit d'illusion
un monde faux qui grandit en jubilant avec sa propre vanité.

Je t'en supplie, fais-moi comprendre juste une fois
Devrais-tu n'être que mental, intellect et âme
où dois-je aller si je voulais fusionner avec toi ?

Enfants

Même s'ils essaient de la cueillir, la fleur se soumet à leurs mains. S'il lui arrive de leur piquer les talons, l'épine se méprise toute sa vie. Le rêve aussi réfléchit à deux fois, se filtre pour devenir doux et s'asseoir sur leurs yeux. Une fois positionnés sur leurs lèvres, même les mots les plus effrayants sortent comme un zézaiement mélodieux. La rivière de la colline qui dévale la pente, se moque des oiseaux, ayant entendu leur rire pur se repent de sa fierté et coule tranquillement vers Madhes. Même s'ils tombent pendant leur jeu, la nature, tombée sous le charme de leurs sports créatifs, ne sait pas quand ils recommencent à jouer si plein de plaisanteries. Croire qu'ils tombent par terre sans le savoir, la plupart du temps, ne leur fait même pas mal. Même après les âges de l'exercice, aucune fleur n'a pu adopter l'innocence de leur sourire. Les instruments de musique, après leur compagnie avec les maestros de la musique pendant des siècles, n'ont pas réussi à acquérir la sonorité de leur voix. S'il se brise, le vase de fleurs assume un sourire en se transformant en morceaux. Pour avoir une chance d'être renversé par leurs mains, tout ce qu'ils détiennent est renversé plein de bonheur. Pour jouer avec eux, l'eau oublie sa propre transparence. Je me demande -- le créateur n'a-t-il pas vraiment fait d'injustice ? Avec le pouvoir de vaincre tout le monde sans aucune bataille, les enfants sont occupés à jouer avec les plus beaux moments de leur vie. Une fois qu'ils en auront pris conscience, ces moments auront disparu pour ne plus jamais revenir214.

Enchevêtrements

Que je ne sois pas tellement perdu dans des engagements qui me rendraient incapable de reconnaître le parfum de la fleur rayonnant dans ma propre cour ; comme cela me priverait de temps pour les joyeux jeux d'enfants qui se réjouissent de la joie totale de la création rayonnante au milieu d'eux. Comme me rendrait inconscient de mon temps pour le vent portant les parfums de l'amour, pour les oiseaux chantant les notes de la vie, pour les cascades étincelantes qui tombent mais gaies et, aussi, pour les étoiles que les lucioles portent à travers l'immensité des ténèbres. Que je ne sois pas tellement emporté par la hâte. Que je ne me perde pas de vue dans la précipitation des cercles vicieux de la vie. Ne me laisse pas aller en spirale vers un sommet où la vision serait aveuglée par les larmes, lessivant les troubles de la vie. Pas tant être perdu que je n'aurais jamais eu le temps de me regarder. Pas tellement, tellement être perdu, juste pour voir la teinte, la grâce, la gloire a disparu du visage de mon bien-aimé alors que je me réveillais et que je devenais conscient. Combien de temps pourrais-je courir après le temps, mon esprit n'étant qu'un cosmos de vide ? Voulez-vous, s'il vous plaît, partir en voyage pour votre propre bien, jusqu'à ce que je vienne vivre un moment de vie215 ?

Yuyutsu Sharma216

Rivière matin

Cruelle rivière sait chaque fois
que je viens couvasser ses eaux rugissantes
chaque fois que je viens sur ses berges assourdissantes
faire miroiter mes rêves sur les flancs dodus de son corps chaud
chaque fois que je viens verser le dernier sel de ma vie
dans les gorges retentissantes d'elle charpente sonore,
un os se brise dans ma poitrine fumante
et une ride apparaît sur la feuille ratatinée de ma vie.

Le lac Fewa, un poème inachevé

De l'épaule d'une colline, d'un restaurant-jardin où gisent des touristes épuisés, massant les membres hystériques d'un cauchemar,
du salon de thé miteux d'une grand-mère, pleurant à cause de la fumée de ses rêves carbonisés,
du balcon d'une hutte où une blonde bouddhiste nonne couche avec un toxicomane local,

de Naudada, de Lumle, des draps lumineux des vitres d'une voiture de course
ou comme un despote d'une principauté jadis affamée, Sarangkot,
d'un avion au nez de snobisme tapotant les sommets luisants

de la queue de poisson des pages colorées d'un livre de table basse,
de la fureur de la déesse qui a créé le lac pour venger les méchants habitants de la vallée,
des orbites enfoncées des yeux d'un portier où ont poussé de magnifiques dragueurs de l'Himal,

des colonnes obscènes d'un magazine sur les pics gelés de l'Himal,
imprimé de l'encre maléfique donnée par une ONG perfide,
de la chambre d'un couple de randonneurs, sur le point d'atteindre un orgasme à l'unisson,
de l'œil saignant d'un chanteur folklorique amoureux de la fille du Sahu local,
de la proue d'un ferry se précipitant sur la surface pour mesurer son secret,
de la pointe de la queue de poisson où rebondit le soleil d'agneau défunt,
du brouillon inachevé de ce poème que j'arrache pour regarder le bleu
du lac de l'Œil, Fewa.

Sagarmatha

Le lac turquoise qui aspire à appartenir à l'océan
pris au piège pour voir la face éblouissante de l'Everest.
Les grimpeurs du monde entier viennent voir leurs visages hagards
dans la claire lumière de ses yeux de cristal avant d'affronter

le front du Sky Glacial
Un espoir qu'un jour je pousserai comme un arbre au bord d'une colline reculée.
Un espoir qu'un jour une Reine-de-la-Nuit fleurira dans ma poitrine
et aspirera toute la fumée que j'ai inhalée dans ces villes malignes.
Un espoir qu'un jour un ruisseau qui vient de naître nettoiera et lavera
les bactéries de la cupidité en moi.
Un espoir qu'un jour un Bouddha méditant dans la niche d'un cairn
près du tas d'ordures de la ville secoue ses membres
et s'éloigne vers un village d'éternité pour prendre une autre naissance
pour me sauver de la honte de devenir un glacier.

Gâteau de l'espace, Amsterdam

"Ne paniquez pas", disaient-ils,
restez cool comme votre Krishna,
méditez peut-être comme Bouddha,
en prononçant "Om Mani Padme", joyau dans le lotus,
ou allongez-vous et détendez-vous comme Vishnu sur le lit de python
pour flotter sur l'océan. courants, flottant sur le fil invisible
de ton souffle au ralenti...

Des millions de chats rôdaient autour de moi.
La fumée des relations sexuelles partagées
et des joints de haschisch me piquait les yeux.
La langue troublante d'un feu maladroit nourrissait mon estomac.
J'ai dérapé avec un malaise vers le bord redoutable,
les frontières inquiétantes inconnues de la vie humaine...
Ils ont ri d'un rire secret dans mon dos - « N'est-ce pas fou
que cet homme de Katmandou devrait se faire défoncer
par un morceau de space cake à Amsterdam ?"

"Ne soyez pas sérieux, riez, célébrez la flamme de la vie !"
dit une voix de femme. Je peux imaginer que vous êtes seul sur ce sentier.
J'y suis allée une fois," murmura-t-elle.
Sa langue s'enroula comme une feuille sèche dans mon oreille
et crépita "Combien as-tu pris, juste un morceau ?

J'ai pris trente-huit grammes une fois,
ça peut être fou si tu ne sais pas que ça vient.
Ne vous inquiétez pas trop. Ne perdez pas votre contrôle sur les choses.
Tu peux m'embrasser si tu veux, tu peux tapoter mon dos,
chatouiller mon ventre ou caresser mes seins pendant un moment,
Parfois, cela peut être paradisiaque,
ce lécher le bord des frontières interdites de la vie humaine.

"C'est ce qu'il veut, c'est exactement ce qu'il cherche,"
une voix lorgnait au loin.
"Mais je dois y aller finalement,
j'ai un homme qui m'attend à la maison."

"Peut-être lire un de vos poèmes", a dit quelqu'un.
Mon cœur s'est emballé et j'ai entendu des commérages de filles
dans la pièce à côté ... Et s'il tombe malade en Europe ?
Ne tombons-nous pas malades en Asie ?
"Ralentissez-vous," une autre voix a fait écho
"Vous ne deviendrez pas psychotique. Souvenez-vous d'une chose,
quoi qu'il arrive, vous pouvez toujours faire un retour."
Les visages de mes êtres chers passaient devant mon visage
glissant entre mes doigts "Hé mec, ça va. Ne t'inquiète pas trop."
cria mon hôte. "Boire beaucoup d'eau." Buvez du thé noir ou du café",
a suggéré un invité. "Ou prenez beaucoup de jus d'orange."
"Peut-être chanter votre chanson préférée", a dit une femme.
"Ou réciter l'un de vos mantras hindous"
une autre voix est venue timidement,
" Et vomir. Tu n'as sans doute pas encore tout digéré. »

Les questions venaient comme des coups de vent.
« Peux-tu me dire ce qu'on appelle l'ennui dans ta langue maternelle ?
Vous souvenez-vous de votre compte de messagerie et de votre mot de passe ?
Parlez de vos enfants, si vous en avez.
Peut-être que tu te sentirais mieux alors, en voyant ses yeux brillants."
J'imaginai le visage d'un enfant et m'y accrochai,
comme un pénitent s'accrocherait à la queue d'une vache sacrée
dans son au-delà, et dormirait dessus, tout au long du fleuve de sang...

Des heures se sont écoulées et puis j'ai entendu quelqu'un dire -
Et s'il avait paniqué ? Et si la mort avait traqué notre maison ce soir ?
En entendant ces mots, je me suis réveillé en sachant que je reviendrais,
j'ai marché sur les rives familières de la vie
où la mort est redoutée , une chose lointaine et méfiante
Mon somnolence a éclaté comme un glacial qui se fissure
sous le grondement d'une graine de feu
qui explose quelque part dans le sommeil profond de la terre.

OUZBÈKE

Babour217

Annule la tristesse du jour

Échanson, le temps du plaisir est venu, ne le retarde pas de ton absence,
Apporte des boissons flamboyantes, laisse, en discussions, passer la nuit dans le vin,
Apporte du vin pur, prépare les instruments,
Orne la nuit de la lune car nous sommes avec cette lune-là.
Annule la tristesse du jour, installe la demeure du plaisir,
Réjouis l'âme et le coeur de ta voix, du tchang et de la flûte.
Fais que tous ceux de l'assemblée, bruyants du plaisir du vin,
Buvant verre après verre soient ivres et égarés.
Où est mon aimée consolante, où est celle qui partage ma tristesse,
Où est le nuage printanier qui va pleurer avec Babour218 ?

Apprends à vivre sans amour

Je n'ai trouvé d'autre fidèle amour que celui de mon âme, d'autre lieu où cacher mes secrets que mon coeur
Enfouie dans mon coeur, je n'ai trouvé, d'autre âme que mon âme d'autre coeur arrêté que le mien.
Depuis qu'un regard ivre a arrêté mon coeur ce fou ne trouve plus d'abstinence. Qu'y faire ? dans notre éloignement, je pleure : je n'ai pas trouvé de rencontre. Qu'importe, mon coeur, frappe à sa porte encore même si, sans la trouver, tu l'as fait si souvent.
Apprends, Babour, à vivre sans amour : parcourant l'entier du monde, jc n'ai pu trouver mon amour.

Husseini219

Mon âme est fidèle...

Mon âme est fidèle à l'amour, la jalousie, à la séparation et la souffrance : je ne laisserai pas toute douleur me fuir. Que tu m'imposes un désir, un mal et une souffrance extrêmes n'est rien : ma soif de rencontre est bien plus qu'extrême.

Ma flamme est un désastre pour mon coeur, celle de mon amour un mal pour mon âme.
La flamme sans coeur et sans âme de cette tristesse n'est que souffrance. L'une est éclair de désastre, l'autre du mal, vois leur violence. Pourtant la troisième, celle de ma mémoire faiblissante, les rend plus vives encore.
Si trois flammes s'allument en mon coeur, que peut-il faire d'autre que briller ? Songe que ce sont flammes de rossignois, flammes de fleurs et flammes d'épines. Mon âme, mon coeur et ma poitrine brillent en ces trois flammes, pourtant quand je les examine, chacune me semble cent enfers.
Même si mes pleurs protègent de mes flammes et des flammes de mon amour, ?que faire, hélas, quand celles de l'expression enflamment cent brasiers ?
Si les flammes d'Husseïni ne flambent pas autant que les cent de la tristesse, pourquoi celles de ce ghazel enflammeraient-elles le monde ?

Loutfi220

Ton corps est un bouquet...

Ton corps est un bouquet de fleurs paradisiaques que domine une d'entre elles :
la lune dans le ciel ne peut être comparée à ton visage

Faut-il, mon coeur triste, souffrir de la main des beautés combien de douleurs
faut-il que mon coeur triste mette dans chaque goutte de son sang ?

Je lui dis : Ta bouche est le trésor de ma vie.
Elle dit Est-ce que ça te regarde ?
Je dis : Ta silhouette est droite comme un cyprès.
Elle : Est-ce que ça te regarde ?
Je dis : Ce que nous appelons « lune », sombre devant ton visage, porte une tache.
Elle : Est-ce que ça te regarde ?
Je dis : Ton soleil est la beaut6 du monde, son inqui6tude.
Elle : Est-ce que ça te regarde ?

Kourhid Dawron221

Le cri le plus puissant...

Le cri le plus fort est le cri du muet. Oh, comme les pierres tombales crient fort...
Le silence le plus fort n'est ni
le silence des yeux,
ni le silence du muet, ni le silence de la pierre.
Le silence le plus terrible, c'est
quand le poète marche en silence...

Le silence le plus fort
est ce1ui de la mouette.
Pourtant avec quelle force hurlent
Les pierres tombales...

Le silence le plus fort
n'est ni celui des yeux
Ni celui des mouettes, ni celui des pierres.
Le silence le plus fort
est celui des poètes changés en mouettes222

Tu caches tes yeux

Comme le temps cache à la cave
Ses bouteilles de vin
Tu caches tes yeux.

Cache-les.
Ma pupille est dure de souffrance :
Tu ne pourras pas cacher Ce long silence entre nous

Quand les chevaux pleureront

Avez-vous vu pleurer des chevaux ?
Ils pleurent en regardant au loin
Les chevaux pleurent longtemps, longtemps, longtemps...
Les chevaux pleurent sans bruit.

Avez-vous vu voler en oiseau ?
Ses ailes chantent dans le vol
Dans le vol son bec mouserit
Et ses pattes appellent la terre.

Avez-vous vu murmurer un arbre ?
Au printemps l'arbre veut voler
En automne il semble en équilibre
En hiver il est confiant dans ses racines.

Je veux pIeurer comme les chevaux,
désirer comme les pattes des oiseaux,
croire en mes racines comme l'arbre.

Couverte d'un châle, elle passe dans la rue...

Couverte d'un châle, elle passe dans la rue,
Le dénoue
Dans un murmure ses cheveux
Coulant de ses épaules...

Elle est si belle !
Le solei ! la suit comme un pélerin.

Portant un foulard, il sort dans la rue...
Enveloppée dans un foulard, elle est sortie dans la rue, a enlevé son foulard dans la rue
et ses cheveux ont soudainement
coulé de ses épaules.

C'était une très belle femme !
Le croissant de lune a suivi.

Machrab223

Ma mère

Je viens contempler ta beauté, mère aimable, ma mère au corps de sang, au coeur qui ne bat plus pour moi.
Le mouvement des astres m'a déporté dans le désert de Hotan, ma mère, écoute mes paroles, je t'en prie.
Tu es si aimable, tu es le calme de mon esprit, le dernier lien des deux mondes ma mère, mon enfer et mon paradis.
Un être aux yeux ensorceleurs m'a ruiné en ce monde, ma mère, son corps est un cyprès et ses sourcils la lune.
La douleur qu'elle me cause pèse sur ma tête. Je suis un rossignol ivre dans le monde nocturne, je suis le coucou qui compte, ma mère.
Le feu de cet amour m'a détruit, il a fait de mon coeur une chair calcinée il m'a détruit et détruit le jardin de mon monde, ma mère.
Mon Dieu, pardonnez le péché de Machrab ma mère en est la cause ô ma mère

Ni en ce monde, ni dans l'autre

Je suis un étrange fou, je n'ai ma place ni dans la steppe, ni dans le désert : mon coeur est un fleuve de lumière impétueux qui n'a pas sa place en ce monde. J'ai des règles de vie, des chemins de vie, des vérités pour la vie.
Je suis comme un sultan puissant : je n'ai pas de place au ciel. Abraham est mon bâton de route, le feu de Nemrod mon escalier, je suis la perle de la Vérité mais je n'ai pas de place dans son fleuve.
Vivant en harmonie, j'offre mon cou à la pointe du couteau mais je n'ai pas de place à la pointe de celui du juste.
Je ne vais pas a la Kaaba : je n'ai pas de place dans la mosquée qui entoure la pierre noire, je suis un pèlerin sur les routes de la Vérité.
Parfois derviche, roi parfois, parfols mendiant, pèlerin extravagant, je n'al pas de place au jugement dernier.
Dans les terres de l'extase, parfois je suis en moi et parfois hors de moi : sur les marchés de la folie je suis ivre, je n'ai pas de place parmi les convenances. Parfois russe, parfois tcherkesse et parfois musulman, insistes-tu, je n'al pas de place entre la et illa . pourquoi Je suis un miséreux, Machrab l'esclave : je n'ai ma place ni en ce monde, ni dans l'autre.

Nodira224

Ne rôde pas autour...

Ne rôde pas autour des fleurs, ne crois pas au printemps rejette le monde, ne rêve que rencontres avec l'Amour.
Sans Amour, nous ne sommes pas des hommes : choisis l'Amour. si tu es humain,
Montre ton visage, ta silhouette, ta démarche, aux cyprès du jardin, fais honte aux fleurs. Je suis le rubis des lèvres ivres, passe-moi une coupe de vin, sois aimable, échanson, étanche ma soif de vin.
Parce que tu m'as révélé ce secret entre Dieu et moi-même viens Mansour, dresser la potence de l'avenir.
Offre la marche de ton amour à venir avec des perles de larmes et le grenat de sang qu'est ton coeur.
Au monde entier, Nodira enflammée,révèle le dialecte de l'amour.

Nizomiddin Mir Alisher Navoiy225

Ne parle pas Navoï

Attendant ma lune je jette mes regards de tous côtés :
tant que je ferme puis j'ouvre les yeux, les larmes restent éloignées.
Quémandeur, je suis le chien errant sur la route :
le chien devant, je vais derrière.
Si croyants et sages viennent semer le trouble en mon âme,
aux brèches de mon coeur, tristesse et douleur se dressent comme gardes.
Même si tu ne la vois pas l'eau éteint les flammes, l'une après l'autre :
larme après larme, les pleurs s'assèchent aux épines des cils.
Je sais qu'entre tes lèvres, dans ta bouche, le sel de ta langue
est comme le dard à miel de l'abeille perçant le pétale de rose.
Ermite, songeant à tous moments à cet abri qu'est la méditation,
tant que je vis, je ne quitterai pas ce monde.
Ne parle pas Navoï, emplis ton verre encore :
à toujours le remplir, tu finiras par t'y noyer226

Les retrouvailles des amants

Quelle splendeur, dans le crépuscule noir de la séparation, que deux amants se rencontrant, se retrouvant, s'étreignant, pleurant
se consolant de la douleur de leur séparation, de la souffrance de leur éloignement s'asseyant, comme des amis s'entraidant,
s'apitoyant sur ce temps d'avant leur séparation, qui leur remonte en mémoire se congratulant parfois de leurs retrouvailles parfois s'attrlstant du poids du souvenir de leur séparation
ése trouvant parfois, comme deux veines, l'un à l'autre emmelés, ne comprenant pas leur dualité et s'emmêlant encore
et, lorsque l'emmêlement se dénoue, comme deux veines tremblant encore de fièvre l'une pour l'autre
des deux c6tés se donnant la main, la fermant et dans une association indéchirable la serrant,
et, si au moment précis de leurs retrouvailles, naît un motif de plainte, chacun de son côté, le dissimulant, le repoussant.
Tes paroles effrontées osant et excédant toutes limites ne t'en mêle pas, Navol, dans des pensées aussi complexes.

Je questionne mon âme

Je questionne mon âme : Quelle est la source de ma mort ? Elle répond : De la force du mal en ton corps.
J'interroge mon corps : Quelle est la cause de ton mal ? Il répond : L'ardeur de ta flamme intérieure.
Je questionne ma flamme intérieure. Elle répond que ce feu qui s'étend n'est que reflet des brasiers de l'Amour eu mon coeur.
Je m'emporte contre mon coeur qui dit : Tes yeux provoquent le péché, s'ils ne regardaient pas celui-ci ne pourrait maudire.
Je dis à mes yeux Mécréants à face noire, douleur et sauvagerie de mon coeur fou viennent de vous.
Ils répondent en pleurant : Nous n'avons plus de volonté la flamme solaire de ce visage de lune s'impose.
Écoute, Navoï, tous trouvent des excuses, enflamme-toi à mort : le feu de l'Amour est la dernière flèche de l'éternité.

Vin d'hiver

L'hiver impose cette règle juste de boire dans les maisons, tradition, du vin blanc pour illuminer le visage de Dieu.
L'hiver chauffe la soirée de feux, de vin les hommes. Ne dites pas qu'il fait froid.
On dit que l'hiver appelle le vin, que c'est de sa faute si quelqu'un meurt de froid.
La vie est dure à ceux dont la maison est ruines mais si votre taudis est de vin, son architecte en est l'hiver.
Si tu veux t'installer dans l'éternité, bois des coupes de vin : l'hiver le vin du matin dessaoule de celui de la veille.
On dit, Navoï, que l'enfer est vapeurs et nuages brûlants. Mais l'hiver, de sa neige, sa glace et son froid, en détache.

Ogakhi227

Je lui ai dit les souffrances...

Je lui ai dit les souffrances de mon coeur: Elle a dit : ne dis rien, mon amant doit supporter la souffrance.
Je lui ai dit : Que de noirceur mauvaise dans les iris de ton visage ! Elle : Que ce noir te prenne coeur et âme.
Je lui ai dit : Tes lèvres approchent ma bouche, trouverai-je la vie ? Dans le rubis de son sourire, elle a dit : Ignores-tu la mort ?
Je lui ai dit : Mon coeur désire prendre ta taille. Elle a dit : N'as-tu pas honte de prononcer ces mots sans gêne ?
J'ai contemplé sa beauté et dit : Regarde moi une seule fois. Elle a caché son visage : Va-t'en, effronté ridicule.
Je lui ai dit : donne-moi un baiser chaste. Elle a baissé les sourcils, écarquillé les yeux et dit : Tais-toi, ce que tu dis est péché.
Je lui ai dit : Pourquoi ne m'es-tu pas fidèle ? Elle a dit : Depuis quand la beauté est-elle fidèle ?
Je lui ai dit : Pourquoi mettre tant de souffrance en mon coeur malade ? Elle : N'appelle pas souffrance le remède à ton mai.
Je lui ai dit : Pourquoi ne partages-tu pas le destin d'Ogakhi Elle : S'il ne reste fidèle à lui-même, comment le désir peut-il pénétrer l'âme ?

Ouvaïssi228

Le soleil s'exprime...

Le soleil s'exprime à partir de l'Orient, pourquoi est-il, chaque jour, à la recherche d'une rencontre ?
Chaque jour, à l'horizon, il ouvre la bouche, boit du sang et quand il se couche, montre encore son tempérament sanguin.
Nuit et jour, comme un fou dans le désert du ciel il cherche.
Je croyais seule être jour et nuit indécise mais le soleil aussi réclame ton visage, ô âme.
Puisque parmi les astres, le soleil cherche ton visage lunaire pourquoi, comme une folle, ne pourrais-je errer dans le monde.
Je me suis agrippée aux basques de cette mauvaise créature céleste que je croyais mon amie. Elle m'a repoussée, elle est partie vers l'ouest.
Ouvaïssi, sur ta tëte, pose le soleil du bonheur de ton amour, ne sais-tu qu'une miette de ce soleil vaut tout un turban de soleil

Chawkat Rahman229

Le pouvoir des mots

Sur l'herbe jaune
Au bord d'un ruisseau couvert de mouches
Un ivrogne est couché.
Apprend à être son esclave.
Ofire-lui dans tes mains autant d'amour que d'eau du Sir Daria.
Salue-le, paume sur le coeur,
Dis : «  Vous étes grand. »
lSi tu veux connaître le pouvoir des mots,
Humilie-toi, Obéis.
Et cet homme qui, comme l'eau du Sir Daria, boit ton amour,
Cet homme stupide grandira sous son regard vainqueur,
Tu commences à trembler comme une goutte de mercure,
Devenant toi-même cet homme

Couché sur l'herbe jaune, couvert de mouches.
Quand cette pierre noire
--- nuit concentrée des milliards de fois dans la main du temps ---
est couchée cachant son secret à mon regard aveugle
il est incontestable pour mon regard perspicace
qu'elle n'est pas sans vie
et que, soudain, un jour, elle fleurira
Cependant qu'elle, lourde d'un mouvement éternel,
regarde le passant et pense

« En quel siècle vais-je réveéler mon secret ... »

Quand mille imbéciles marteau levé sur elle demandent
« Fleurira-t-elle ? »
je réponds en souriant
« Bien sùr, elle fleurira un jour. »
Se peut-il cependant qu'aujourd'hui déja elle ait fleuri
multicolore, se peut-il que ses J̌leurs
restent invisibles au regard perspicace du poète ?

La soirée du poète qui a vu sa femme le premier jour du printemps

Cette femme...
Elle ressemblait à un oiseau à mes yeux,
à un oiseau, à une colombe - une illusion.
J'ai ajusté mon imagination,
cette femme ressemble à un oiseau !
C'est comme s'il était perdu...

Son visage est pâle,
il sourit involontairement, comme s'il était un lâche.
Décoloration ou pleurs - une vague étrange,
les yeux de bonheur ou de tristesse.

Si je le compare au printemps...
le printemps ne convient pas -
cette femme est mille fois plus belle que le printemps.
Vous avez besoin de mots brûlants,
brûlants, de mots sincères.
Au seuil émeraude du printemps,
les palmiers sont comme des oiseaux...
Gazouillis silencieux.

Le monde, y a-t-il une ressemblance avec cette femme ?
Le regard de Hadikli est mystérieux
Immaculée comme un oiseau qui vole dans le ciel,
je sens ce que sont les mots lourds et les mots tristes
dans la main délicate d'une femme .

Je prends un à un les mots invisibles de la main d'une femme,
comme un magicien.
Les mains de la femme tremblent soudain,
ses yeux tremblent, ses lèvres tremblent...
Comme avant le vol ;
la dernière douleur dans ses paumes délicates
- soi-disant le dernier mot, un mot lourd,
si vous prenez le dernier mot,
c'est comme trois femmes230.

Hodjah mad Yassavi231

Ma tête est d'argile...

Ma tête est d'argile, mon corps d'argile, je suis pétri d'argile mais mon esprit se tend vers la Vérité.
Je brille, je suis en flammes, mais je ne peux me fondre dans l'horizon et, comme la rosée, je m'enterre
Si comme Jonas, je deviens poisson dans le fleuve, comme Joseph je m'installe dans un puits,
Comme Jacob je pleure infiniment sur le sort de Joseph, est-ce ainsi que je trouverai ?
Ma joie a changé, mes affaires ont changé, ma tête est triste, mon âme m'abandonne, la conscience me manque, mes larmes coulent :
Les paroles de la Vérité m'emplissent corps et âme. Que la Vérité m'ouvre le chemin !

PAKISTANAISE (OURDOUE)

Faiz Ahmed Faiz232

Marchons dans le bazar les pieds enchaînés

Les yeux larmoyants, l'âme en détresse ne suffisent pas
L'accusation d'amour caché ne suffit pas
Aujourd'hui, marchons dans le bazar les pieds enchaînés
Les mains écartées, marche de ravissement et d'éblouissement
La tête couverte de poussière, la chemise tachée de sang
Tourbillon, dans les affres frénétiques de l'extase !
Marchons, la ville bien-aimée aspire.
Passez devant le souverain de la ville, devant tous les spectateurs 
Passé les flèches d''accusation, les pierres de l'abus
Après le matin de douleur, le jour de l'échec

Qui d'autre à côté de nous est intime avec eux
Qui maintenant dans la ville de notre bien-aimée est encore entaché

Qui est maintenant digne de la main du bourreau ?
Prenons le fardeau de cœur, allons-y, les cœurs brisés
Proposons-nous, une fois de plus, pour l'exécution.

Sept Ghazal

On m'accuse de t'aimer, c'est tout
Ce n'est pas une insulte, mais une louange, c'est tout

Mon cœur se réjouit des paroles des accusateurs
O ma très chère, ils disent ton nom, c'est tout

Pour ce que je Je suis ridiculisé, ce n'est pas un crime
La récréation inutile de mon cœur, un amour raté, c'est tout

Je n'ai pas perdu espoir, mais juste un combat, c'est tout La
nuit de souffrance s'allonge, mais juste une nuit, c'est tout

la main du temps n'est pas le roulement de mon destin
dans la main du temps ne roulent que les jours, c'est tout

Un jour viendra à coup sûr où je verrai la vérité
Ma belle bien-aimée est derrière un voile, c'est tout

La nuit est jeune, Faiz commence à dire un Ghazal
Une tempête d'émotions fait rage à l'intérieur, c'est tout233

Cette nuit...

Cette nuit, ne joue pas cet air mélancolique !
Les jours emplis de chagrin sont révolus,
Et les nouvelles de demain, qui les connaît...
Du passé au présent, la lisière a déjà disparu,
Et si l'aube point maintenant, qui le sait...

Ô Vie dénuée d'espoir,
Cette nuit un miracle peut venir,
Cette nuit, ne joue pas cet air mélancolique !

Désormais, ne redis plus des récits de tristesse,
Ne cède pas à l'affliction de ton destin,
Enlève de ton cœur les tourments de demain,
Ne pleure pas sur l'âge et le passé.

Muhammad Iqbal234

Le faucon

J'ai quitté ce monde terre à terre,
Où les vivres s'appellent grain et eau
Mieux me plaît la solitude désertique
Depuis toujours, l'ascèse est dans ma nature
[J'ignore ] la brise printanière, la cueillette des fleurs, le rossignol,
Et la langueur du chant amoureux
Il faut se méfier des personnes du jardin
Leurs manières sont trop séductrices
Mais le vent du désert fortifie
Le preux au coup décisif.
Je ne suis pas affamé de pigeon,
Car la vie du faucon est d'un ascète.

Est-ce qu'on voit le jeu de ma flûte ?
Souffle indien, modulation arabe ! (...)
Des mélodies m'abandonnèrent, reviendront-elles ?
Une brise du Hedjaz reviendra-t-elle ?
Mon existence est sur le point de finir
Y-a-t-il pour le monde des secrets un nouveau cœur ? (...)
Une tout autre récompense attend l'effort désintéressé,
Passe-toi des houris, et de leurs tentes, passe-toi du vin et de la coupe
Bien qu'il épanouisse tant le cœur, le printemps de la beauté
Alouette de haut vol, ne t'arrête point aux appâts !

Lorsque je quitterai ce monde,
Chacun dira « Je l'ai connu.
Mais la vérité est, hélas !
Que personne ne savait qui était cet étranger ni d'où il venait.

Kishwar Naheed235

Pour les dirigeants des pays à climat froid

Mon pays est torride
peut être pour ça, je sens mes mains chaudes
Mon pays est torride
peut être pour ça, mes pieds brûlent
Mon pays est torride
peut être pour ça, j'ai des éruptions sur mon corps
Mon pays est torride
peut-être pour ça, le toit de ma maison a fondu et s'est effondré.

Mon pays est torride
peut-être pour ça, mes enfants ont soif
Mon pays est torride
peut-être pour ça, je marche nue.

Mon pays est torride
peut être pour ça, personne ne connaît les nuages qui apportent les pluies
ni les inondations qui détruisent.
Et pour ruiner mes récoltes, parfois des usuriers, parfois des bêtes sauvages, parfois des calamités
et parfois, des dirigeants autoproclamés apparaissent.

Ne m'apprenez pas à détester mon pays torride
Laissez-moi sécher mes vêtements mouillés dans ces arrière-cours
laissez-moi planter de l'or dans ces champs
laissez-moi étancher ma soif dans ces rivières
laissez-moi reposer à l'ombre de ces arbres
laissez-moi m'habiller de ce sable et m'envelopper dans ces distances.

Je ne veux pas m'abriter de l'ombre des rayons pluvieux
J'ai le soutien des rayons du soleil levant.
Le soleil a rendu son énergie abordable pour mon pays
le soleil et moi
le soleil et toi
ne peuvent pas marcher côte à côte.
Le soleil m'a choisie pour lui tenir compagnie236.

Parler toute seule

Punissez-moi car j'ai écrit la signification du rêve
dans mon propre sang écrit un livre rempli d'obsession
Punissez-moi car j'ai passé ma vie à sanctifier le rêve du futur
passé à endurer les tribulations de la nuit
Punissez-moi car j'ai transmis les connaissances et les compétences de l'épée au meurtrier et démontré le pouvoir de la plume sur l'esprit
Punissez-moi car j'ai été le challenger du crucifix de la haine
Je suis la lueur des torches qui brûlent contre le vent
Punissez-moi car j'ai libéré la féminité de la folie de la nuit illusoire
Punis-moi car si je vis tu pourrais perdre la face
Punissez-moi car si mes fils lèvent la main, vous rencontrerez votre fin
Si une seule épée se dégaine pour parler, vous rencontrerez votre fin
Punissez-moi car j'aime la nouvelle vie à chaque souffle
Je vivrai ma vie et vivrai doublement au-delà de ma vie
Punis-moi car alors la sentence de ta punition prendra fin.

Je suis une femme...

Je suis une femme
Je suis enfermée dans le cercle de ma famille
Je suis enfermée dans le cercle de mon mari
Je suis enfermée dans le cercle de ma maison
Mais je suis une femme
Et je veux être libre.

PALESTINIENNE et JORDANIENNE

Mahmoud Darwich237

Palestinienne par les yeux...

Palestinienne par les yeux et le tatouage
Palestinienne par le nom
Palestinienne par les rêves et le grief
Palestinienne par le châle et la démarche et le corps
Palestinienne par les mots et le silence
Palestinienne par la parole
Palestinienne de naissance et de mort238

L'éternité du figuier de barbarie

- Où me mènes-tu père ?
- En direction du vent, mon enfant
À la sortie de la plaine où les soldats de Bonaparte édifièrent une butte
Pour épier les ombres sur les vieux remparts de Saint-Jean-d'Acre
Un père dit à son fils : N'aie pas peur
N'aie pas peur du sifflement des balles
Adhère à la tourbe et tu seras sauf. Nous survivrons
Gravirons une montagne au nord, et rentrerons
Lorsque les soldats reviendront à leurs parents au lointain

- Qui habitera notre maison après nous, père ?
- Elle restera telle que nous l'avons laissée mon enfant
Il palpa sa clé comme s'il palpait ses membres et s'apaisa
Franchissant une barrière de ronces, il dit
Souviens-toi mon fils. Ici, les Anglais crucifièrent ton père deux nuits durant sur les épines d'un figuier de Barbarie
Mais jamais ton père n'avoua. Tu grandiras
Et raconteras à ceux qui hériteront des fusils
Le dit du sang versé sur le fer

- Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
- Que la maison reste animée, mon enfant. Car les maisons meurent quand partent leurs habitants239

Identité

Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d'enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l'été !
Et te voilà furieux !

Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine
Et j'ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d'écolier
Je les tire des rochers...
Oh ! je n'irai pas quémander l'aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !

Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines...
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l'effusion de la durée
Avant le cyprès et l'olivier ...avant l'éclosion de l'herbe
Mon père... est d'une famille de laboureurs
N'a rien avec messieurs les notables
Mon grand-père était paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux
Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?
Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.

Inscris !
Je suis Arabe
Mes cheveux... couleur du charbon
Mes yeux... couleur de café
Signes particuliers :
Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre
...elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c'est
L'huile d'olive et le thym

Mon adresse :
Je suis d'un village isolé...
Où les rues n'ont plus de noms
Et tous les hommes... à la carrière comme au champ
Aiment bien le communisme
Inscris !
Je suis Arabe
Et te voilà furieux !

Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as rafflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
...à ce que l'on dit !

DONC

Inscris !
En tête du premier feuillet
Que je n'ai pas de haine pour les hommes
Que je n'assaille personne mais que
Si j'ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !

La terre nous est étroite

La terre nous est étroite. Elle nous accule dans le dernier
défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer.
Et la terre nous pressure. Que ne sommes-nous son blé,
pour mourir et ressusciter. Que n'est-elle notre mère
Pour compatir avec nous. Que ne sommes-nous
Les images des rochers que notre rêve portera,
Miroirs. Nous avons vu les visages de ceux que le dernier
parmi nous tuera dans la dernière défense de l'âme.
Nous avons pleuré la fête de leurs enfants et nous avons
vu les visages de ceux qui précipiteront nos enfants
Par les fenêtres de cet espace dernier, miroirs polis par notre étoile.
Où irons-nous, après l'ultime frontière ?
Où partent les oiseaux, après le dernierCiel ?
Où s'endorment les plantes, après le dernier vent ?
Nous écrirons nos noms avec la vapeur
Carmine, nous trancherons la main au chant afin que notre chair le complète.
Ici, nous mourrons. Ici, dans le dernier défilé. Ici ou ici, et un olivier montera de
Notre sang.

Pense aux autres

Quand tu prépares ton petit-déjeuner,
pense aux autres.
(N'oublie pas le grain aux colombes.)

Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres.
(N'oublie pas ceux qui réclament la paix.)
Quand tu règles la facture d'eau, pense aux autres.
(Qui tètent les nuages.)
Quand tu rentres à la maison, ta maison,
pense aux autres.
(N'oublie pas le peuple des tentes.)

Quand tu comptes les étoiles pour dormir,
pense aux autres.
(Certains n'ont pas le loisir de rêver.)

Quand tu te libères par la métonymie,
pense aux autres.
(Qui ont perdu le droit à la parole.)

Quand tu penses aux autres lointains,
pense à toi.
(Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir ?)240

Ibrahim Nasrallah241

Absence242

Qui aime l 'hiver autant que toi ?
Et est fasciné par les arbres qui résistent au vent autant que toi ?
Et qui, comme toi, répand la vie
Avec une joie si innocente ?
Mon Dieu !
Si seulement tu étais avec moi maintenant.
J 'ai tout préparé :
Les châtaignes et le feu,
J 'ai tiré les rideaux
Et tourné ma prière vers la pluie gitane,
Suppliant qu 'elle persiste dans sa colère
Et ses rites éternels.
Mon Dieu !
Si seulement tu étais à mes côtés maintenant !
J 'ai préparé mes poèmes
Et retiré les mains
des combat de rue
Des marchands
Et des trafiquants
Et des hommes de garde,
Et d 'un gel qui a si souvent essayé
De te chasser de mon cœur
Des balles qui ont sans cesse tenté
D 'avaler le son de ta voix
Alors que tu parles aux bourgeons
Ou allumes le feu
Mon Dieu ! Si tu avais été avec moi
Nous aurions chanté notre chanson maintenant
Celle que le vent arrache presque de ma voix
Chaque fois que je la chante seul

Palestinien

(...)
J 'ai fermé toutes les fenêtres de ma maison et je les ai ouvertes.
J 'ai écrit sur la mort quand elle est miséricordieuse,
Sur la mort quand elle est futile,
Sur la mort quand c 'est l 'enfer,
Sur la mort quand elle est le seul chemin. Enfin
Sur la mort quand elle est légère et douce,
Sur la mort quand elle est lourde et sombre,
Et ça n 'a pas marché.
J 'ai écrit sur le fleuve et la mer, sur le lendemain et le soleil,
Ça n 'a pas marché.
J 'ai écrit sur l 'oppression et la perversité, sur la pureté aussi. ça n 'a pas marché
J 'ai dormi sans pain.
J 'ai rêvé sans rêve.
Je me suis réveillé sans que ne me manquent mes mains, ni mes pieds, ni mon reflet dans le miroir
Ni ce que j 'appelais mon âme.
Je suis mort et j 'ai vécu.
Je me suis moi-même incendié et moi-même éteint avec mes propres cendres,
Et ça n 'a pas marché.

Je suis tous ces éléments, Seigneur : le feu, la terre, le vent et l 'eau.
Le cinquième est une douleur qu'on ne voit pas dans les chants aveugles, le sixième est la solitude, et le septième, depuis que j'ai été abattu, est le sang.
Quand j'ai été brûlé, les lettres de mon nom libre se sont disposées, comme un papillon :
P, A, L, E, S, T, I, N, E.
( ...)
Je me suis effondré encore et encore,
Puis je me suis redressé dans un cri. J 'ai hurlé,
Et ça n 'a pas marché.
J 'ai perdu la foi et j 'ai cru, puis j 'ai perdu la foi et j 'ai cru à nouveau,
Et j 'ai perdu la foi et j 'ai cru, puis ...
Et ça n 'a pas marché,
Et ça n 'a pas marché.

Un expert indigné m'interroge :
Tout ça ... Pourquoi ?

Amjad Nasser243

Le royaume d'Adam

Quel genre de bêtes ont pu copuler pour donner naissance à ceux qui marchent sur deux pattes, se tiennent debout et excellent dans le crime comme s 'ils écrivaient un poème d 'amour. Ceux qui mangent d 'une main et préparent les offrandes de l 'autre. Ils inspirent et expirent comme le feraient les mammifères les plus évolués. J 'entre dans une histoire et j 'en ressors une autre, mêlant les scènes de la terre et du ciel. Je n 'entends que des gémissements d 'os. S 'agit-il de jeux vidéo ou de dessins animés dont les êtres époussettent le sang et les débris de leurs corps et ramassent les morceaux de leurs corps éparpillés pour redevenir comme avant ?

Ils frappent et poussent tout devant eux. Je parle de la pluie
Je parle de l 'orage

Il est étrange qu 'il y ait des orages et de la pluie ici comme là-bas. Une pluie froide comme des cruches de cristal versées par la main d 'un dieu en colère. S 'abattant sur la tête de ceux qui attendent en files interminables avant le verdict céleste. J 'ai vu des squelettes courir plus vite que les arbres courant devant tous. Le vent glacial les repoussait. Nus, sans sexe. Il pourrait s 'agir d 'hommes ou de femmes attendant leur numéro d'élu.Ici, les noms,
les lettres,
les mots,
n 'ont aucun sens.
Les nombres, ça compte.

Chanson sur moi-même

J 'étais autrefois cette feuille
Tombant lentement
J 'étais le tigre se croyant libre
Dans un jardin clôturé
J 'étais le ver à bois rongeant
Le berceau et le sceptre
J 'étais la terre en décomposition
Dans un pot de géranium
La main qui l 'arrosait
N 'est plus là

PERSANE (FARSI) et IRANIENNE

Mehdi Akhavan Sales 244

Dites-moi pissenlits...

Dites-moi pissenlits, quelles sont les nouvelles
D'où et de qui vous avez des nouvelles
J'espère que c'est une bonne nouvelle, mais, mais
Il est inutile
De voler autour de ma maison
Je n'attends pas des nouvelles
Ni d'un ami, ni d'un lieu ou d'un propriétaire du lieu
Je te parle, où es-tu allé
Au fait, y a-t-il des nouvelles quelque part ?
Y a-t-il encore de la chaleur quelque part ?
Je ne veux pas une flamme après tout... Mais y-a-t-il au moins trace de feu quelque part ?

La fleur

La même couleur, le même visage
les mêmes feuilles, la même tige
le même sourire silencieux avec de nombreux secrets cachés
la même honte, le même charme
le même pétale blanc comme la rosée, la rosée comme une larme qui tombe
la même apparence et le même regard.

Ni flétrissement ni flétrissement, car le flétrissement du visage
est causé par le flétrissement du cœur.
Mais il n'y a pas de cœur derrière ce visage.
S'il y a des feuilles et une tige,
ils ne sont pas le produit de l'eau et du sol.

Vu de loin.
Affichez ce spectacle et asseyez-vous pour observer.
Mais l'histoire d'un espoir périssable, ton cœur ne l'a jamais dit.
Ne pas sentir.
Car il n'y aura pas de parfum d'un tel conte.
Ne tendez pas la main.
Car il n'y aura que du papier de couleur dans votre main, quelques morceaux.

Simine Behbahani 245

Grappe de lumières

En souvenir de tes yeux lumineux,
j'ai ciselé de nombreux cristaux de poésie.
Pour y voir les sept couleurs de ta lumière,
j'ai projeté tant de rayons de mes souvenirs.
Mon cœur souffrant est tellement habitué à la douleur
que le velours de ma chevelure noire en a blanchi.
J'ai passé des nuits entières dans une attente pénible,
avant que le lustre de ma poésie exquise n'apparaisse.
Maintenant il y a d'innombrables chandelles lumineuses -
comme si des javelots de lumière pleuvaient sur elles.
Les chandelles, comme le visage d'une mariée,
couvert de soie, se sont ornées de bulbes de cristal.
« Mes yeux jetteront un regard doux sur cette chandelle,
car elle est son souvenir lumineux et agréable. »
« Ma colère frappera l'autre d'une gifle de reproche,
car c'est le souvenir d'une séparation pénible. »
C'est la nuit où il posa soudain un baiser sur les tulipes
de mes joues rougies par la pudeur.
C'est l'instant où il se retira soudain de ma mémoire fugitive et exigeante.
Je dévore de mes yeux affamés et impatients
cette finesse, cette grâce et cette beauté.
Je crie : « Regardez mes amis ce rayon de l'éclat pur
de mon imagination ! »
« Maintenant, sous la lumière de mon lustre,
heureuse, je prends plaisir à célébrer ce lieu.
Mais quelqu'un murmure aux oreilles de mon âme :
ce lustre - malgré sa subtilité - est fragile ! »

Le vin de lumière

Les étoiles dorment maintenant,viens !
Le vin de lumière coule dans les veines de la nuit, viens !
J'ai tant versé de larmes d'attente dans le giron de la nuit
que le bourgeon d'aurore a éclos et l'aube a soufflé, viens !
Dans le ciel de mon esprit,ton souvenir telle une étoile filante
a tracé partout des lignes d'or, viens !
J'ai tant raconté d'histoires de mon chagrin à la nuit que le chagrin
a fait pâlir mon visage et celui de la nuit, viens !
Si tu veux me revoir avant que je quitte ce monde,
prend garde, c'est le moment ou jamais, viens !
J'entends des pas et je pense que ce sont les tiens,
mon cœur explose dans ma poitrine, viens !
Tu n'es pas venu lorsque le ciel se remplissait de grappes.
Maintenant que la main de l'aube les a cueillies, viens !
Tu es l'espoir du cœur brisé de Simine, viens !
Ne fais plus perdre l'espoir à mon cœur, viens246 !

Tu veux que je n'existe pas

Tu veux que je n'existe pas mais j'existerai quand même
Je ne quitterai pas le pays tant que le combat durera
Je résisterai je ne l'abandonnerai pas

Je porte en moi une plaine de mots de poèmes
Mon être respire l'air du pays je suis la gazelle vive du ghazal
Tu ne me chasseras pas facilement je suis en vie
Ma voix est ardeur et révolte je n'évite ni la pierre ni le roc
Tu ne pourras harnacher mon torrent

Pourquoi voiler ma chevelure pourquoi me travestir pour te combattre
Je suis femme et jamais ne prendrai par ruse la voie de l'effacement

Que tu protestes ou que tu cries j'ai dit ce que j'avais à dire
"Seule la voix reste"
Mais moi je ne serai pas toujours là
Malgré la vieillesse la maladie je veux chevaucher
Même si je ne peux plus monter à cheval247

Je te reconstruirai, ma patrie

Je te reconstruirai, ma patrie.
Même avec l'argile de ma propre âme.
Je te bâtirai des colonnes.
Même avec mes propres ossements.
Grâce à ta jeune génération, on s'amusera à nouveau.
Nous ne cessons de pleurer, tellement tu nous manques.
Même si je meurs à 100 ans, je resterai debout dans ma tombe.
Afin de faire disparaître le mal avec mon grognement.
Je suis vieille mais je peux rajeunir pour vivre une nouvelle vie aux côtés de mes enfants.

Tziganesque

Chante tzigane, chante. Chante pour rendre hommage à l'existence.
Que soit portée à chaque oreille, ta présence.
Les cheminées des monstres, régurgitant leurs fumées brûlent yeux et gorges.
Hurle, si tu le peux, de l'horreur de cette nuit.

Le secret de vie de chaque monstre se cache dans le ventre d'un poisson rouge,
Baignant dans les eaux dont tu ignores le chemin.
La tête de chaque monstre trône sur les cuisses d'une fille,
Telle une bûche sur lingot d'argent.
Dans leur soif de saccage, les monstres ont pillé
Soie et rubis des joues et lèvres de ces Vénus.

Pour désir de liberté, danse, tzigane, et sur ce rythme,
Envoie un message pour recevoir une réponse.
Il faut un signal à la conscience du monde pour croire à ton existence :
Frotte donc un fer sur la pierre, pour déclencher le feu.
Les âges noirs reculés, oppriment ton corps,
Sors, ne sois pas une trace sur un fossile.
Pour ne pas périr, tzigane, il faut briser la chape du silence,
C'est dire que pour rendre hommage à l'existence, il faut que tu chantes.

Mohammad Reza Chafii Kadkani 248

Venez en Iran si vous êtes un homme, venez en Iran et soyez une femme.

New York

Elle absorbe la fraîcheur des fleurs et des buissons d'Afrique
Elle tue tout le nectar des fleurs d'Asie
Une ville comme le nid d'abeille
Étirée vers le ciel
Et son nectar : des dollars
Un jour,
Dans la chaleur du soleil, quelle saison de chaleur,
Ta cire fondra,
ô vulgaire prostituée ?

Où vas-tu si vite...

Où vas-tu si vite ?
Demande à la brise l'herbe du désert
Je m'ennuie de cet endroit.
Souhaites-tu voyager loin de cet endroit poussiéreux ?
Je le souhaite, mais ne peux rien faire parce que je suis attachée
Où vas-tu si pressée ?
J'appellerais n'importe quel endroit ma maison, sauf ce désert
Bon voyage, mais je t'en supplie
Après avoir traversé ce désert effrayant
Dis mon bonjour à la pluie et aux fleurs épanouies.

Ahmad Chamlou249

En cette impasse

On vient sentir ta bouche, que tu n'aies dit je t'aime
On vient sentir ton coeur
Quelle étrange époque vivons-nous, ma toute gracieuse
Quant à l'amour, on lui donne le fouet
Le long des remparts sentinelles
L'amour, on l'enfouit au fond d'une arrière-cour

En cette impasse torve, torturée par le froid brille l'amour
Par la grâce nourricière des chants et des poèmes
Ne te risque pas à penser, ma toute gracieuse
Quelle étrange époque vivons-nous
Celui qui, nuitamment, martèle à notre porte
Est venu en meurtrier de la lampe
La lumière, on l'enfouit au fond d'une arrière-cour

Et voici que viennent les bouchers
Veillant à tout passage ils apportent la planche et les hachoirs en sang
Quelle étrange époque vivons-nous, ma toute gracieuse
Et ils équarrissent le sourire sur les lèvres
Et les chants sur la bouche
La joie, on l'enfouit au fond d'une arrière-cour

Les canaris sont couchés sur la braise,
brûlante de jasmin et de lys
Quelle étrange époque vivons-nous, ma toute gracieuse
Iblis est triomphant,
Ivre, attablé au banquet de nos deuils
Dieu, on l'enfouit au fond d'une arrière-cour250.

Grande comme la nuit

Toi et moi, l'arbre et la pluie...
Je suis le printemps, toi, la terre
Je suis la terre, toi, l'arbre
Je suis l'arbre, toi, le printemps.

La caresse de tes doigts de pluie
Me fait jardin parmi les forêts
Elle me rend unique.

Tu es grande comme la nuit.
Noyée dans le clair de lune ou pas
Tu es grande comme la nuit.
Tu es le clair de lune la lune même.
Si la lune disparaissait et si la nuit seule devait parcourir
Sa longue route jusqu'à la porte du jour,
Tu es comme la nuit grande et profonde, comme la nuit.
Même à la naissance du jour, tu es pure comme la rosée
Comme le matin.
Tu ressembles au velours des nuages à l'odeur de l'herbe
Tu es mousseline transparente mousseline de brume
Posée sur le parfum des herbes, comme une incertitude ébahie :
Aller ou rester...Vivre ou mourir ?
Tu ressembles aux neiges même lorsque les neiges ont fondu
Et que la montagne est nue.
Tu ressembles à cette cime haute et fière
Toi qui souris aux nuages de l'ombre et aux vents du mal...

Je suis le printemps, toi, la terre
Je suis la terre, toi, l'arbre.
Je suis l'arbre, toi, le printemps.
La caresse de tes doigts de pluie
Me fait jardin parmi les forêts
Elle me rend unique.

Djami 251

Une goutte d'eau...

Une goutte d'eau rejetée par l'agitation de la mer,
En plein hiver, tomba dans le désert.
Devenue glace par la rigueur du froid,
Elle crut vivre une existence indépendante.
Et cependant, par chacun, en tout lieu,
Elle entendait parler de la mer.
Elle pensa trouver, dans la rosée et dans la pluie,
La preuve de l'existence de cet océan.
Or, malgré les affirmations de la raison,
Cent doutes se dissimulaient dans son âme.
Oui, dans le désert pierreux de l'illusion et de l'imagination,
Nul ne s'est jamais sauvé par la déduction.

Houchang Ebtehadj 252

Quand la langue craignait...

Quand la langue craignait les lèvres
Quand la plume redoutait la feuille
Et que même la mémoire se troublait
De peur de parler en plein sommeil
Nous gravions ton nom
Dans nos cœurs
Comme un dessin sur le rubis.

Le baiser

" Le chant le plus doux ? " Lui demandai-je
De ses yeux endoloris elle me fixa
Ses larmes tombèrent goutte à goutte sa longue chevelure se mit à frémir
Et pleine de douleur, elle fredonna :
" Le gémissement des chaînes à mes mains ! "
" Et quand elles se libèrent... " Dis-je
Elle révéla un sourire amer - " Quel bel espoir, dit-elle, mais hélas !
Mon triste sort ne le permettra pas
Ce bateau d'or du soleil est brisé par les rochers de la côte ouest... "
Je tremblai d'une douleur amère, pleurant avec elle au fond de mon cœur

" Regarde ! Criai-je, sur cette aveugle mer
L'œil de tout astre comme un phare peut diriger les bateaux "
" L'œil de tout astre, répondit-elle en levant les yeux au ciel,
Serait un phare pour bateaux. Cependant cette nuit est une profonde mer
Hélas ! Que de passagers nocturnes emportés en sommeil par la magie du soir ! "
" Le phare de la lune, dis-je alors, fait bien part du réveil... "
" Mais dans une si sourde nuit pas un seul chant ne s'entend... " Dit-elle
" Mon cœur bat cependant, criai-je Écoute ! C'est le son des pas d'un ami ! "
" Hélas ! dit-elle, dans ce piège de la mort
On entraîne encore un gibier le son des pas est de lui !... "
Des pleurs déferlèrent en moi
" Et le plus beau sourire ? " lui demandai-je en plein milieu des larmes
Une flamme éclose dans ses yeux noirs le sang lui monta aux joues
-" Le sourire, dit-elle, que l'amour noble met sur les lèvres des hommes
Au moment de rendre l'âme. "
Je me levai alors et lui donnai un baiser.

L'art de traverser le temps

Le monde ne commence ni ne finit aujourd'hui
Cache-cache triste et heureux derrière un rideau
Si tu es sur le chemin ne désespère pas de la distance
L'arrivée est l'art de traverser le temps
Un voyageur chevronné sur la route de la porte de l'amour
Ton sang laisse sa marque à chaque pas
L'eau calme s'enfonce bientôt dans la terre
Mais le roulement de la rivière devient une mer
Espérons que l'on atteigne la cible
Tant de flèches ont volé de ce vieil arc
Le temps m'a appris à ne plus aimer ton visage
C'est pourquoi ces larmes sont teintées de sang
Dommage ce long jeu de décennies
Joue le cœur humain comme un jouet
Une caravane de tulipes traversant ce pré
A été écrasée sous les sabots par les cavaliers de l'automne
Le jour qui met en mouvement le souffle du printemps
Fera naître des fleurs et des herbes d'un rivage à l'autre
Montagne, tu as entendu mon cri aujourd'hui
La douleur dans cette poitrine est née avec le monde
Tous louaient la fraternité mais ne la vivaient pas
Dieu, combien de miles de la langue à la main ?
Le sang coule de mes yeux dans ce coin d'endurance
La patience que je pratique serre ma vie
Allez, Sayeh, ne t'écarte pas du chemin
Un bijou est enterré sous chaque pas253

Forough Farrokhzad 254

L'oiseau est mortel

Je suis déprimée, Ah ! Je suis déprimée
Je vais au balcon et je passe mes doigts
sur la peau tendue de la nuit.
Les lumières de relation sont éteintes.

Personne ne me présentera au soleil
Personne ne m'emmènera à la soirée des moineaux
Garde le vol à l'esprit,
L'oiseau est mortel255

Renaissance

Tout mon être est un hélas sombre qui te porte en soi et te répète, lancinant
vers l'aube où poussent les bourgeons éclos de l'éternité
En cet hélas,moi, je t'ai soupiré, ah ! Soupiré, soupiré tant,
que je t'ai greffé à l'arbre à l'eau au feu

La vie peut être est une rue longue où passe chaque jour une femme avec un panier;
la vie peut être est une corde sur la branche où l'homme se pend;
la vie peut être est un enfant qui rentre de l'école à pieds;
la vie peut être est cet instant où deux amants consumés brûlent une cigarette;
ou le passe-droit étourdi d'un passant qui salue l'autre d'un sourire vide et du chapeau;
ou bien encore ce moment hermétique où mon regard s'éffondre en écoutant tes yeux;
et dans cet étourdissement que donne une impression de lune et de soleil en même temps

Dans une chambre ramenée aux dimensions d'une solitude,
mon coeur, à l'échelle de l'amour,
contemple les prétextes simples qui lui donnent son bonheur
comme la beauté déclinante de fleurs coupées dans un vase
comme la graine que tu plantas dans le parterre du jardin
comme le chant des canaris aux mesures d'une fenêtre

Ah! Voici ma destinée, voici ce qu'est ma destinée...
Ma destinée est un ciel qu'un nouveau rideau posé, m'enlèvera
Ma destinée est la descente d'escaliers abandonnés pour y dénicher une chose imputrescible et révolue
Ma destinée est ce parcours endeuillé dans les allées du jardin de ma mémoire et la nostalgie d'un râle qui me dit
"j'aime tes mains"

J'enfouis mes mains dans le jardin pour y grandir et je suis sûre, sûre que je grandirai
et qu'entre mes doigts tachés d'encre les hirondelles feront leurs nids
Je prends comme pendants d'oreilles des cerises rouges assorties
je colle aux ongles de mes doigts des pétales de dahlias

Il existe une ruelle, où mes amoureux, encore, rêvent,
toujours échevelés, avec leur cou effilé, leurs jambes dégingandées,
du rire candide d'une enfant qu'un soir le vent a emportée
Il existe, une ruelle, dans les quartiers de mon enfance, que mon coeur leur a volée

Le voyage donne sa forme à la ligne sèche du temps
Qui, stérile, n'est engrossée que dans le reflet d'un miroir
Et c'est pourquoi, un être meurt
Et un autre reste vivant

Aucun pêcheur ne trouvera de perle
dans un ruisseau qui se jette dans un fossé

Je connais une petite fée triste, dans un océan qui sans faire de bruit
raconte son coeur, en jouant du luth
Une petite fée triste qui la nuit périt dans un baiser
Et renaît d'un baiser, dans l'aube256

Révolte

Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l'enfer

Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l'ivresse
Qu'importe de n'avoir pas voie au paradis
Puisqu'en mon cœur est un paradis éternel !

Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune

La brise m'a déjà pris des milliers de baisers
Et j'ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller

Rejette loin de toi l'illusion de l'honneur, homme
Car ma honte m'est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou

Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m'envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème

Ghazels257

Le ghazal est un poème d'amour formé de plusieurs distiques. Ce genre littéraire était florissant en Perse aux XIIIe et XIVe siècles mais on le retrouve aussi en Inde et en Asie centrale . Le terme ghazal peut se traduire par parole amoureuse. Chaque distique est composé de deux vers d 'égale longueur. Le second vers se termine par un mot ou groupe de mot identique dans chaque distique (le refrain), mot que l 'on retrouve par ailleurs à la fin du premier vers du ghazal. En général, le dernier distique doit contenir une allusion ou une invocation à l 'auteur du poème. Le thème du ghazal est en général l 'amour d 'une femme, traité de manière érotique et charnelle. Mais il a évolué pour prendre des formes plus philosophiques, mystiques ou satiriques.

Le derviche

Je t'ai demandé l'aumône d'un regard,
Et tu as détourné les yeux.

Je t'ai demandé l'aumône d'un sourire,
Et ton visage s'est durci.

Je t'ai demandé l'aumône d'un baiser,
Et tu m'as répondu : Passe ton chemin.

Ô ma perdrix, sans un regard, sans un sourire, sans un baiser, comment puis-je continuer ma route ?
Et à quelle source dois-je m'arrêter si j'ai éternellement soif de toi ?

Saïfah

Saïfah, mon âme, pourquoi revêts-tu le tchartchaf alors que le vent souffle sur la plaine et soulève les cailloux tranchants ?
Saïfah, couronne de ma tête, pourquoi ton sein bat-il à coups plus pressés que la feuille du platane secouée par le vent de la plaine ?
Saïfah, lumière de mes yeux, pourquoi ton regard si doux est-il devenu plus aride que la plaine desséchée par le vent ?

Je revêts le tchartchaf -- ô maudit -- pour voler au vent de la plaine dans les bras de celui qui m'attend.
Mon sein bat à me rompre l'âme -- ô maudit -- parce que ta main menteuse a brisé sans émoi la coupe limpide de mon cœur.
Mon regard est aride -- ô maudit -- parce que toutes mes larmes je les ai données pour former le ruisseau qui me noiera dans la plaine.

Pourquoi ?

Pourquoi chantes-tu -- ô Bulbul -- puisque la voix de ma bien-aimée s'est tue ?
Pourquoi brilles-tu -- ô Soleil -- puisque les yeux de ma bien-aimée se sont clos ?
Pourquoi rêves-tu -- ô Jeune fille -- puisque le bonheur est un éternel mirage ?

-- Je chante encore -- ô Éploré -- parce que d'autres cœurs sont allègres.
Je brille encore -- ô Éploré -- parce que d'autres regards scintillent.
Et si je rêve -- ô Jeune homme -- c'est que demain tu m'aimeras peut-être.

Très peu de chose

Un grain de sable dans sa babouche
Que faut-il de plus pour allumer la jalousie d'Afrassiâb ?

Querelle

Pourquoi me demander -- ô Gulnar -- quel jour s'est incendié mon cœur, puisqu'aujourd'hui mon cœur n'est plus que cendres dispersées ?
Pourquoi me demander -- ô Gulnar -- quel jour nos sourires se sont parlés, puisqu'aujourd'hui le Lapidé lui-même n'aurait pas le pouvoir de confesser mes lèvres ?
Pourquoi me demander -- ô Gulnar -- quel jour mes pas foulèrent le sol sans frôler la fourmi, puisqu'aujourd'hui mon pied souhaiterait d'écraser tout ce qui respire ?
Et pourquoi demander -- ô Gulnar -- quel jour mon âme a fleuri puisque tes doigts ont jeté au vent la rose épanouie ?

Et toi me diras-tu -- ô Mahmoud -- quel jour Aïcha m'a dérobé un battement de ton cœur ?
Me diras-tu -- ô Mahmoud -- quel jour Aïcha reçut le choc de ton sourire complice ?
Me diras-tu quel jour tes pas t'ont d'eux-mêmes porté vers la fontaine d'El Latif ?
Et me diras-tu -- ô Mahmoud -- quel jour ton âme a tressailli devant Aïcha, penchée sur la source fraîche ?

Mais que sert de souder ensemble les chaînons du supplice ?
Rassure-toi -- ô Pervers -- ce soir tu pourras caresser sans forfait la joue de ton Impudique, car, j'en fais le serment sur le Lotus de la Limite, mes larmes plus jamais n'altèreront l'eau limpide de la source abhorrée.

Ces paroles dites, leurs regards se mêlèrent et ce fut à nouveau une matinée d'été.

Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi 258

Odes

Attention, ô échanson ! fais circuler la coupe, invite les convives à boire, car, vois-tu, l'amour nous a d'abord semblé chose facile, mais ensuite que de difficultés se sont présentées !
Grâce à ce délicieux parfum que le zéphyr détache de cette belle chevelure, de ces boucles empreintes de musc, torses en tous sens, tous les cœurs sont inondés de sang !
Imprègne de vin le tapis de la prière, si c'est le chef de la taverne qui t'y convie, car celui qui suit une route n'ignore ni son chemin, ni l'état des étapes qu'il parcourt.
De quelle joie, de quel repos veut-on que je jouisse en cette demeure de ma mie, lorsqu'à chaque instant les grelots de la caravane me convient à me préparer au départ !
La nuit est profonde, le danger des vagues et des tourbillons de la vie est pressant. Quelle idée peuvent se faire de notre pitoyable état ceux qui, allégés de tout, se trouvent en repos au bord de cette mer ?
Tous mes actes accomplis de mon propre gré m'ont conduit à la déconsidération. Oh ! comment eut-il pu rester caché ce secret de mon cœur qui fait en ce moment le sujet de toutes les conversations ?
Veux-tu jouir de la présence divine, ô Hafiz ? ne t'absente pas un instant de celle de ta bien-aimée. Dès que tes regards la rencontrent, renonce au monde, abandonne-le pour la suivre.
Hier au soir le directeur de nos consciences, en sortant de la Mosquée, se dirigea vers la taverne ! Ô amis ! quelle doit être notre conduite après un tel exemple !
Nous, pauvres brebis, comment pourrions-nous avoir la face tournée vers la Kaaba, notre pasteur ayant la sienne tournée vers le cabaret ?
Réunissons-nous donc tous chez le marchand de vin, puisque, de toute éternité, notre sort l'a ainsi décidé.

Oh ! si l'intelligence savait combien le cœur se trouve bien suspendu à une belle chevelure, tous les hommes d'esprit deviendraient fous pour la chaîne qui nous tient en si douce captivité.
Mon cœur avait enfin saisi comme une proie un instant de repos, lorsque, hélas ! en dénouant ta merveilleuse chevelure, tu l'exaspéras derechef et le replongeas dans ses cruels tourments.
Ton joli visage est pour nous un échantillon de la beauté divine ; voilà pourquoi, dans nos poétiques narrations, il n'est question que de charmes et d'attraits.
Ton cœur de pierre sera-t-il enfin une fois au moins touché par nos lamentations cuisantes, par nos soupirs brûlants, qui, la nuit, nous tourmentent ?
Le zéphyr doucement éparpilla tes belles tresses et mes yeux, à cette vue éblouis, furent aussitôt envahis de ténèbres. Voilà, cruelle, tout le profit qui m'est revenu de l'admiration que m'inspira ta belle chevelure.
La flèche de mes soupirs franchit les limites du monde. Ô Hafiz, tais-toi donc, aie pitié de ton âme ! mets-là à l'abri de ses terribles atteintes.

Au Cabaret des Mages...

Au Cabaret des Mages, je vois la lumière de Dieu,
Quelle étrange chose que d'apercevoir telle lumière en tel lieu !
Ne cherche pas à m'en imposer, ô préfet du pèlerinage,
Où tu ne vois que la maison, je vois, moi, le maître de maison.
Des tresses des idoles, je veux répandre l'odeur de musc,
Dessein présomptueux, et peut-être ai-je tort.
La brûlure du cœur, les larmes versées, les soupirs du matin, les sanglots nocturnes,
Tout cela, c'est Votre regard plein de grâce qui me le fait éprouver,
A chaque instant, un nouvel aspect de Ton visage s'impose à moi.
A qui dire tout ce que je découvre sur ce rideau ?
Nul n'a respiré dans le musc du Khotân ou celui de ma Chine,
Ce que chaque matin m'apporte le souffle de l'aube ;
Amis, ne blâmez pas Hafiz de son libertinage,
Car je le compte au nombre de Vos fidèles.

Parviz Nâtel Khânlari259

La lune dans le marais

L'eau calme, le ciel calme Le cœur insouciant, l'âme gaie
Le saule faisait de l'ombre à l'eau Et les cheveux de l'échanson à la coupe
Heureux celui qui est amoureux

Le saule fait de l'ombre à l'eau Et le clair de lune à la vague argentée
La chanson du rossignol s'entend de loin
La lune comme une aimée déshabillée Lave son corps blanc dans l'eau
La chanson du rossignol s'entend de loin Et jette dans le cœur une agréable mélancolie
La mémoire débordante du souvenir de l'aimé
Le cœur plein de désirs lointains L'esprit occupé, emprisonné
La mémoire : débordante du souvenir de l'aimé
Ravie de la crainte de séparation et de l'élan de jonction
Le ciel, comme une soie azurée Dans lequel se mire la lune coquette,
Ajoute la solitude à la tristesse de cette dernière
Le ciel, comme une soie azurée
L'eau comme une coupe décolorée
Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir
Le cœur ne consent pas à quitter cet endroit
Plus lentement ! Attends ! Attends ! Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir
Tu seras payé autant que tu veux
Ce cœur impatient vient à peine de s'endormir
Ne dérange pas, par ton obstination, sa quiétude
Ne bouleverse pas dans l'eau, le calme de la lune
Ce cœur impatient, vient à peine de dormir
Le clair de lune a criblé de camphre L'eau calme, le ciel calme
La lune dans le marais s'endort d'un sommeil agréable
Elle rêve de son bien-aimé
L'eau calme, le ciel calme Le cœur insouciant, l'âme gaie
Le saule faisait de l'ombre à l'eau
Et les cheveux de l'échanson à la coupe
Heureux celui qui est amoureux

Omar Khayyam260

Les Rubaïyat sont d'abord une collection de poèmes attribués au Persan Omar Khayyam. La traduction de « rubaïyat » est « quatrains ». D 'autres poètes écrivirent des rubaïyat, dans la tradition de Khayyam. Les deux premiers vers riment ensemble avec le dernier, le troisième étant un vers libre.

Neuf quatrains (Rubaïyat)

Cette roue sur laquelle nous tournons
Est pareille à une lanterne magique.
Le soleil est la lampe, le monde, l'écran.
Nous sommes les images qui passent.

Le véritable bonheur, c'est une rose,
Deux pains de froment, trois amis,
Quatre chansons et cinq flacons de vin.

Un livre de vers sous la ramée,
Un pichet de vin, une miche de pain... et toi
A mes côtés chantant dans la solitude...
Et la solitude est à présent le paradis!

Que ce soit à Naishapur ou à Babylone,
Que la coupe soit douce ou amère,
Le vin de la vie continue de couler goutte à goutte,
Les feuilles de la vie continuent de tomber une à une.

Lève-toi, donne-moi du vin, est-ce le moment
des vaines paroles ?
Ce soir, ta petite bouche suffit à mes désirs.
Donne-moi du vin, rose comme tes joues...

Mes voeux de repentir sont aussi compliqués que tes boucles.

Tous les matins la rosée emperle les tulipes
Les violettes inclinent leurs têtes dans le jardin
En vérité rien qui ne me ravit comme le bouton de rose
Qui semble ramasser autour de lui sa tunique soyeuse.

Je bois du vin et quiconque boit comme moi en est digne.
Si je bois c'est chose bien légère devant Lui.
Dieu savait dès le premier jour que je boirais du vin.
Si je ne buvais pas la science de Dieu serait vaine.

Je ne suis pas homme à craindre le non-être
Cette moitié du destin me plaît mieux que l'autre moitié
C'est une vie qui me fut prêtée par Dieu
Je la rendrai quand il faudra la rendre.

Le nuage est venu répandre encore un pleur sur la verdure.
Sans vin couleur de rose, il ne convient de vivre.
Ce gazon est aujourd'hui offert à nos plaisirs
Le gazon de notre tombe, qui donc en jouira ?

Quatorze autres Quatrains

Ma loi est le vin et la belle humeur ; --- ma religion, l'indifférence à la foi et au doute. --- J'ai demandé à ma fiancée qui est le monde : « Quelle dot veux-tu ? » --- Elle m'a dit : « Ton cœur joyeux est ma dot. »

As-tu vu le monde ? Tout ce que tu y as vu n'est rien. --- Ce que tu as dit, ce que tu as entendu n'est rien. --- Si tu as parcouru les sept climats, ce n'est rien. --- Si tu es resté seul à méditer dans ta maison, ce n'est rien.

Ceux qui étaient les pôles de la science --- et dans l'assemblée des sages brillaient comme des phares, --- ils n'ont su trouver leur chemin dans la nuit sombre. --- Chacun d'eux a balbutié un conte, puis s'est endormi.

Comme le sort de l'homme dans ce caravansérail à deux portes, --- n'est que souffrance et agonie, --- heureux qui n'a vécu que le temps d'une respiration, --- et plus heureux qui n'est pas né.

Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, --- sans compagnons, sans amis, sans femme. --- Garde-toi de confier à personne ce secret : --- Un coquelicot fané ne refleurit jamais.

La lune a déchiré la robe de la nuit. --- Bois du vin ; il n'est pas d'heure plus opportune. --- Sois joyeux, sans soucis, car longtemps cette lune --- brillera sur la tombe de chacun de nous.

On nous promet un paradis et des houris aux yeux de jais ; --- on nous promet le vin et l'hydromel. --- Si nous avons choisi ici-bas le vin et les bien-aimées, --- nous avons raison, puisque telle est la fin qui nous est promise là-haut.

Avant toi et moi, il y avait des nuits et des jours, --- et le ciel longtemps avait tourné sur lui-même. --- Pose avec douceur le pied sur la terre, --- car cette terre était peut-être l'œil vif d'un adolescent.

Je ne sais si celui qui m'a créé --- m'a destiné au ciel ou à l'enfer. --- Une coupe, une adolescente, un luth au bord d'un champ, --- je m'en satisfais au comptant et te laisse ton paradis à crédit.

Un prêtre disait à une fille : « Tu es ivre, --- chaque jour tu prends un nouvel amant. » --- « Ô prêtre, répondit-elle, je suis telle que tu le dis, --- mais toi, es-tu tel que tu te montres ? 

Depuis que la Lune et Vénus ont paru dans le ciel, --- quelle splendeur égale celle du vin couleur de rubis ? --- Je me demande ce que les marchands de vin --- peuvent acheter avec notre argent en échange de ce qu'ils vendent.

D'abord il m'a donné l'existence, sans me consulter. --- La vie chaque jour a augmenté ma stupeur. --- Et nous sommes partis sans l'avoir voulu, --- sans avoir su le but de notre venue, de notre séjour, de notre départ.

Regarde. Qu'ai-je reçu du monde ? Rien. --- Qu'est-ce que la vie a laissé dans mes mains ? Rien. --- Je suis une flamme de joie. Une fois éteint, que suis-je ? Rien. --- Je suis la coupe de Djemchid. Une fois brisé, que suis-je ? Rien.

Tu as brisé ma cruche de vin, ô Seigneur !-Tu as claqué sur moi la porte de la joie, ô Seigneur !-Sur le sol, tu as répandu mon vin grenat par maladresse- (Que ma bouche s'emplisse de terre !) n'étais-tu pas ivre, Seigneur ?

Nâsser Khosro 261

Destin de l'aigle

Un aigle royal, un jour, prit son envol dans le ciel.
Il déploya ses ailes et ses plumes avides et fières.
Admirant la forme droite de ses ailes, il dit :
"Voilà que l'ombre de mes plumes recouvre la Terre entière.
Par-delà le regard du Soleil je m'envole
Je peux voir la moindre parcelle jusqu'au fond des mers
Rien ne peut échapper à mon regard perçant
Pas même sur la brindille le moucheron qui s'affaire.
" Tout rempli de lui-même, il allait sans crainte du destin;
Vois pourtant ce que fit la destinée cruelle :
Soudain un archer à l'affût, un archer excellent
Lui lança une flèche, main du destin contraire.
La flèche vint se ficher droit dans l'aile de l'aigle
Et de là-haut, cruelle, le jeta sur la terre.
Il tomba sur le sol comme un oiseau qui meurt,
Et de droite, et de gauche, il ramena ses ailes,
Et dit : "Étrange flèche, faite de bois et de fer,
Si pointue, si rapide, d'où vient donc qu'elle vole?"
Puis au bout de la flèche, il vit ses propres plumes,
Et dit : "Elles étaient miennes, elles me reviennent, que faire?
" Tout ce que nous faisons un jour nous reviendra.
De qui nous plaindre alors?
Que pouvons-nous y faire?

Abdullah Jafar Ibne Mohammed Roudaki 262

Evocation de Boukhara

Voici que vient à nous le parfum de Mouliân, la rivière joyeuse
Voici que vient à nous le parfum de l'aimé, à l'âme affectueuse
Voici que les pierres de l'Amou, cailloux sur le chemin
Sous nos pas deviennent une route soyeuse
Voici que l'eau de l'Oxus, ravie au spectacle de l'aimé
Monte au flanc de notre cheval blanc, tumultueuse
Voici que le prince vient à toi dans la joie
Ô Boukhara : longue vie à toi! Sois heureuse!
Le prince, c'est la lune et Boukhara, le ciel
Voici que rejoint le ciel la lune lumineuse
Le prince est un cyprès et Boukhara, un verger
Voici que le cyprès vient retrouver sa terre bienheureuse

O toi qui t'attristes...

O toi qui t'attristes et non sans raison,
toi qui répands les larmes en secret,
Ce qui fut s'est enfui, ce que voilà le suit,
les choses sont ainsi, à quoi sert de t'en affliger ?
Espères-tu plier à tes désirs
le cours inexorable du monde d'ici bas ?
Va, tu peux bien gémir jusqu'à la fin des temps,
tes pleurs te rendront-ils ce qui s'en est allé ?
Le destin te réserve encore d'autres peines,
si tu souffres ainsi à chacun de ses coups
Tu te plains qu'il choisit de porter l'infortune
partout où s'attache ton cœur :
C'est qu'un rang éminent, la grandeur, la valeur
attirent la main du destin

La vie me donna...

La vie me donna une généreuse leçon
elle le fait nuit et jour de la meilleure façon
Ne soupire pas dit-elle après la joie des autres
que de gens qui envient ta fortune à raison[ز]{dir="rtl"}
Qui ne tient enchaînées sa langue et sa colère
traînera ses chaînes dans une noire prison

Djala al-Din Muhammad Rumi263

Tout est un

Tout est un,
La vague et la perle,
La mer et la pierre.
Rien de ce qui existe en ce monde,
N'est en dehors de toi,
Cherche bien en toi-même
Ce que tu veux être,
Puisque tu es tout.
L'histoire entière du monde
Sommeille en chacun de nous.

Contemple ta propre essence

Purifie-toi des attributs du moi,
Afin de pouvoir contempler ta propre essence,
Et contemple dans ton propre cœur
Toutes les sciences des prophètes,
Sans livres,
Sans professeurs,
Sans maîtres.

Toute la nuit

«Où est toute la douceur que j'ai vue dans ton visage toute la nuit
Et le sucre de ton récit que j'ai entendu toute la nuit?
Bien qu'autour de ta bougie mon cœur brûlât comme un papillon
Autour de ton beau visage j'ai tourné toute la nuit.
La nuit dressait son voile devant ton visage de lune;
Moi, comme la lune, je déchirai ce voile toute la nuit.
La poitrine, comme la maison des abeilles,
D'alvéoles était remplie.
Car de toi, ruche de miel,
Je tirais du sucre toute la nuit.
Comme un piège la nuit s'est refermée sur toutes les créatures
Comme le cœur d'un oiseau pris au piège
J'ai palpité toute la nuit.
Celui sous l'ordre de qui sont les âmes
Telles des colombes dans ce piège
Je l'ai désiré toute la nuit.»

Viens !

Viens, viens !
Qui que tu sois,
Viens !
Que tu sois un infidèle,
Un idolâtre ou un païen,
Viens !
Notre couvent
N'est pas un lieu de désespoir.
Même si cent fois,
Tu as violé un serment,
Viens quand même

Tu m'as trouvé

Tu m'as trouvé une fois de plus, toi le voleur de coeurs.
Dans l'extase de l'ivresse, tu as fouillé le bazar et tu m'as trouvé.
Même à travers des yeux endormis et ivres d'amour, tu m'as repéré. J'ai couru à la taverne.
Tu m'as trouvé.

Pourquoi je cours quand personne ne peut t'échapper ?
Pourquoi me cacher alors que tu m'as trouvé une centaine de fois ?

Je pensais que je pourrais te perdre dans une foule de gens.
Mais tu me trouves même dans une foule de secrets, même derrière mes propres masques.

Quelle bénédiction d'être cherché et trouvé par vos yeux.
Quelle chance d'être pris dans vos tours et détours...

Voyant aimant, voyant persistant, cyprès imposant des innombrables jardins,
J'étais en train d'arracher une épine de mon pied quand tu m'as trouvé.
Tu m'as couvert de fleurs de vos lits fertiles.
Cher rossignol, tes mélodies ont ouvert mes oreilles.
Comme une louche qui veut sa dose de lumière, j'ai plongé dans le halo de la lune.
Au fond de ce pot sans fond, tu m'as trouvé.
Comme un cerf fuyant un lion, j'ai couru dans le désert.
Au plus profond des montagnes, tu m'as trouvé.

Blessé, j'ai versé mon sang sur tous les chemins.
Tu as suivi les gouttes et tu m'as trouvé.

J'étais un poisson accroché se tordant dans les vagues.
Au bout de la ligne, tu m'as trouvé.

Vous parcourez les cieux et attrapez des cerfs au galop.
Avec toutes ces compétences et cette patience, tu m'as trouvé.
Au moment où tu m'as trouvé,
tu m'as donné une coupe débordant du vin de l'amour,
assez lourd pour correspondre au poids de mon âme.

Chaque gorgée l'allégeait.
Chaque gorgée, un baume.
J'ai bu jusqu'à plus soif.
Mon âme s'est envolée.

Je n'ai pas d'esprit, pas d'oreille, pas de langue aujourd'hui.
La source de la pensée et de la parole m'a trouvé264.

Le moment où tu m'as quitté

Au moment où tu m'as quitté,
la douceur a été volée de ma langue.
Je me suis transformée en cire, j'ai brûlé comme une bougie
toute la nuit, roussie par le feu,
pas de miel.

Aucun moyen de t'atteindre,
aucun moyen de toucher ta beauté.

Mon corps gît ici en ruines.
Mon âme, un oiseau de nuit265.

Reza Shirmaz266

Un jeu de guerre

Nous avons commencé par une trahison,
une fracture silencieuse,
une scission le long de lignes invisibles.
Puis vint la mort --
rapide, brutale, quelque chose d 'impérieux
et nous l 'avons traversée,
nous nous sommes habitués à son goût.
Maintenant, nous terminons
par un jeu de guerre, à chaque fois,
l 'affrontement en cuisine,
l 'escarmouche dans la rue,
l 'embuscade silencieuse par-dessus la colline
et là où l 'eau s 'infiltre,
sous la mer, là où les mots se noient.
Nous le jouons,
tour après tour,
les règles jamais dites,
la fin jamais parfaite.

Amitié

Notre amitié est gravée dans les os des heures anciennes
deux lignes parallèles, qui ne se rencontrent jamais,
traçant toujours la courbe sanglante du Soleil,
où nous trébuchons tels des fantômes
et ne trouvons rien, aucun réconfort,
aucune fin à cette lente dérive.
Nous glissons le long des montagnes,
nous appuyons sur des pierres froides,
et regardons l 'ombre du Soleil flirter avec le silence.
Un moineau parle en symboles,
criblant la nuit,
se moquant de Nyx, la gardienne des ténèbres.
Il chante les louanges des mains brillantes d 'Héméra,
déversant du blanc sur le noir de Thanatos,
un hommage maladroit, un hymne insensé.
La route et moi partenaires d 'un pacte ancien,
adeptes de l 'étrange géométrie muette du Chaos.
Mon ombre caresse encore l 'honnêteté de la poussière et de la pierre,
ses aspérités contre ma paume,
tandis que toi, si loin de cette caresse impitoyable,
tu restes assis là, à attendre,
au bord de ce qui pourrait encore advenir.

Je veux risquer mes mots

Je veux parier les jours et les nuits,
tout risquer, chaque souffle, chaque instant,
danser tristement parmi les morts,
boire le sang versé dans les rivières rouges de la guerre.

J 'aspire à fuir l 'appartement qui me piège,
abandonner l 'emprise de tout faux abri,
déchirer mon CV comme un voile déchiré
et patauger dans une rivière,
nettoyer mes mains, mes pieds --
du sang des arbres,
du sang des mers,
des blessures de Vénus,
du sang des réduits au silence, des mal-aimés.
Je veux risquer les heures,
guérir les cicatrices de chaque morsure,
sur ce corps égoïste et fragile,
sur cette âme lasse et effilochée.

Je veux tourner le dos aux cités des hommes,
chercher du réconfort dans l 'ombre de l 'anéantissement,
trouver une jungle grouillante de terreur
et l 'embrasser plutôt que cette désolation --
cette immobilité sans nom,
cette ignorance sans visage,
cette confiance sans fondement,
ce flirt sans fin avec le néant.

Je veux risquer un peu, tout risquer,
risquer seulement le fait de risquer --
ne pas périr pour mes mots,
mais les laisser respirer le danger,
mettre le monde au défi avec mes mots.

J 'aime un livre

Je t 'aime parce que tu n 'offres pas de bougie à l 'église,
ni ne captures l 'image de la peur et du dégoût.
Tu es un livre,
où s 'élève une montagne,un ouvrage où tu peux boire avec Satan
et coucher avec Dieu.
Dans tes pages,
tu peux presser une pierre
et extraire un poème de ses profondeurs,
faire fondre le soleil sans effort
par la puissance de ton chant.

Bahar Tavakoli267

Equation268

Nous devrions, dans une égale mesure,
nous mentir
dans une égale mesure,
nous tromper
et, dans une égale mesure,
nous prendre chacun pour des idiots
Ne brisez pas l 'équation, s 'il vous plaît
Ne laissez pas l 'amour profond qui nous unit
s 'affaiblir

Solitude

Quand je lui tiens la main J 'ai froid
Son cœur est aussi triste que celui de ma mère
Sans personne pour partager sa douleur
Quand je m 'occupe de ses histoires
Je me sens glacée de partout
Il n 'arrête pas de s 'inquiéter
Pour une fille vêtue de blanc
Renvoyée au domicile conjugal
Maintenant dans une maison plus loin
Debout comme vide
Peu importe quand j'y vais
Depuis des années maintenant
Il est penché dans un coin de la cuisine
Froid et inquiet
N 'ayant rien à manger
Sauf du chagrin
Pauvre vieux frigo

Nima Youchidj 269

Je t'attends la nuit...

Je t'attends la nuit
Quand noircissent entre les branches du Talâdjane les ombres
Celles qui font succomber tes amants de chagrin
Je t'attends 
La nuit quand dorment les vallées comme des serpents morts
Au moment où la main du nénuphar noue le piège
Au pied du cyprès de montagne
Que tu te souviennes ou non de moi
Je ne laisserai pas réduire ton souvenir
Je t'attends

Le clair de lune

Perle le clair de lune
Luit la luciole
Pas un seul instant le sommeil n'est brisé dans l'œil de l'autre, mais
Le chagrin de tous ces endormis
Fait fuir le sommeil de mon œil humide.

Inquiète, l'aube se tient debout avec moi
Le matin me demande
D'informer ce peuple inanimé de son souffle béni
Mais une épine dans le cœur
Me fait fléchir sur la route du voyage.

La fragile tige de fleur
Que j'ai plantée de toute mon âme
Et dont j'étais l'arroseur de tout coeur
Se brise, hélas, tout près de moi.

Je frotte les mains
Pour ouvrir une porte
Mais en vain
Leurs maisons anciennes s'abattent sur moi.

Perle le clair de lune
Luit la luciole
Fatigué, de ce long chemin, les pieds couverts d'ampoules,
Se tient sur le seuil du village un homme seul
Son sac sur le dos
La main sur la porte, il se dit :
" Le chagrin de tous ces endormis
Fait fuir le sommeil de mon œil humide.

Le Phénix

Le Phénix, oiseau chantant, célèbre de par le monde
Celui que les vents froids ont réduit à l'errance
Est posé seul sur un roseau
Alors que sur les branchages d'alentours se tiennent des oiseaux.
  Il combine les gémissements égarés
Avec les fils déchirés des voix lointaines
Il bâtit le mur d'un édifice imaginaire
Dans les lignes obscures des nuages
Qui s'agitent sur les monts.
  Depuis que le jaune du soleil blafard
Hésite sur les vagues,
Le chacal hurle sur la plage
Et l'homme du village allume le feu caché du foyer.
Rouge, une petite flamme
Trace une ligne sous les deux gros yeux du soir.
  Et alors qu'au loin passent les hommes,
Lui, la belle voix rare, sort de son havre.
Il traverse les choses qui se mêlent
Au clair et à l'obscur de cette longue nuit.
Il fixe une flamme devant ses yeux.
  A l'endroit où l'on ne trouve ni plante ni souffle de vie,
Et dont les pierres se fissurent au soleil,
Où la terre ni la vie n'apportent du plaisir,
Il trouve que le rêve des oiseaux, et le sien
Sont obscurs comme une fumée.
Toutefois leur espoir et leur matin si beau
Ont l'aspect d'un grand feu.
  Il trouve indigne la vie qui passe comme celle des oiseaux
À manger, à dormir.
Cette voix chantante fixe des yeux d'aigle sur ce lieu lumineux
Un brasier si brûlant qu'il en devient Enfer.
  Et depuis la colline soudain, battant des ailes,
Il lance un gémissement plaintif
Que nul passant ne peut saisir.
Et ivre de ses souffrances alors il se jette au feu.
  Le vent souffle bien fort, et l'oiseau est consumé
Du tas de cendres de son corps naissent ses enfants.

Dans la froide nuit d'hiver

Dans la froide nuit d'hiver
Même la fournaise du soleil ne brûle pas comme le foyer chaud de ma lampe,
Et comme ma lampe aucune autre lumière ne brille,
La lune, qui brille du ciel, n'est pas non plus gelée.
J'ai allumé ma lampe quand mon voisin marchait dans une nuit sombre, et c'était une froide nuit d'hiver,
Le vent encerclait le pin, au milieu des mornes cabanes
Il s'est séparé de moi, perdu, dans cette rue étroite.
Et l'histoire persiste dans la mémoire et ces mots suspendus à ses lèvres :
Qui allume ? Qui brûle ?
Qui, dans son cœur, préserve cette histoire ?
Dans la froide nuit d'hiver,
Même la fournaise du soleil
Ne brûle pas comme le foyer chaud de ma lampe.

RÉUNIONAISE

Charles Baudelaire270

A une malabraise

Tes pieds aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche ;
A l'artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.

Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître,
Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.

Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars.

Catherine Boudet271

C'est dans ma tête...

C'est dans ma tête qu'il faut toutes les nuits
Laisser la lumière allumée
Pour se défaire des ombres lancinantes...  

Tu sais que mes soleils s'affolent de ton absence
Que ma terre fuse d'une recherche sans nom
Que l'insolite se fait miroir
Moi je veux délier le filet d'étoiles qui retient captive la nuit
Il s'échafaude d'étranges brises dans le silence d'un coeur en attente
Où l'un et le multiple se répondent
Aller en cavalcade jusqu'au désir de l'Autre

Le vide
Ne touchez pas
Je suis partie très loin
Les lumières
Sections de vie autour
Ce bleu
L'horizon en démolition
Ne touchez pas
Très loin très fort l'espoir a cogné dur
Je cherche quand l'eau salée s'est mélangée au bleu

Léon Dierx272

Ce soir

Comme à travers un triple et magique bandeau,
Ô nuit ! ô solitude ! ô silence ! - mon âme
A travers vous, ce soir, près du foyer sans flamme,
Regarde par delà les portes du tombeau.

Ce soir, plein de l'horreur d'un vaincu qu'on assaille,
Je sens les morts chéris surgir autour de moi.
Leurs yeux, comme pour lire au fond de mon effroi,
Luisent distinctement dans l'ombre qui tressaille.

Derrière moi, ce soir, quelqu'un est là, tout près.
Je sais qu'il me regarde, et je sens qu'il me frôle.
Quelle angoisse ! Il est là, derrière mon épaule.
Si je me retournais, à coup sûr je mourrais !

Du fond d'une autre vie, une voix très lointaine
Ce soir a dit mon nom, ô terreur ! Et ce bruit
Que j'écoute - ô silence ! ô solitude ! ô nuit !
Semble être né jadis, avec la race humaine !

Flot des mers

Flots qui portiez la vie au seuil obscur des temps,
Qui la roulez toujours en embryons flottants
Dans le flux et reflux du primitif servage,
Éternels escadrons cabrés sur un rivage
Ou contre un roc, l'écume au poitrail, flots des mers,
Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !

(...) Vous accourez de loin, vous rapportez l'angoisse,
Aux pieds de vos remparts certains vous revenez,
Et mêlez aux rumeurs des ans disséminés
Les soupirs inconnus, les voix de ceux qu'on pleure.
La vôtre est toujours jeune et seule ici demeure.
Messagers du chaos, damnés de l'action,
Serviteurs du secret de la création,
Votre spectacle auguste et sa vaste harmonie
Émouvront plus que tout la pensée infinie.
Nous n'aurons combattu qu'une heure ; incessamment,
Vous clamez dans l'espace un plus ancien tourment !
Ah ! n'est-il pas celui d'une âme emprisonnée
Qui, ne sachant pourquoi ni comment elle est née,
Le demande en battant les murs de l'horizon ?
Flots sacrés ! L'univers est encor la prison !
Nous avons beau fouiller et le ciel et la terre,
Tout n'est que doute, énigme, illusion, mystère.

Boris Gamaleya273

Les lots du partage

L'Arche a ceci de commun avec le trou glauque des Bélouves que l'image la reboise -- d'un coup flashé de sa luxuriance -- l'image la submerge du spleen des vies -- d'un pôle à l'autre de l'âme, pêle-mêle.
Si, au bout du premier scénario catastrophe venu, s'évapore l'état des dieux, une nouvelle création -- puzzle météo, bouton de pression de l'enfer sur Hiroshima ou contenu des capsules de la nuit déhiscente -- explose aussitôt à partir des fonds perdus.
Les tiges peuvent sauter. Les anthères ne sont plus retenues en plein vol par un fil.
L'arbre -- de plus en plus haut -- vogue avec son armée de voltigeurs !
Et le verbe hardiment se laisse causer...
Ivresses, gare aux soleils d'été -- même si par chance on se réfère toujours à quelque bouée. Gare aux terres démontées de l'humus aux feuillages.
Ici, la voune mouvante -- style drosera -- capture les imprudentes pesanteurs. Le trésor des pirates. Les denses mystères. La peur du mourir seul.
Il fait si froid. Au secours !
Cent quatre-vingts degrés. L'amont nous avale...
Vertige. Les grands koudous remontent aux sources de la lune. À la pupille agrandie des belladones.

Midi do-si-la-fa-mi

On descend dans la gamme kumoï à Bali. C'est à côté du confessionnal où -- loin des murmures artificiels -- le poème ne s'accuse pas d'inventer un monde nouveau. Après avoir étalé le savoir établi sur ses brisants...
On construit la douleur comme une forteresse. On prescrit aux affligés des idées bleues.
Là-dessus, le mal revient. Les sensitives de l'absolu se referment. Avec qui en découdre ? Le mal a trouvé. Avec celui qui l'apostrophe !
-- Quel ennemi va là ?
-- Futur ami...
-- Déluge de feu ?
-- Équateur du froid...
-- Cahin ?
-- Caha...
Un Dieu de longue route est un langage qui s'exerce à ne pas oublier que les lointains commémorent les lointains.
Lucioles de la nuit, à vos festins de laves !
Que ce soit en répondant aux appels d'on ne sait quelle conscience flottante ou comme ça, sans forcer, les tribus aux bandeaux rouges se séparent de leurs terrains vagues. Seules les vérités trop raides pour voler ne referont plus surface. À travers les brouillages, des signes forts annoncent l'Événement.
Le monde du matin peut faire silence.
L'arche du quatrième sens arrive !

Une arche coupe-éclats...

Une arche coupe-éclats au ventre des nuages clone l'Univers Poème...
Heureuses retrouvailles
Cet homme est François Coupou, assassiné à Saint-Denis en 1958
Quel est cet homme
broyé
quel est cet homme
brisé
quel est cet homme roulé 
à ce carrefour de l'histoire
crucifié d'ombres barbares
quel est ce flagellé
à genoux sous les crosses girant fauves
à l'ultime station de son chemin de croix
traversé tout à coup du train fou de son sang
lancé
dans le vide
dans la fumée hallucinante d'un cent millions
de tam-tams incendiés
dans la démence fulgurante de l'univers fracassé
dans le limbe d'un coma noyant le tocsin de
ses tempes
battant jusqu'à l'ultime carillon
battant jusqu'à l'ultime caillot
le rappel étranglé
de son cri innocent 
quel est ce matraqué
sanglotant sous les éclairs d'acier
d'une volée de crosses

tombé pour ne jamais plus se relever droit
tombé pour ne jamais plus soulever sa croix
tombé pour ne jamais plus psalmodier sa foi
tombé pour ne jamais plus asseoir paria votre fortune
colonialistes assassins !
tombé pour ne jamais plus, bête télinga
tendre vers le sommet de son noir golgotha 
ricanez assassins
crachez assassins
La Réunion jamais ne l'oubliera.

Charles Leconte de Lisle274

Pantoun malais

Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
J 'ai dans l 'âme un chagrin amer.
Le vent bombe la voile emplie,
L 'écume argente au loin la mer.

J 'ai dans l 'âme un chagrin amer :
Voici sa belle tête morte !
L 'écume argente au loin la mer,
Le Praho rapide m 'emporte.

Voici sa belle tête morte !
Je l 'ai coupée avec mon kriss.
Le Praho rapide m 'emporte
En bondissant comme l 'axis.

Je l 'ai coupée avec mon kriss ;
Elle saigne au mât qui la berce.
En bondissant comme l 'axis
Le Praho plonge ou se renverse.

Elle saigne au mât qui la berce ;
Son dernier râle me poursuit.
Le Praho plonge ou se renverse,
La mer blême asperge la nuit.

Son dernier râle me poursuit.
Est-ce bien toi que j 'ai tuée ?
La mer blême asperge la nuit,
L 'éclair fend la noire nuée.

Est-ce bien toi que j 'ai tuée ?
C 'était le destin, je t 'aimais !
L 'éclair fend la noire nuée,
L 'abîme s 'ouvre pour jamais.

C 'était le destin, je t 'aimais !
Que je meure afin que j 'oublie !
L 'abîme s 'ouvre pour jamais.
Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !

Dans l'air léger

Dans l'air léger, dans l'azur rose,
Un grêle fil d'or rampe et luit
Sur les mornes que l'aube arrose.

Fleur ailée, au matin éclose,
L'oiseau s'éveille, vole et fuit
Dans l'air léger, dans l'azur rose.

L'abeille boit ton âme, ô rose !
L'épais tamarinier bruit
Sur les mornes que l'aube arrose.

La brume qui palpite et n'ose,
Par frais soupirs s'épanouit
Dans l'air léger, dans l'azur rose.

Et la mer, où le ciel repose,
Fait monter son vaste et doux bruit
Sur les mornes que l'aube arrose.

Mais les yeux divins que j'aimais
Se sont fermés, et pour jamais,
Dans l'air léger, dans l'azur rose !

Iris Hoarau275

Sérénité -- Testament

Combien de temps encor me reste-t-il à vivre ?
Combien de temps encor emplirai-je mes yeux
De votre moire, ô mer, de votre azur, ô cieux
De tout ce dont mon cœur se nourrit et s'enivre !

Combien de temps encor vous reverrai-je, ô fleurs
Plus fraîches chaque jour, en vos robes d'aurore,
Et de vos chants légers, combien de temps encore
Bercerai-je mon âme, ô doux oiseaux siffleurs !

(...) Ai-je toujours vécu ? Revivrai-je toujours ?
Je me sens infinie. Etoiles immortelles,
Dites, le savez-vous, nos âmes seraient-elle
Promises comme vous à d'innombrables jours ?

Vous qui savez mourir, enseignez-nous la vie,
Petits oiseaux d'un jour, fleurettes d'un matin,
Qui vivez pleinement votre léger destin
Et puis vous éteignez sans regret, sans envie !

L'homme va gaspillant sa vie au fil des jours,
Mais parfois, inquiet du vide de ses heures,
Il se plait à rêver d'éternelles demeures
Où se magnifieront son œuvre et ses amours !

(...) Aime d'amour profond tes frères, les humains,
Aime l'art qui libère, et les chants, et les livres,
Avec l'archet vibrant, fais courir tes doigts ivres,
Que le pinceau s'anime, ardent, entre tes mains !

Aime le pauvre amer, fais-lui, douce, sa vie !
Façonne d'autres cœurs au moule de ton cœur,
Et quand le soir viendra, de ton destin, vainqueur,
Couche-toi pour mourir, sans regret, sans envie.

Auguste Lacaussade276

A la mémoire de Robinet de La Serve

Nous sommes les enfants, l'attente d'un autre âge,
De l'opprimé sur nous que les pleurs soient puissants !
Vengeons un séculaire outrage !
Du crime des aïeux nous sommes innocents !

Combattez donc, amis, sans relâche et sans trêve !
De toute énigme obscure un jour l'homme a le mot.
Non ! sa foi n'était point un rêve,
Et ce qu'il a prédit, nous le verrons bientôt.

(...) La lutte vous attend ; dans la mêlée austère,
Vos mains se couvrirons de sanglantes sueurs.
Hélas ! pour féconder la terre
Les cieux ont leur soleil, l'homme n'a que ses pleurs.

(...) De la stérile nuit de nos haines premières
Que pour l'homme nouveau surgisse un nouveau jour !
Émancipez par les lumières,
Semez dans les esprits la moisson de l'amour !

Éteignez dans les cœurs les feux de la vengeance !
L'esprit affranchit mieux que le glaive irrité.
L'étoile de l'intelligence
Sur nos mœurs doit éclore la liberté.

(...) Dites à ceux pour qui le destin fut sévère,
A ceux pour qui le sort n'a jamais eu d'affronts,
Que les eaux saintes du Calvaire
Ont indistinctement coulé pour tous les fronts ;

Que, maudit dans les cieux et maudit en ce monde,
Pauvre de tout le sang dont il est inondé,
L'esclavage est un sol immonde
Que les regards de Dieu n'ont jamais fécondé.

Évariste de Parny277

L'amour est éteint pour la vie

J'ai cherché dans l'absence un remède à mes maux ;
J'ai fui les lieux charmants qu'embellit l'infidèle.Tout se tait, tout est mort ; (...) Mourez, honteux soupirs,
Mourez importuns souvenirs
Qui me retracez l'infidèle,
Mourez, tumultueux désirs,
Ou soyez volages comme elle.
Ces bois ne peuvent me cacher ;
Ici même, avec tous ses charmes,
L'ingrate encor me vient chercher ;
Et son nom fait couler des larmes
Que le temps aurait dû sécher.
O dieux ! ô rendez-moi ma raison égarée ;
Arrachez de mon cœur cette image adorée ;
Éteignez cet amour qu'elle vient rallumer,
Et qui remplit encor mon âme tout entière.
Ah ! l'on devrait cesser d'aimer
Au moment qu'on cesse de plaire.

(...) Dans ce séjour tranquille, aux regards des humains
Que ne puis-je cacher le reste de ma vie !
Que ne puis-je du moins y laisser mes chagrins !
Je venais oublier l'ingrate qui m'oublie,
Et ma bouche indiscrète a prononcé son nom ;
Je l'ai redit cent fois, et l'écho solitaire
De ma voix douloureuse a prolongé le son ;
Ma main l'a gravé sur la pierre ;
Au mien il est entrelacé.
Un jour le voyageur, sous la mousse légère,
De ces noms connus à Cythère
Verra quelque reste effacé.
Soudain il s'écria : Son amour fut extrême ;
Il chanta sa maîtresse au fond de ces déserts.
Pleurons sur ses malheurs, et relisons les vers
Qu'il soupira dans ce lieu même.

Julienne Salvat278

Strange fruits

Dancing de fruits étranges sous la jupe
des peupliers en transe
Lanternes fleurant
Menstrues frissonnant parmi la frondaison
Nègres rouges
Nègres photophores
vos appels de détresse
embrasent les plantations d'un Sud profond
Dansez fruitage étrange
votre étrange gavotte
au bal étrange des ardents
Le magnolia s'offre
à l'étreinte du sang
se soumet à la chair grésillante
respire
la brise en larmes
le roucoulis du blues
et Billie en leur deuil maternel...

Langue marronne

Langue ma hyène
borgne dans son sommeil
ma colombe débornée
angue qui m'exaspère et me désespère
angue île que j'aborde
pour retour sans cesse et toujours marronnage
Je te voue à la crasse je te voue à l'encens
Je te voue à l'onction je te voue à la fange
il m'appartient de t'alanguir
de te déterminer ma jambette à la main
à toutes volées machette à mon bout de bras
langue coup de bois pour makoute
pour makoumè
Langue comme moi marronne en servitude et esclave de liberté...

SAOUDIENNE

Ali Ashoor279

Quelle faute a commis...

Quelle faute a commis une chambre dont la fenêtre est fermée, les épaules sans voile et les recoins sans chemise ? Chambre sans chemise ni solitude ni larme. Chambre dont la fenêtre est fermée, comme son étourdissement dans le regard et dans la simulation des larmes silencieuses. Car la chaise a le dos cassé et les pieds usés. Quelle erreur a commis l'étranger en se livrant au repos alors qu'il n'y a ni lit ni ventilateur au plafond pour évacuer la pluie du front280 ?

Tu mets chaque chose...

Tu mets chaque chose à sa place : les vêtements, les livres, le flacon de parfum et le cahier. Les places te renvoient l'état de leurs propres choses : la poussière, les couleurs, les jours, le vide, le long arrêt, la cécité et l'inutilité. Et lorsque tu quittes la chambre, les lieux rangent bien leurs choses et couvrent le cœur de ton semblable de départs.

Omar Ibn Abi Rabia281

Ah ! Si Hind voulait...

Ah ! Si Hind voulait bien sa promesse tenir 
Et mon cœur soulager d'un si brûlant désir 
[... ] Elle aurait demandé à ses jeunes voisines, 
Un jour qu'elle était nue en mal de brises fines : 
Suis-je conforme aux traits que me prête l'auteur ? 
Dites-le, par Allah, ou n'est-il qu'un hâbleur ?
Et d'un rire affecté, il leur plut de lui dire : 
Le regard embellit tout objet qui l'attire. 
La jalousie, c'est clair, dans ces propos abonde.
L'envie est un travers aussi vieux que le monde. 
[... ] Sur la foi des on-dit, la belle m'ensorcelle. 
Quel charme que le sort qui m'est jeté par elle !
Des rendez-vous, j'en ai sollicité en vain. 
Chaque fois Hind s'esclaffe et lance : Après-demain282 !

Amr Ibn Kulthûm283

Holà ! Debout...

Holà ! Debout avec ta cruche et verse-nous
A boire, sans rien garder, de ces vins d'Anderine
Que l'on coupe (on dirait qu'on y met des crocus,
Quand donc avec l'eau se mélange, brûlante)
Et qui libèrent l'être soucieux de sa passion
Si jamais il en goûte assez pour s'apaiser ». (...)

Elle te laisse voir, quand tu la surprends, seule
Et qu'elle est à l'abri des yeux des gens haineux,
Les deux bras d'une blanche chamelonne au long col
A la robe racée, qui n'a jamais porté,
Un sein comme un ciboire, taillé dans l'ivoire, tendre
Et que jamais aucune paume n'a touché,
Les deux versants d'un dos, doux, svelte et allongé,
A la croupe charnue, et parties contiguës,
Un haut de hanche tel qu'étroite en est la porte
Un flanc, dont possédé je fus, à la folie284 !

SYRIENNE

Ibn Arabi285

traité de l'unité

C'est pourquoi le Prophète a dit : "Celui qui connaît son âme, c'est-à-dire soi-même, connaît son Seigneur." Il dit encore : "J'ai connu mon Seigneur par mon Seigneur". Le Prophète d'Allah a voulu faire comprendre par ces mots que tu n'es pas toi, mais Lui ; Lui et non toi ; qu'Il ne sort pas de toi et tu ne sors pas de Lui. Je ne veux pas dire que tu es ou que tu possèdes telle ou telle qualité. Je veux dire que tu n'existes absolument pas, et que tu n'existeras jamais ni par toi-même ni par Lui, dans Lui ou avec Lui. Tu ne peux cesser d'être, car tu n'es pas. Tu es Lui et Lui est toi, sans aucune dépendance ou causalité. Si tu reconnais à ton existence cette qualité, c'est-à-dire le néant, alors tu connais Allah, autrement non.

La religion de l'Amour

Ô colombes des bois de arak et de bân ! Témoignez de mansuétude !
Ne venez pas, par vos lamentations, accroître mon chagrin !
Faites preuve de compassion, et ne montrez point, par plaintes et pleurs,
Le secret de mon fervent amour et l'objet caché de ma tristesse.
Avec elle je converse au crépuscule et à l'aube,
Rempli d'un désir de tendresse et d'un amour éploré.
Les esprits se font face dans les bois de tamaris.
L'inclination de leurs branches sur moi a provoqué ma disparition.
Avec cruels désirs et intense passion, avec des épreuves nouvelles,
Ils viennent jusqu'à moi en prenant de multiples formes.
Qui sera à moi à Jam' à al-Muḥaççab près de Minâ ?
Qui sera à moi à Dhât al-Athl ? Qui aussi à Na'mân ?
Autour de mon cœur, ils tournent, heure après heure,
Pour l'extase et l'affliction, et pour baiser mes pierres angulaires ;
Comme le meilleur des Messagers le fit avec la Ka'ba,
Elle, au sujet de laquelle la raison se montre déficiente.
Il en embrassa des pierres inertes tout en restant doué de discernement.
Quelle est donc la valeur du Temple par rapport au degré de l'Homme ?
Combien de vœux et de serments a-t-elle faits de ne pas changer.
Or, celle qui s'est teinte à la promesse fut infidèle !
Quoi de plus surprenant qu'une gazelle voilée
Montrant un jujubier, et faisant signe de ses paupières !
Une gazelle dont le pâturage s trouve entre côtes et entrailles !
Ah quel prodige ! Un jardin au milieu de feux !
Mon cœur est devenu capable d'accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles et la Ka'ba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora et aussi les feuillets du Coran !
La religion que je professe est celle de l'Amour.
Partout où ses montures se tournent l'amour est ma religion et ma foi !
Nous avons comme exemple Bishr, épris de Hind et de sa semblable,
Et Qays l'amoureux de Layla, et l'affection de Ghaylân pour Mayya.

Livre des théophanies

Écoute, ô bien aimé ! 
Je suis la réalité du monde, le centre et la circonférence. 
J'en suis les parties et le tout. 

J'en suis la volonté établie entre le ciel et la terre.
Je n'ai créé en toi la perception que pour être l'objet de Ma perception.
Si donc tu Me perçois, tu te perçois toi-même.
Mais tu ne saurais Me percevoir à travers toi.
C'est par Mon regard que tu Me vois et que tu te vois.
Ce n'est pas par ton regard que tu peux M'apercevoir.
Tant de fois Me suis-je à toi montré, et tu ne M'as pas vu.
Tant de fois Me suis-je fait douce effluve et tu ne M'as pas senti.
Nourriture savoureuse, et tu n'as pas goûté
Pourquoi ne peux-tu M'atteindre, à travers les objets que tu palpes ?
Ou Me respirer à travers les senteurs.
Pourquoi ne Me vois-tu pas ?
Pourquoi ne M'entends-tu pas ?
Pour toi Mes délices surpassent tous les autres délices.
Et le plaisir que Je te procure, dépasse tous les autres plaisirs.
Pour toi, Je suis préférable à tous les autres biens
Je suis la Beauté ! Je suis la Grâce !
Aime-Moi, aime-Moi seul !
Perds-toi en Moi, en Moi seul !
Attache-toi à Moi, nul n'est plus intime que Moi.
Les autres t'aiment pour eux-mêmes, Moi, je t'aime pour toi.
Et toi tu t'enfuis loin de Moi.
Bien aimé !
Tu ne peux Me traiter avec équité, car si tu te rapproches de Moi, c'est parce qu'alors Je me suis rapproché de toi.
Je suis plus près de toi que toi-même, que ton âme, que ton souffle.
Qui donc parmi les créatures agirait de cette manière avec toi ?
Je suis jaloux de toi contre toi Je ne te veux à personne d'autre, ni même à toi-même.
Sois à Moi, pour Moi, comme tu es en Moi, sans même que tu en ais conscience.
Bien-Aimé !
Allons vers l'Union.
Si nous trouvions la route qui mène à la séparation, nous détruirions la séparation.
Allons la main dans la main. Entrons en la présence de la Vérité.
Qu'elle soit notre juge et imprime son sceau sur notre union à jamais.

Faraj Bayrakdar286

Le tyran et le bourreau

La malédiction lui a dit :
sois
et il fut.
Ses yeux, deux boutons de cuivre noirci
Son nez, un point d'exclamation mal dessiné
Sa bouche, le silencieux d'un revolver
Et dans le détonateur, sa langue
Sur ses épaules, des paons en insignes bouffis de défaites.
Ses dettes menacent les banques du sang d'une faillite retentissante
De son cœur aveugle il nous protège et de barbelés nous garde
Ses intentions sont piégées et son sourire annonce la boucherie
La mort lui tient lieu de sagesse
et l'enfer de justice.

Le bourreau, lui, a deux cœurs
le premier pour haïr jusqu'au bout les autres
le deuxième pour se haïr lui-même jusqu'au bout
Mais il arrive parfois qu'il se fatigue et soit obligé de travailler avec un seul cœur287.

Abu al-'Ala' al-Ma'aari288

Patience ! Malgré ta liberté...

Patience ! Malgré ta liberté tu fus dupé
Par un homme rusé qui prêche la bonne parole pour les femmes.
Dans la journée, il vous interdit le vin
Mais s'empresse de s'enivrer dès la tombée de la nuit.
« Je suis sans vêtements « dit-il,
Or, c'est pour le plaisir de la rousse qu'il a hypothéqué ses habits.
L'homme est deux fois pêcheur s'il continue
À accomplir ce que lui-même interdit.

Nizar Qabbani289

L'école de l'amour

Votre amour m'a appris à être triste,
Et moi, depuis des siècles, j'avais besoin d'une femme qui me rende triste,

Une femme dans les bras de laquelle je pleurerais comme un oiseau,
Une femme qui rassemblerait mes parties comme les morceaux d'un vase brisé.

Votre amour, chère dame, m'a appris les pires manières.
Il m'a appris à regarder ma tasse mille fois en une nuit,
À tenter les remèdes des guérisseurs et frapper aux portes des voyantes,

Il m'a appris à sortir de chez moi pour brosser les trottoirs des ruelles
Et poursuivre votre visage sous la pluie et entre les feux des automobiles,
À collecter de vos yeux des millions d'étoiles.

Ô femme, qui a assommé le monde, ô ma douleur, ô douleur des nuits290

Leçon d'art plastique

Mon fils pose devant moi sa palette de couleurs
Et me demande de lui dessiner un oiseau.
Je plonge le pinceau dans la couleur grise
Et lui dessine un carré avec des barreaux et un cadenas.
Mon fils me dit, tout surpris : Mais c'est une prison, père,
Ne sais-tu donc pas dessiner un oiseau?
Je lui dis : Mon fils, excuse-moi,
Je ne sais plus comment sont faits les oiseaux.

Mon fils pose devant moi ses crayons de couleurs
Et me demande de lui dessiner la mer.
Je prends un crayon mine et lui dessine un cercle noir.
Mon fils me dit : Mais c'est un cercle noir, père,
Ne sais-tu donc pas que la mer est bleue ?
Je lui dis : Écoute, mon fils, jadis, je savais très bien dessiner les mers,
Mais on m'a confisqué ma canne à pêche, on m'a pris mon bateau,
On m'a interdit toute relation avec la couleur bleue,

Et avec le poisson de la liberté.
Mon fils pose devant moi son cahier de dessin
Et me demande de lui dessiner un épi de blé.
Je prends un crayon et lui dessine un revolver.
Mon fils se moque de mon ignorance et me dit, tout étonné:
Ne fais-tu donc pas la différence entre un épi de blé et un revolver?
Je lui réponds : Écoute, mon fils, je savais jadis comment était fait l'épi de blé,
Comment était la galette de pain, comment était la rose,
Mais en ce temps métallique, où les arbres de la forêt
Se sont enrôlés dans la milice, où la rose est en tenue léopard,
En ce temps d'épis armés, d'oiseaux armés, de culture armée,
Je n'achète pas une galette de pain sans y trouver un revolver,
Je ne cueille pas une rose dans un bosquet sans qu'elle me menace de son arme,
Je ne feuillette pas un livre dans une librairie ans qu'il explose entre mes mains.

Mon fils s'assoit sur le bord de mon lit
Et me demande de lui réciter un poème.
Je verse une larme sur l'oreiller.
Il la ramasse et me dit : Mais c'est une larme, père, et non un poème,
Je lui dis : Quand tu seras grand et que tu liras la somme de la poésie arabe,
Tu sauras que le mot et la larme sont frère et sœur
Et que le poème arabe n'est qu'une larme qui coule entre les doigts.

Mon fils pose devant moi sa boîte de couleurs
Et me demande de lui dessiner une patrie.
Le pinceau tremble dans ma main et je fonds en larmes.

TAMOULE

Cinq Poèmes de l'époque Sangam

Le Paysage Sangam est un procédé poétique dans littérature tamoule classique, remontant au moins au IVè siècle av JC. La poésie amoureuse tamoule classique attribue les expériences humaines qu'elle décrit à des habitats spécifiques. Chaque situation dans ces poèmes est décrite à l 'aide de thèmes dans lesquels le temps, le lieu et les symboles floraux sont codifiés pour représenter un ordre social et des modèles de comportement, qui, à leur tour, sont symbolisés par une flore et une faune spécifiques. Il en va de même pour les détails secondaires et, surtout, la vie sentimentale : rencontres amoureuses, attente, querelles, séparation et anxiété.

Poète : Madurai Alakkar Gnazhaar Maganaar Mallanaar

Poète : Madurai Alakkar Gnazhaar Maganaar Mallanaar
Paysage : Forêt
Locutrice : L'amante
Interlocutrice : L'amie de l'amante

Les boutons de jasmin ont éclos.
En cette saison de pluie, la forêt s'est embellie de jasmins en fleur.
Celui qui a fait que les bijoux tombent de mon corps aminci n'est pas venu.
Mais le soir, lui, est venu pour ternir ma grande beauté.

Poète : Milai Kandhan

Poète : Milai Kandhan
Paysage : Pré
Locutrice : L'amie de l'amante
Interlocuteur : L'amant de son amie

Quand mon amie t'a donné les fruits verts et amers du margousier,
Tu as dit gentiment qu'il s'agissait d'un morceau de jagré *.
Quand elle te donne l'eau fraîche du mois de thai
Puisée à une source sur la colline de Paari,
Tu dis que c'est une eau chaude qui n'a pas bon goût.
Galant homme, c'est parce que tu ne l'aimes plus.

Poète : Milai Perunkandhan

Poète : Milai Perunkandhan
Paysage : Montagne
Locuteur : L'ami de l'amant
Interlocuteur : L'amant

« C'est le désir, c'est le désir », dit-on.
Le désir n'est pas une fièvre qui retombe.
Tel une vache d'âge mûr qui prend plaisir à brouter
Les jeunes herbes de la vieille prairie,
Le désir, quand on y pense, se transforme en plaisir,
Mon ami aux larges épaules.

Poète : Paranar

Poète : Paranar
Locutrice : La maitresse de l'amant
Interlocutrice : L'amie de la maitresse
À l'arrière-fond : Les proches de la femme délaissée

Longue vie à toi, mon amie ! Je suis contente de te voir.
Dans l'art du mensonge qui trouble les pupilles des femmes sensibles
Et fait jaillir tant de larmes, lui, il est certes un expert.
Mais pour ce qui est de tenir la parole donnée, c'est un parfait ignorant.

Poète : Kapilar

Poète : Kapilar
Paysage : Paataan

« Pari » par ci, « Pari » par là...
Tous ces poètes au langage châtié
Ne louent qu'un seul homme de multiples façons.
Pourtant, il n'y a pas que Pari par ici
Pour protéger le monde.
Il y a aussi des nuages.

Kalittokai

Ce n'est pas que nous ne les ayons pas vus...

Ce n'est pas que nous ne les ayons pas vus. Nous les vîmes traverser la forêt...
Tu sembles être la mère de cette innocente aux précieuses parures
Aventurée dans la rude jungle avec un jeune homme à la beauté virile.

Le parfum du santal, mêlé à d'autres, ne sert qu'à ceux qui s'en appliquent
Mais pas à la montagne, dans laquelle il est né, pourtant.
Réfléchis, ta fille et toi, à cet égard, c'est la même chose.

Les précieuses perles blanches ne servent qu'à ceux qui s'en parent
Mais pas à la mer, dans laquelle elles sont nées, pourtant.
Cherche bien, ta fille et toi, à cet égard, c'est la même chose.

L'accord mélodieux tiré des sept cordes ne sert qu'à ceux qui en jouent
Mais pas au luth, dans lequel il est né, pourtant.
Penses-y, ta fille et toi, à cet égard, c'est la même chose.

Alors,Considère la détresse de la chaste pucelle qui a disparu :
Elle a suivi avec révérence ce noble jeune homme ;
Cette vertu lui vaudra de n'être plus jamais séparée de lui291.

TIBÉTAINE

Bde skyid sgrol292

Larmes de la séparation

Si je possédais la faculté d'être libre,
Pourquoi me lèverais-je du giron parental
Pour arpenter un pays inconnu ?
Mais je dois partir,
Chère mère bienveillante.
Au jour de notre séparation,
Essuie proprement les larmes aux coins de tes yeux,
Souris de toutes tes dents
Et escorte ta fille
Avec une tasse remplie du nectar de neige fondue

Nous, Qui sommes nées...

Nous, Qui sommes nées femmes,
N'aspirons pas au pouvoir des jeunes hommes. Pourquoi ? [... ]
Nous, Qui avons laissé pousser nos tresses noires et luisantes,
Réduisons dans la crainte nos idées de femmes. Pourquoi ?
Nous, Qui avons osé soutenir la moitié du ciel,
Nous préoccupons de querelles de poêles et de louches. Pour quoi ?

Chen Metak293

Dans ce village tranquille...

Dans ce village tranquille
Voilà le seul événement possible
La bru de la famille Gemotsang
Est allée chercher une fois du travail à Xining
Puis comme les femmes de la ville
Elle s'est teint les cheveux en blond, c'est tout.

Installés dans le manikhang
On a tant discuté de la bru de la famille Gemotsang
Qu'on n'a pas récité un seul chapelet de prières mani

Moitié

Un arc-en-ciel est apparu
Mais il n'en reste que la moitié.

Le tonnerre a coupé l'autre moitié, et
les nuages ​​sombres l'ont confisquée.

En regardant le royaume
La moitié de celui-ci est un ciel bleu
Accompagné de rayons de soleil.

L'autre moitié est l'anxiété
Marqué par des crochets de foudre294.

Gendun Chöp'el295

Sur mon départ du collège de Labrang

Ah ! Après mon départ pour d'autres lieux les
Bêtas de vieillards ont déblatéré
Car l'oracle de qui tout dépend m'aurait
Disent-ils exclu pour excès d'arrogance.
Eux croient en la purification par le garant des lois. Af-
Fidés ou non de toute part déambulent se
Gobergeant de tchang, thé, brebis séchée, viande revendue :
Honte aux impurs, l'oracle a-t-il autorisé qu'
Ils restent ? Se drapent dans les arcanes de leurs
Jupons ? Végétation idéale pour le recel de
Kanifes, outils répréhensibles, et plants de thé.
Les reconduire (eux) aux frontières ne serait pas un
Mal. D'année en année ils sont de plus en plus
Nombreux. Nous qui comme Vénus n'avons pas la foi,
Oracle, pourquoi disent-ils que tu nous indésires ?
Parasites, bovins, femelles de yaks, oisillons, tous
Qu'on dit animaux-impurs, pourquoi ne pas les ext-
Rader ? L'oracle a des crocs, n'en est pas moins
Seigneur. Chaud ou froid, les épreuves
Tombent sur des auditeurs impassibles qui sans les
Usurper ont intégré les révélations du Bouddha
Victorieux. Bannir de tels disciples, so
What ? Sous leurs beaux chapeaux, lamas bottés sont
Xénophobes, alors on les affecte au centre. Il n'
Y a pas de frugalité condamnable, je me nourris de
Zestes de riens, et on m'invective. Nihilisme,

Auquel des deux partis en imputer le tort ?
Boniments, puisque la hiérarchie s'en fiche.
Connaissance des apocryphes est arrogance,
Dit-on, une arrogance bannissable. Dealer n'
Entraîne aucune réprimande : venaisons,
Fumée de tabac, bière, de tels commerces ne sont pas
Goujats ?... pourtant, à y regarder de plus près...
Ha ha, prenez la peine de vérifier ! Soyez plus
Inquisiteurs envers vos maîtres instructeurs.
J'assume mes propos, moi qu'on dit un rhéteur :
Gendun Chöp'el, de la lignée des lions296

Gzungs phyug skyid297

Père je n'irai pas...

Père je n'irai pas me marier
Ma mère dit
Que, là-bas, les racontars s'esclaffent
Que, là-bas, point de liberté
Père le monde est si vaste
Que je dois partir au loin
Je dois faire mes choix
Ce là-bas est loin
Ce là-bas est triste
Là-bas turquoise et corail couleraient-ils comme fleuve
Qu'ils ne tariraient pas mes larmes
Richesses pousseraient-elles comme fleur
Qu'elles ne dissiperaient pas ma nostalgie [... ]
Père ce siècle est mon aire de jeu
Je dois fabriquer mon petit monde à moi
Comme mes amies avec beauté et fierté
Je dois encore traverser les villages de l'amour
Alors Père
Laisse-moi tranquille, je t'en prie

Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö298

Un chant acrostiche

Ah ! Yogins et yoginīs !
Bannissez l'indifférence, pratiquez le Dharma ! Et soyez
Chaleureux avec vous-mêmes, mes amis de loisir.
Délaissez une conduite telle que la mienne :
Évitez les clameurs et la distraction.
Façonnez-vous comme vous le désirez.
Gardez-vous de désirer intensément thé, alcool et nourriture.
Hésitez à vagabonder comme des femmes.
Intégrez les enseignements du Tathāgata.
Joignez tous les éléments en un.
Kyé ! Quelle chance nous avons d'être ensemble !
Lançons-nous dans la pratique continue du Dharma.
Majoritairement, les formes de conduite erratique,
Nécessairement, mènent les autres à perdre la foi.
On ne doit pas simplement se reposer comme le font les vaches.
Prodiguez un amour maternel à tous.
Quasiment aussi beaux et attrayants qu'un camara,
Restez insensibles à la chaleur et au froid.
Souhaitez d'avoir la constance du Gange en son cours.
Tendez vers les retraites de montagne comme un renard vers son terrier.
Un peu comme un chapeau, placez sur votre tête la visualisation du guru :
Vivace, sans l'oublier ne serait-ce qu'un instant.
Warrantant l'abstention des activités trépidantes et triviales,
eXercez à tout moment seulement une conduite raffinée.
Yogins, efforcez-vous d'être aussi stables que Ramaṇa,
Zélés sans être dispersés tout au long de votre vie299.

Jangbu (Dorjé Tsering Chenaktsang)300

Retour au pays

À plusieurs reprises
J'ai voulu retourner au pays
En poussant un troupeau de poèmes
Je crois qu'on peut encore distinguer les traces des pas du temps
Sur un sentier des montagnes enneigées et un lac
Ou entre un lac et une prairie
Et qui rejoint peut-être la tente
D'où j'étais parti à l'origine

Aujourd'hui, c'est l'automne
Je voulais attirer par mes contes merveilleux et mes affabulations
Sous les fruits de la ville
Quelques amantes richement parées
et des enfants immatures
Mais une forêt d'acier acéré
Qui pousse entre mes propos et ma poitrine
Et entre ma poitrine et mon cœur-esprit
Entrave mon regard

Parfois
Je sens que je n'ai nulle part où retourner301

Lhasang Tsering302

Retour au Pays des Neiges

L'Inde est notre Patrie Spirituelle,
Depuis le jour où nous avons reçu le Dharma;
Il en est ainsi depuis des siècles
Pour le peuple du Pays des Neiges.

L'Inde aujourd'hui est notre Seconde Patrie,
Depuis le jour où nous avons perdu notre Liberté;
Et pourtant nos coeurs restent tournés à jamais-
Vers, vers le Pays des Neiges.

L'Inde a reçu à bras ouverts
Chacun des Tibétains cherchant refuge;
Et pourtant nos cœurs restent tournés à jamais -
Vers, vers le Pays des Neiges.

Bien qu'éparpillés en des terres lointaines,
Les Tibétains ont été accueillis avec bonté;
Et pourtant nos cœurs restent tournés à jamais -
Vers, vers le Pays des Neiges.

Deux nouvelles générations ont grandi au Tibet,
Deux générations qui n'ont jamais connu la Liberté ;
Et pourtant elles meurent pour la Liberté -
Liberté pour le Pays des Neiges.

Deux nouvelles générations sont nées en exil,
Deux générations qui n'ont jamais vu le Tibet
Et pourtant leurs coeurs restent tournés à jamais-
Vers, vers le Pays des Neiges.

Vers, vers la terre à laquelle nous appartenons ;
Vers, vers la terre qui nous appartient;
Vers, vers la terre où nous voulons vivre,
Vers, vers la terre  --- le Pays des Neiges303.

Le moine et la nonne

Leurs visages sont semblables -
Mais c'est naturel ; tous deux sont tibétains.

Leurs robes sont les mêmes -
Mais on doit sy attendre; leur Dharma est le même.

Et ce n'est pas seulement les robes
Ni juste les visages; leurs voeux sont les mêmes.

Pourquoi alors l'un d'eux -
Gros, pansu, passe-t-il en trombe dans une Toyota ?

Et pourquoi l'autre -
Frêle, mélancolique, petite ; vend-elle des cartes postales sur le bord de la route?

Eh bien c'est simplement que l'un -
Le gros est un moine ; et l'autre -- une simple nonne.

Et s'il est inexact - que tous les moines sont riches;
Ni toutes les nonnes pauvres;
Pourtant, entre le moine et la nonne - il semble y avoir un écart ;
Qui n'est pas en faveur de la nonne.

Longchen Rabjam304

Les délices de la forêt

Je me prosterne devant mon maître et les Trois Joyaux !
Je rends hommage à la forêt enchanteresse,
Que je semble apercevoir pour la première fois !

Mon cœur s'est brisé dans la cité de l'existence,
Or voilà que l'esprit adresse à l'esprit
Un chant invitant celui qui se dévoue à la voie du Dharma
À se retirer dans la forêt paisible.

(...) Dans les bois, inspiré par le changement de couleur des feuilles,
On réalise avec certitude que beauté, santé et aptitudes variées
Changent toutes graduellement et sont dénuées de consistance.
C'est ce qu'on appelle « la diminution des avoirs ».

Dans les bois, en voyant les arbres perdre leurs feuilles,
On parvient à la certitude que les amis, les anonymes,
Et même [les composantes du ] corps, sont tels
Qu'ils se séparent, même s'ils sont unis pour l'instant.
C'est ce qu'on appelle « la réalité de la perte ».

Dans les bois, inspiré par l'étang qui perd ses fleurs de lotus,
On réalise avec certitude que toutes les richesses,
Les possessions, les objets sensoriels,
Sont en définitive impermanents, dénués d'essence.
C'est ce qu'on appelle « l'épuisement de ce qu'on a accumulé ».

Dans les bois, en contemplant la succession des mois et saisons,
On parvient à la certitude que même ce corps,
Telle une fleur qui éclot à la fin du printemps,
Change au fil du temps, sa jeunesse s'évanouissant.
C'est ce qu'on appelle « l'arrivée du Seigneur de la Mort ».

Dans les bois, inspiré par le mûrissement et la chute des fruits
On réalise avec certitude que la jeunesse,
La fleur de l'âge et la vieillesse n'en sont guère différentes,
Et que le moment de la mort est incertain.
En somme : « ce qui est né ne manquera pas de mourir ».

Dans les bois, en contemplant les reflets dans l'eau,
On parvient encore à une autre certitude :
Les phénomènes, aussi divers soient-ils, ont beau apparaître,
Ils sont dépourvus de nature inhérente,
Comme des illusions, des mirages,
Ou le reflet de la lune sur un lac.
On dit donc qu'ils sont « vides d'existence véritable ».

(...) Nulle garantie d'être encore en vie ce soir, ou demain.
On ne peut être certain de rien ;
Le Seigneur de la Mort gagne sans cesse du terrain,
Et je n'ai pas la capacité de le renvoyer.
Allons, allons vite méditer dans la forêt !

Quand la mort se produira,
Richesses, parents et amis ne seront d'aucune aide.
Un vrai pratiquant n'aura cependant rien à craindre.
N'attendons pas ; précipitons-nous dans la forêt.

Avant longtemps, tout le monde, toute chose, moi-même,
Tout disparaîtra ; ça ne fait aucun doute.
Donc, pour accomplir le Dharma, sans tarder,
Je m'en vais résolument vivre dans la forêt.

(...) Puissent tous les êtres extraire leur esprit de la cité du saṃsāra,
Et s'affranchir simultanément
Dans la forêt enchanteresse de la libération omnisciente305.

Ce chant intitulé Les délices de la forêt fut écrit par Ngagi Wangpo (Longchen Rabjam), le poète instruit du monastère de Samyé, sur le plus haut pic de la montagne, quand surgit en lui une grande lassitude à l'égard de la demeure saṃsārique.

Milarepa306

Je suis Milarépa...

Je suis Milarépa, le meilleur des yogis.
Je suis celui qui pourchasse le visage des apparences,
Celui qui accueille tous les souhaits.
Je suis un yogi sans opinions,
Celui qui ne s'empresse jamais, quoi qu'il advienne.
Je suis le renonçant sans vivres,
Le mendiant sans possessions,
Le vagabond nu.
Je suis celui qui a vaincu toutes les pratiques,
Je demeure ici, mais n'y réside pas,
Je suis un Fou, heureux de la mort,
Je ne possède rien, je n'ai besoin de rien.

Les Quatre vœux incommensurables

Puissé-je délivrer tous les êtres quoi qu'ils soient innombrables
Puissé-je éliminer tous les égarements quoi qu'ils soient incalculables
Puissé-je apprendre tous les enseignements quoi qu'ils soient illimités 
Puissé-je parvenir à l'état du Bouddha quoi qu'il soit incomparable

Chant de l'ermite courant à cheval.

Je me prosterne aux pieds de Marpa plein de grâces
Dans le monastère de montagne qu'est mon corps,
Dans le temple de ma poitrine. 
Au sommet du triangle de mon cœur,
Le cheval qu'est mon âme vole comme le vent. 

Si je l'arrête, avec quel lasso l'arrêterais-je ?
Si je l'attache, avec quel piquet l'arrêterais-je ?
S'il a faim, quelle pâture lui donnerais-je ?
S'il a soif à quelle rivière l'abreuver ? 
S'il a froid, dans quelle enceinte l'enfermer ?

Si je l'arrête, je l'arrêterai avec le lasso de l'Absolu.
Si je l'attache, ce sera au pieu de la méditation profonde.
S'il a faim, je le nourrirai des préceptes du lama. 
S'il a soif je l'abreuverai au courant perpétuel du souvenir
S'il a froid, je l'abriterai dans l'enceinte du néant.

Comme selle et comme mors, je le doterai de moyens et de connaissance.
Je le garnirai de la solide martingale de l'Immuabilité.
Je disposerai la bride de l'énergie puisée dans l'inspiration profonde.

L'enfant de la connaissance le montera.
Pour casque, il portera le sceau du Mahayana.
Sa cotte de mailles sera faite d'attention, de réflexion et de méditation.
Il portera dans le dos le bouclier de l'endurance.
Il tiendra la lance de la contemplation.
L'épée de la sagesse sera fixée à son côté.
Si le bambou qu'est son esprit est flexible,
Il se redressera sans révolte.

Shabkar Tsokdrouk Rangdrol307

Un chant de compassion

Mon cœur s'emplit de compassion pour tous ceux qui souffrent aujourd'hui,
Celles-là même qui furent mes mères et prirent soin de moi avec tendresse
Depuis la nuit des temps jusqu'à maintenant.

Ces mères pleines de bonté m'ont rafraîchi quand j'avais chaud ;
Certaines ont aujourd'hui pris naissance dans les huit enfers brûlants
Où elles endurent une chaleur extrême.
Pour elles, mon cœur s'emplit de compassion.

Ces mères m'ont réchauffé quand j'avais froid ;
Certaines ont aujourd'hui pris naissance dans les huit enfers glacés
Où elles endurent un froid glacial.
Pour elles, mon cœur s'emplit de compassion.

Ces mères m'ont donné à manger et à boire quand j'avais faim et soif ;
Certaines ont aujourd'hui pris naissance dans le monde des preta
Où elles endurent famine et sécheresse.
Pour elles, mon cœur s'emplit de compassion.

Ces mères pleines de bonté ont constamment pris soin de moi avec affection ;
Certaines ont aujourd'hui pris naissance dans le monde des animaux
Où elles subissent asservissement et exploitation.
Pour elles, mon cœur s'emplit de compassion.

Ces mères pleines de bonté ont comblé tous mes souhaits par leur amour ;
Certaines ont aujourd'hui pris naissance parmi les êtres humains
Où les tourmentent les affres de la vieillesse et de la mort.
Pour elles, mon cœur s'emplit de compassion.

(...) Quand je pense à ses souffrances que nous endurons tous,
Je me dis : « Et si je pouvais atteindre l'état de bouddha !
Non pas demain, mais dès aujourd'hui ! »Et j'aspire alors à pouvoir vite, très vite, atteindre l'Éveil,
Pour éliminer la souffrance de tous les êtres, mes propres mères,
Et les guider vers le bonheur ultime.

Alors qu'une foule de pauvres gens, toujours en manque de nourriture et de vêtements, venait mendier constamment à la porte de ma chambre de retraite, une irrésistible compassion pour tous les êtres s'est élevée du plus profond de mon cœur et j'ai écrit ces mots en pleurant.

Shakabpa308

Paroles tibétaines

Si tu as faim je te nourrirai
Si tu es sans toit je t'accueillerai
Si tu es boiteux je te porterai
Si tu es triste je te rendrai joyeux
Si tu es ignorant je t'enseignerai la sagesse 
Si tu es inquiet je te réconforterai
Si tu souffres je compatirai
Mais si tu occupes mon pays
Je résisterai
Jusqu'à l'envol de mes cendres

Poèmes du sixième Dalaï-Lama309

Lorsqu'il réside au Potala, il est le vidyâdhara Tsangyang Gyatso.
Lorsqu'il traîne en ville dans le quartier de Zhol, il est le paillard Dangzang Angpo.

Je suis allé chez un lama...

Je suis allé chez un lama renommé le prier de guider mon esprit. Mes pensées ne pouvaient même pas suivre. Elles s'échappaient vers mon amour
La cachette sous un taillis de saules dans le parc où nous nous sommes dits des mots d'amour, personne ne la saura, sinon la grive musicienne.
Ma belle d'un seul jour m'aime à la tombée de la nuit. Quand l'aube viendra, Elle me quittera certainement.
Ce soir je suis à nouveau saoul. Je dois dormir contre l'épaule de ma maîtresse. Demain à l'aube c'est le coq qui me réveillera.

L'épouse que me confient mes parents, je ne puis la rejeter. Mais mes pensées les plus profondes vont vers l'amour de mon enfance.
Le corps de la jeune fille est beau ; Le thé, la bière, les plaisirs abondent. Après ma mort, même si je m'incarnais en dieu, aurais-je plus de joie ? Pas sûr !
Mon amante est belle, grands sont ses désirs acharnés: Récemment j'ai dû différer mon voyage vers l'ermitage
Une belle sans désirs acharnés est une statue d'un dieu surnaturel. C'est comme acheter un superbe cheval qui ne trotte ni ne galope.
Une plaine où sévit la sécheresse ne se contente pas d'une petite averse. Cette fille assoiffée n'a jamais assez de jouissance
Les parois de la maison sont minces. Les villageois doivent bien rire. Fille acharnée, s'il te plaît, arrête de pousser des cris
Cette fille, la plus excellente des créatures, est une déesse, la reine des nâga. Je vous prie, ô Seigneur de la mort, n'allez pas déjà chez l'amour de mon enfance.

Ma chérie fantasque, pétale d'une fleur fanée, me montre son sourire éclatant, Mais je n'y trouve plus aucun plaisir.
La fleur s'ouvrit et puis se fana. Mon amante devint ma compagne et puis vieillit. L'abeille jaune et moi, nous nous sommes résignés à ce sort
Je regarde les restes noirs, desséchés, d'une fleur fanée et je pense: Cette veille dame, elle aussi, a sûrement été une belle jeune fille310.

Tsering Wangmo Dhompa311

Bardo

Cent et une lampes à beurre sont offertes à mon oncle qui n'est plus.
La distraction s'avère fatale dans la mort.
Un rideau d'empreintes de beurre dans les airs.
Après la combustion des ossements, les cendres sont envoyées en pèlerinage.
Tu es mort, allez à la vie, nous prions.
Mon oncle était un homme fou de rire dans des moments solennels.
La mémoire jaillit comme les crocus en fleurs. Conscient de soi et précis.
Sans flouter la cornée, les détails sont ressuscités. Yak séché viande entre les dents. Semblance de ce qui est.
Ne sois pas distrait, oncle qui n'est plus.
Il ne voit pas son reflet dans la rivière.
La cambrure de la parole sur "s" comme il devient.
Courbure de la colonne vertébrale lorsqu'elle s'est fissurée par un matin brumeux. Une ombre échappe au mur.

Tu n'es plus, oncle qui n'est plus.
Tous les sept jours, il doit revivre son moment d'expiration.
Les vivants prient fréquemment au milieu des genévriers brûlants.
Les efforts de communication nécessitent la bonne initiative.
Quelque part le long de la ligne, les questions de mouvement et de repos sont résolues.
Les corbeaux ramassent les dernières offrandes.

Tu es quelqu'un d'autre, oncle non plus.

TURKMÈNE

Anouary312

Mejnoun et Leila à notre illustre et fortuné monarque

0 toi que le Génie de la Prudence a doué des qualités les plus rares l
toi que la main triomphante de la Victoire a choisi pour être notre illustre protecteur :
de toutes parts , le royaume redevient florissant par les lois émanées de ta justice inaltérable
partout ta générosité sans bornes rappelle le bonheur.
Semblable au A'n'kâ, l'esprit destructeur est devenu invisible depuis que ton bras victorieux l'a poursuivi jusque dans non dernier repaire.
Soumis à ies volontés, le Destin a remis entre tes mains invincibles les rênes des évènements
et tenir ton étrier est, pour les grands de la terre, un honneur suprême.
0 toi l'amour de ton peuple toi à qui la brebis innocente doit le repos
dont elle jouit, sans craindre
que le loup sanguinaire s'engraisse encore de sa dépouille
tant que la rose, chaque printemps, se parera de la couleur qui porte son nom; tant que le myrte odorant se couronnera de verdure
puisses-tu jouir à jamais d'une jeunesse florissante l
puissent les soucis dévorants , ne jamais altérer ton bonheur313 !

Magtymguly Pyragy314

Les Turkmènes

Entre l'Amou-Derya et la mer Caspienne
Sur la steppe souffle le vent des Turkmènes.
C'est un bouton de rose, c'est la sombre prunelle de mes yeux noirs,
La Montagne est noire, d'où descend le torrent des Turkmènes !

Dieu les a distingués, ils vivent dans son ombre
Dans leur steppe s'ébattent les chameaux mâles et femelles,
Des fleurs multicolores s'épanouissent sur leurs plateaux verdoyants ;
Elle disparaît sous les basilics, la steppe des Turkmènes !

Drapées d'étoffes rouges et vertes, leurs jeunes fées se promènent
Un parfum ambré remplit l'air de ses douces senteurs.
Avec leurs beys, leurs princes, leurs sages anciens, maîtres du pays,
Elles dressent leurs campements bien peuplés, les belles tribus des Turkmènes !

Ils sont les fils des braves. Leurs ancêtres sont des héros.
Köroğlu est leur frère. Ils sont enivrés de vaillance.
Si par les monts et les plaines, des chasseurs les traquent,
Ils ne peuvent les prendre vivants, ces tigres que sont les fils des Turkmènes !
 (...)
Pleins d'ivresse, ils s'en vont, nulle peine ne brûle leur cœur,
Rien ne peut leur barrer la route, ils brisent même les rocs...
Mes yeux ne peuvent regarder ailleurs, mon cœur est impatient.
Moi, Magtymguly, je suis la bouche parlante des Turkmènes315 ! 

TURQUE

Yunus Emre316

Je marche et me consume...

Je marche et me consume
l'amour m'a peint de sang
je ne suis ni fou ni sain
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
  Parfois je souffle comme le vent
parfois je poudroie comme les chemins
parfois je coule comme le torrent
viens voir ce que l'Amour a fait de moi.
  Je mugis comme les eaux qui roulent
je meurtris mon cœur en peine
je pleure en évoquant mon Guide
viens voir ce que l'Amour a fait de moi.
 Prend ma main et enlève-moi
ou fais-moi entrer en Ton sein
tu m'as trop fait pleurer, réjouis-moi
viens voir ce que l'Amour a fait de moi.
  Je vais de pays en pays
j'invoque mon Guide en toutes les langues
qui me comprend en pays étranger ?
viens voir ce que l'Amour a fait de moi.
  Que je sois Medjnun et que je marche
je Le vois en rêve cet Aimé
je m'éveille et m'attriste
viens voir ce que l'Amour a fait de moi.
  Je suis le pitoyable Yunus
de la tête aux pieds je ne suis que plaie
et je suis loin du pays de l'Ami
viens voir ce que l'Amour a fait de moi317

Nazim Hikmet318

Voyage à Barcelone sur le bateau de Youssouf l'Infortuné

En prison, sur la pierre de la fontaine
Youssouf l'Infortuné a dessiné son bateau.
Un prisonnier qui boit à la fontaine
Regarde la proue effilée du bateau
Glisser sur des mers sans murs.

(...) Prends-moi aussi Youssouf sur ton bateau.
Mon bagage n'est pas lourd : un livre, un cahier et une photo. 
Allons-nous-en, frère, allons-nous-en
Le monde vaut la peine d'être vu. 
Nous traversons port après port
Les mers se taisent dans les ports
(...) C'est l'aurore, la nuit qui nous semblait infinie
Est finie. Voici devant nous la Barcelone du Frente Popular

Fini notre voyage amenez les voiles, l'ancre à la mer !
Les pigeons qui suivaient notre sillage
s'en retournaient dire aux copains
que nous sommes arrivés à bon port.

(...) Je vois des flammes se tordre
Là-bas je vois côte à côte
Lénine, Bakounine, Robespierre
Et le paysan Mehmet qui gît à Doumloupinar 
C'est ainsi que Youssouf et moi
Passagers d'un bateau né de la fontaine d'une prison
Nous avons vu à Barcelone dans l'aurore
La liberté se battre en chair et en os
Nous l'avons regardée les yeux en flammes
Et comme la peau brune et chaude d'une femme
De nos mains d'hommes affamés
Nous avons touché la Liberté319

Sofia

Je suis entré à Sofia par un jour de printemps, mon amour.
La ville où tu naquis fleure le parfum du tilleul.
Je parcours un monde sans toi
Telle est ma destinée je n'y puis rien changer.

A Sofia l'arbre vient avant la pierre, l'arbre est plus beau que la pierre
A Sofia l'arbre et l'homme sont mêlés l'un à l'autre
Le peuplier surtout, toujours sur le point de pénétrer dans votre chambre
de s'asseoir sur le tapis rouge...

Est-ce une grande ville que Sofia, me demandes-tu ?
Les villes, mon amour, sont grandes non par leurs rues
Mais par les poètes dont elles ont dressé la statue
Sofia est une grande ville...

Ici quand vient le soir tout le monde se répand dans les rues
Femmes, enfants, vieillards et jeunes gens
Des rires, des bruits, un bourdonnement,
une rumeur de long en large
Côte à côte, bras dessus, bras dessous, la main dans la main...
A Istanbul, à Chehsadebachi, les soirs de ramadan
- Tu n'as point connu ce temps-là, Munevver --
On se promenait ainsi, jadis.Mais ces jours-là sont révolus
Si j'étais à Istanbul maintenant y songerait-je seulement ?
Mais loin d'Istanbul tout est pour moi prétexte à nostalgie,
Même le parloir de la prison d'Uskudar.

Je suis entré à Sofia par un jour de printemps, mon amour
La ville où tu naquis fleure le parfum de tilleul
Je ne saurais te décrire l'accueil de tes concitoyens,
La ville où tu naquis est pour moi la maison d'un frère.
Mais la maison d'un frère ne saurait vous faire oublier votre propre maison
C'est un dur métier que l'exil, bien dur.

Les chants des hommes

Les chants des hommes
sont plus beaux qu'eux-mêmes
plus lourds d'espoir,
plus tristes,
plus durables.

Plus que les hommes
j'ai aimé leurs chants.
J'ai pu vivre sans les hommes
jamais sans leurs chants

Il m'est arrivé d'être infidèle
à ma bien-aimée,
jamais au chant
que j'ai chanté pour elle ;

Jamais non plus
les chants ne m'ont trompé.
Quel que soit leur langage
j'ai toujours compris tous les chants.

Rien en ce monde
de tout ce que j'ai pu boire
et manger,
de tous les pays où j'ai voyagé,
de tout ce que j'ai pu voir et entendre,
de tout ce que j'ai pu toucher
et comprendre

rien, rien
ne m'a jamais rendu aussi heureux
que les chants ...

J'ai gravé ton nom avec mon ongle

Je te dirai quelque chose d'une importance capitale
L'homme change de nature quand il change de lieu.
J'aime effroyablement ici le sommeil qui vient comme une main amie
ouvrir les verrous de ma porte et renverser les murs qui m'enferment.
Comme dans la comparaison banale je me laisse aller dans le sommeil
comme la lumière glisse dans les eaux tranquilles
Mes rêves sont magnifiques
Je suis toujours dehors
Le monde y est clair, le monde y est beau
Pas une fois encore je n'y fus prisonnier.
Pas une fois encore dans mes rêves
je ne suis tombé de la montagne dans l'abîme.
Tes réveils sont terribles diras-tu,
Non, ma femme,
J'ai assez de courage pour faire au rêve sa part de rêve.

Ne plaisante pas et ne sois pas jalouse
Je me suis fait un nouvel amour en prison
J'aime autant ou presque autant que toi la nature
Et vous êtes tous les deux loin...
Quand nous sortirons par la porte du fort pour aller voir la mort
Nous pourrons dire, ma bien-aimée, en regardant pour la dernière fois la ville :
Bien que tu nous aies rarement fait rire
Nous avons fait de notre mieux pour te rendre heureuse

Dans cette nuit d'automne
Je suis tout plein de tes mots,
Mots éternels comme le temps, la matière,
Mots lourds comme la main,
Mots scintillants comme les étoiles.
De ton cœur, de ta tête, de ta chair
Tes mots me sont parvenus,
Tes mots tout chargés de toi,
Tes mots, mère,
Tes mots, femme,
Tes mots, amie.
Ils étaient tristes, amers,
Ils étaient joyeux, chargés d'espoir,
Ils étaient braves, héroïques,
Tes mots étaient des hommes.
(...) Par-dessus les toits de ma ville lointaine
Et le fond de la mer de Marmara,
Par-delà les terres de l'automne,
M'est parvenue ta voix humide et mûre.
Cela dura trois minutes et puis le téléphone sombra.

Que c'est beau de penser à toi
A travers les rumeurs de la mort et de la victoire
Penser à toi quand on est en prison
Et quand on a passé la quarantaine.

Behçet Necatigil320

Rose fanée quand on la touche

La plupart font tomber tant de choses mais
Les passagers ne les voient pas
Je me penche je la prends
Elle devient rose fanée quand on la touche.

Ou bien dans une grande ville
Dans des arrêts surpeuplés elle se promène
Ou bien dans un lieu éloigné du pays
Dans le coin d'un café, dans la chambre d'un hôtel
Où qu'elle aille à cette heure du soir
Elle met les mains dans ses poches
Parmi des cigarettes, des papiers,
Elle glisse doucement
Je me penche je la prends, personne n'est là
Elle devient rose fanée quand on la touche.

Ou bien dans le rouge à lèvres
Qu'une fille seule efface
Au seuil d'une nuit fatiguée
Quand elle met sa tête sur l'oreiller.

En pleine journée certaines viennent à mes côtés
Plutôt pendant les mois d'automne et lorsqu'il pleut
Comme un nuage descend dans un nuage de tristesse.
Je me penche je la prends, personne n'est là
Elle devient rose fanée quand on la touche.

Sur les mains, sur les lèvres, en des écritures désertées
Elle se fait piéger par des rets tendus
Comme des bêtes blessées elle respire
S'étouffe, veut s'enfuir
Le long des chemins ou des souvenirs.

En la prenant je reviens, elle ne dort pas de la nuit
Elle bouge dans le noir dès que je la touche
Elle devient rose fanée quand on la touche321.

Ali Poyrazoğlu322

Mes inconnus

Que je les réunisse et qu'on discute pour de bon, ai-je pensé.
Et en plus je m'y connais pas mal dans la grande cuisine...
J'ai préparé des plats raffinés aux goûts exquis de chacun.
J'ai bien travaillé quand même car je les connais bien.
Et j'ai bien dépensé...

Ce que l'un mange l'autre le déteste. Ce que l'autre boit l'un le refuse...
J'ai dressé quatre couverts, j'ai allumé les bougies.
Tous les quatre aimaient Eric Satie je me souviens...

j'ai mis la musique ils sont arrivés...

J'ai assis mes trente-cinq ans en face de mes vingt ans.
Je me suis mis en face de mes quarante ans.
Mes vingt ans ont trouvé vieux jeu mes trente-cinq ans.
Mes quarante ans les ont trouvés tous les deux nuls.

J'ai essayé de détendre l'atmosphère ...
Casse-toi pépère, m'ont-ils dit. Quelle bagarre !
Les voisins du dessus et ceux du dessous ont manifesté leur mécontentement
en frappant aux murs.

Mes vingt ans ont lancé un verre sur mes quarante ans. 
Et ils m'ont bousillé la maison.
C'est de ma faute... Quelle idée !
Quelle mauvaise idée d'inviter chez-soi les gens qu'on ne connaît pas323 !

Oktay Rifat324

Dernıer mot

Savoure cette eau qui pétille dans ta gorge
Ne méprise pas cet azur
Apprécie le ciel embrassé par ta fenêtre.
Adore l'amandier en fleurs,
La chambre ensoleillée, la rue boueuse,
lLe blanc, le noir, le vert, le rose, adore- les tous.
La vivacité est quelque chose qui s'ébat dans le cœur avec joie.
On s'éprend d'amour on s'irrite, on se met en colère, on lutte
Apprécie ce courroux cette peur mêlée de joie
Dans la lutte engagée pour le peuple.
Apprends une chose immuable: le soleil ne chauffe que les vivants.
Vénère le soleil325.

Pir Sultan Abdal326

Ne te détourne pas

Ne te détourne point en me voyant
je ne cesserai de t'aimer
ne fronce pas l'arc de tes sourcils
ce n'est pas ta faute mais la mienne

sur ta langue et tes lèvres il y a du miel
mon désir s'est posé sur ta rose en bourgeon
tu es une sultane tu dictes les arrêts
ce procès entre nous comment pouvais-je le gagner ?

je n'irai pas sur les plateaux sans toi
je ne dirai pas ton secret dans les barrières
j'ai beaucoup péché je ne le nie pas
mes deux mains sont tachées de sang rouge.

Je me suis promené avec maints seigneurs et m'en suis lassé
j'ai ruisselé le sang pollué et je suis redevenu limpide
j'ai étreint plus d'une belle comme toi
mais ton amour est resté dans mon cœur

Je suis Pir Sultan Abdal et je dis
il est coutume que les amants aiment les belles
deviendrait-on criminel  pour avoir aimé ?
Alors ma tête tranchée est déjà sur ma selle.

Je suis venu en ce monde trompeur et je le quitte
mon âme je n'ai pu trouver d'amante plus pure que toi
je me suis blessé et j'ai baigné dans le sang rouge
je n'ai trouvé personne pour laver le sang de mes mains

Celui qui est beau n'a que faire de l'or
le sage saura se procurer le meilleur bagage
j'ai contemplé le jardin de mon corps
je n'ai pu trouver de grenades vierges pour l'Ami

Le destin m'a brisé les bras et les ailes
je me suis tenu comme le hibou dans les ruines
aujourd'hui j'ai pris le poignet de trois belles
aucune n'a voulu dire : je me sacrifierai pour toi

Je suis Pir Sultan Abdal, si je pouvais être les montagnes
si je pouvais être les vignes parsemées de jacinthes mauves
si je pouvais être abeille dans un monde de fleurs :
Je n'ai pu trouver miel plus doux que les mots de l'Ami327.

VIÊTNAMIENNE

Ho Chi Minh328

La lune

Que faire quand on est en prison, sans alcool, sans fleur,
Devant cette nuit délicieuse et par un temps si beau ?
Par la croisée l'homme contemple la lune en sa splendeur ;
La lune regarde le poète à travers les barreaux...

L'air d'un soir

La rose s'ouvre et la rose
Se fane sans savoir ce que rose
Fait. Il suffit qu'un rose parfum
s'égare dans une maison d'arrêt
Pour que hurlent au coeur de l'enfermé
Toutes les injustices du monde.

Hồ-X uân-Hương329

Un col, un col...

Un col, un col, encore un col,
Loué soit celui qui cisela ce paysage escarpé !
Le portique s'ouvre rouge vermeil, avec un faîte bien touffu...
La rosée perle sur les feuilles de saule toutes mouillées
Sages, gens de vertu, personne ne veut renoncer,
Pieds fourbus, genoux rompus, tous veulent toujours grimper

La balançoire

Bravo pour qui a si habilement planté les quatre piliers !
Les uns montent se balancer, les autres regardent.
Le garçon, arquant ses genoux de grue, bande, bande ses reins,
La fille, cambrant son dos de guêpe, tend, tend son bassin.
Quatre pans de pantalons roses claquent au vent,
Deux paires de jambes s'étirent deux à deux.
Ceux qui pratiquent ces jeux printanniers les connaissent-ils vraiment ?
Les poteaux retirés, les trous sont laissés à l'abandon.

Nguyễn Du330

Kim-Vân-Kiêu

En cent ans, dans ces limites de l'humaine carrière,
comme talent et destinée se plaisent à s'affronter !
À travers tant de bouleversements
--- mers devenues champs de mûriers ---,
que de spectacles à frapper douloureusement le cœur !
Oui, telle est la loi :
nul don qui ne doive être chèrement payé ;
et le ciel bleu jaloux a coutume de s'acharner
sur le destin des joues roses

Et celles qui gâchaient toute leur existence
A vendre charmes et sourires dans leur printemps.
L'âge venant, les voici seules, désemparées:
Où trouver un mari, un enfant qui les aiderait ?
Vivantes, elles avaient vidé la coupe d'amertume,
Mortes, elles humaient la soupe sous des feuilles de figuier.
Tragique est le sort des femmes,
tel est leur destin. Qui en sait les raisons ?

Nguyen Trai331

Le chant de Con Son

A Con Son, un ruisseau chante jour et nuit :
J'en fais ma guitare.
A Con Son, les rochers couverts de mousse sont lavés par la pluie :
J'en fais d'excellents lits.
Des pins escaladent les monts,
et leur feuillage vert s'étire sur des lieues :
Je m'y délasse à mon gré.
Les bambous de la forêt,
Sur des milliers d'hectares, verdoient :
A leur ombre, je chante mes poèmes.
Ami, pourquoi ne pas y retourner ?
Pourquoi se démener dans cette vie de poussière ?
A quoi bon palais et carrosses ?

Nuit en sampan

Sur les lacs et les fleuves, combien de décennies ai-je erré ?
Cette nuit à nouveau, j'amarre mon sampan.
L'onde sans fin miroite, la lune illumine la grève.
Emmêlée, l'ombre des rbres se profile, une fumée se lève dans le port.
On ne rattrape guère le passé : l'occasion si souvent s'enfuit.
La patrie toujours attend d'être vengée. Hélas, la vieillesse nous saisit !
Toute ma vie, j'ai voulu prévoir les soucis du peuple.
Toute la nuit, j'ai serré sur moi cette froide couverture.

Apitoiement

Le bateau flotte au bord de la rivière,
Sachez à qui parler.
Si seulement les gens de cette vie
apportaient de l'eau et de l'eau dans un rêve.
J'étais triste à propos des averses,
encore une fois blessé par le vent d'est qui se précipitait.
Les nuages ​​dérivant, de l'eau coule en aval,
Le bateau est indifférent au fleuve seul.

Trois poivres

Tout seul
se sentir bien au printemps à nouveau,
chambre pleine étrange,

couleur pendant la nuit.
Une lettre d'amour avec une enveloppe scellée,
Où est le vent, essayez de l'ouvrir..

Nguyen Van Lac332

Maître crevette

Nullement prince
non plus que comte
pas même baron,
et vous avez le frontale d'arborer l'épée !
Et qui plus est,
la barbe !
Dans l'onde bleue
vous roulez, vaniteux,
vos globes écarlates.
Mais savez-vous seulement
que pour parfaire vore beauté,
sous votre tête vous portez,
pauvre Maître, votre fiente ?

Phan Van Tri333

Le moustique

Hé là ! Compère moustique !
Tu sembles jouir de la vie !
Alors pourquoi vrombrir ainsi ?
Lit d'ivoire, natte de jade,
Ces lieux de repos te sont bénéfiques.
Près des joues de neige, des lèvres de rose,
Tu goûtes aussi les fruits d el'amour.
Pour t'engraisser, rien ne te fait reculer !
Pas même l'innocence d'un bambin !
Il te faut une panse pleine :
Qu'importe la misère alentour !
Mais si, d'aventure, une palme
Vient à metomber sous la main,
justice sera faite,
Et sans ciller, je le jure ! 

The Lu334

Amant d'une nuit

Un ciel lourd, nuages de brume, des bouquets d'arbres
Se dressent là-bas : sont-ils en ivresse ? Qui le saura ?
Amarré à la berge du fleuve blanc, un petit sampan :
Près des vieux roseaux, doux frémissement du vent.

En un dernier adieu je t'accompagne à l'embarcadère
Pour prolonger un peu la rencontre de notre amour.
Le sampan s'en va, mes pas s'en retournent,
J'emporte notre souvenir, déjà tu l'oublies.

Le sampan de l'amant d'une nuit est parti ; je laisse
Mon coeur suivre le gouvernail, vers quel horizon ?
Eperdue dans le royaume de l'infinie tristesse,
Sans pleurs, car mes yeux n'ont plus de larmes.

Qui l'aurait pensé ? Tu n'es que
L'amant d'un bref instant : tu passes, badin,
et c'en est fini : en vain, je retiens tes pas,
Laissant un coeur aimant souffrir seul avec ses rêves.

Je ne suis qu'un être de rêve, et c'est tout.
Un être qui fait des rêves, hélas !
L'aurore se lève sous d'autres cieux.
Seul le pays de mon coeur reste ténébreux.

Vouée à de tristes amours, et pourtant j'espère !
Toute ma vie je serrerai un cristal d'amour vide,
Je serai tours celle qui, à l'embarcadère, accompagne l'amant d'une nuit.
Le sampan suit le courant, et moi, debout, seule avec le fleuve...

Xuân Quỳnh335

Le bateau et la mer

Je vais à l'instant te conter
L'histoire du bateau et de la mer :
« Un jour, dire lequel nul ne saurait,
Le bateau, à l'écoute de la mer,
Se laissait mener de lieu en lieu
Par les albatros et les vagues bleues.
Le bateau est plein d'aspirations,
Et la mer d'une immense affection.
Il navigue sans cesse, sans fatigue,
Elle s'ouvre toujours et encore sur l'infini.
Les douces nuits baignées de lune,
Comme une jeune fille, la mer
Vient auprès du bateau s'épancher
Au beau milieu des clapotis d'écumes.

Mais il arrive aussi que, sans raison,
La mer déchaîne ses flots sur le bateau.
(Car l'amour, comme nous le connaissons,
N'a-t-il pas toujours des bas et des hauts ?)

Le bateau est le seul à concevoir
À quel point la mer est immense ;
La mer est la seule à savoir
D'où vient le bateau, vers où il avance.
Les jours où ils ne se rencontrent pas,
La mer languit à se blanchir d'écume ;
Les jours où ils ne se rencontrent pas,
Le bateau souffre à se briser lui-même.

Si un jour le bateau s'en allait,
Il ne resterait à la mer que l'orage violent. »
Si un jour loin de moi tu partais,
Il ne me resterait que l'ouragan.

Chansons populaires

Telle la pièce de soie...

Telle la pièce de soie rose
Qui, au marché, sous la brise,
frémit et se dit :
quelle main va me prendre ?
Branche de bambou,
Branche d'abricotier,
je m'appuie et je me dis :
au levant, le pêcher,
au couchant, le saule.
Qui sera mon aimé ?

Le crapaud -- au bord de l'eau,
Les yeux au ciel -- rêve
de gober les étoiles du firmament.
Mon enfant,
mon tout-petit,
jamais n'oublie ces mots :
« Les brigands de la nuit
ont nom « pirates »
les brigands au grand jour
ont nom « mandarins ».

Une belle qui aime son homme
regorge
- tel le marché plein de vie ;
un homme qui aime sa belle
rayonne
- telles les tendres lueurs du couchant...

YEMENITE

Abdullah al Baradouni336

L'horizon n'a jamais...

L'horizon n'a jamais été atteint
Les mers n'ont jamais été explorées
Les secrets de l'univers restent encore cachés
Mais je suis en train de chercher337.

Dans cette vie...

Dans cette vie, je suis un étranger
Je voyage à travers les montagnes et les vallées
Je suis à la recherche de la vérité, de la justice
Je suis à la recherche de l'amour et de la liberté
Je marche sur des chemins escarpés, je traverse des rivières profondes
Je rencontre des gens, je goûte leurs joies et leurs peines
Je suis un témoin silencieux de leur vie
Je continue ma quête, sans savoir où elle me mènera
Mais je sais que je ne suis pas seul, car je suis enveloppé par l'amour de Dieu

*D'exil en exil338

Mon pays est livré d'un tyran l'autre, un pire tyran ;
d'une prison à l'autre, d'un exil à l'autre.
Il est colonisé par l'envahisseur connu
et l'envahisseur secret ;
livré par une bête ou deux comme un chameau émacié.
Dans les cavernes de sa mort, mon pays ne meurt
ni ne guérit.

Il creuse dans les tombes sourdes à la recherche
de ses origines pures
pour la promesse printanière qui dormait derrière ses yeux
pour le rêve qui viendra
pour le fantôme qui s'y cache.
Il passe d'une nuit écrasante à une nuit plus sombre.
Mon pays pleure dans ses propres frontières
et dans la terre d'autrui
et même sur son propre sol
souffre l'aliénation de l'exil.

Pourquoi je me tais sur la complainte

Ils me disent que mon silence est une lamentation.
Je leur dis que les hurlements sont laids.

La poésie n'est que pour la vie et j'avais
envie de chanter, pas de hurler.

Comment puis-je appeler les morts maintenant qu'entre nous il y a
de la terre et des tombes silencieuses ?

Je suis entouré d'un sol muet et d'un mausolée
Hurler n'est que pour les veuves et je ne suis pas
comme une veuve qui gémit sur le cercueil silencieux339.

Le Yémen devient le pays le plus pauvre du monde

Ce pays comme une casserole de maa'tuf croustillant trop sombre.
Ce pays au bord comme un poing froissé.
Ce pays un port de commerce, une sauterelle volant à toute allure,
une reine djinn, une agréable résonance, une lunette [sur leur ] nez.

Ce pays qui invite tout le village pour le thé est un diwan bleu, une route des épices, une Arabia Felix.
Yémen des joues ouatées, des combats de chats sauvages et de serpents.
Une poule qui entre dans ta cuisine, des enfants qui courent dehors

le coq qui chasse fajr. Ce pays aime les t-shirts noués
pour un fútbol, ​​les confettis de qat tombant d'un chariot,

livres scolaires dans des sachets de sucre.
Ce pays vous transporte comme un esprit de l'eau murmurant vos désirs les plus profonds.
Ce pays de grands-mères époustouflantes en galabeyat criard
dansant dans les rues sur leurs propres tambours,

lançant du henné comme un combat de nourriture de cinquième année, une célébration et une coloration orange de leur peau.
Ce pays est un canal entre al nas et le divin.
Ses vestes de costume drapées sur des thobes blancs,
des lames de jambiya à la taille.
Ou rahman dans un foutah caché,accroupi sur les genoux pour manger.
Ce pays est un miswak amoindri, une rangée de dents rouges rongeant l'écorce
du royaume.
Ne demandez pas à un Yéménite s'il craint l'au-delà.
Ils répondront toujours non.
Demander s'ils ont déjà passé d'innombrables nuits à taper
sur une cellule rouillée pour avoir acheté du batat au mauvais moment

(parce que même l'épicier est un rebelle infiltré).
Ou s'ils ont transporté des jerrycans d'eau, le camp de secours à des miles. L'eau ici est militarisée.

L'eau ici est pleine de parasites et de pirates.
Si vous nagez trop longtemps, l'un ou l'autre peut vous voler.
Les politiciens qui se sont enfoncés dans nos champs évangélisés étaient de mauvaises graines.
Ils n'ont fait pousser que les parties vénéneuses, ont laissé le meilleur d'Allah ailleurs.
Il faut sept cents ans à un corbeau pour atteindre un ange, l'épaule de son lobe d'oreille.
Il y a trop d'espace entre nous et la foi - une étoile lointaine continue de brûler par le carburant des plumes sacrées d'un malak.
La Journée de l'unité nationale du Yémen était hier.
J'ai allumé un cierge magique qui ressemblait aux ténias que j'ai trouvés
sur le cul de mon chat, blanc électrique, se tortillant là où je l'ai agité.
Baladi est la lutte des jumeaux pour la paix dans l'utérus,
les deux sont liés par un cordon bleu et des plis cérébraux.
Le nord est sorti chaud comme l'éclair et tout aussi frappant,
la tête du sud est une beau grain de café étincelant.
Ils essaient d'atteindre la frontière de l'autre en criant leurs noms de naissance à travers la fracture. Tu as compris ?
Le prophète (s) a dit un jour que le peuple du Yémen avait les cœurs les plus doux de tous.
J'ai essayé de vous piéger dans votre propre conscience coupable.
Je n'ai jamais visé la parole liquide. J'aurais dû être plus rhétorique.
Peut-être qu'un jour je pousserai le langage des pauvres entre mes dents et le maîtriserai.

Ahmed al Qârah340

Qui est cette fille...

Qui est cette fille ?

Par mon âme, qui donc est cette fille mince comme un croissant de lune ?
Sa beauté a emporté mon âme et ma raison
Une belle qui n'a pas son pareil parmi les belles
Et moi qui n'ai pas mon pareil parmi les amoureux
Quand je lui ai parlé de l'union, elle m'a dit : Qu'est-ce ?
Et qu'est-ce que tu y cherches ?
(...)
Alors j'ai dit : Par Dieu, je ne crains pas le combat
Et toi non plus, ne le crains pas, si j'en suis l'enjeu Je ne crains ni les flèches ni les coups de lance,
Si ce n'est ceux de tes yeux perçants, eux seuls peuvent me tuer
J'ai dit : Quel est ton nom, et quel est ton pays ? Elle a dit : Gazelle,
Et mes ancêtres viennent de l'Orient
L'Orient d'Allah, plein d'abondance et de beauté
Peuplé de vierges à mon image !
Suis-moi donc dans mon pays pour atteindre
Ton vœu le plus cher, et t'unir à moi
J'ai dit : A Dieu ne plaise ! et mes larmes coulaient Comment pourrais-je me séparer de mes parents ?
Elle a dit : Laisse donc l'amour commander, puisqu'il est né
Décide-toi, et sinon, ôte-toi de mon chemin !
Alors j'ai dit, tout transi :
Ô toi qui parle si bien de la magie licite
Ne vois-tu pas, ô Gazelle, que je ne suis plus qu'un spectre
Dans cet amour pour toi qui m'obsède ?
Prions, prions, autant que Dieu arrose les montagnes A l'est, à l'ouest et au nord
Pour le salut du Prophète, notre modèle suprême
Prions mille fois pour son salut !

Qâsim al-Amîr et Ali b. Ishâq341

Le teint d'or est sans prix

Toi qui as un teint d'or, dis-moi, la pomme de tes joues, c'est combien ?
Car je souhaite soigner mes esprits à l'eau de tes lèvres
J'en ferai un baume pour les battements de mon cœur
Il apaisera ses pulsations et éteindra le feu de l'émotion.

Toi qui te cramponnes à la corde de l'amour, si tu es satisfait
Des belles comme moi
Ne cherche pas à préserver ton âme éperdue de passion
Et ne dis pas : Combien cela me coûte ? »

Abdo Qassem342

Aden

La jolie qui m'a donné la mort deux fois :
Une fois quand je l'aimais,
Elle m'a accroché en collier sur sa poitrine
Elle était mon abri et mon espoir
L'autre quand la barbarie l'a voilée
A brûlé les arbres
Confisqué la mer
Et détruit chaque chose
Aden
Si je suis mort maintenant
Je ne peux embrasser tes dômes et tes dunes
Je ne peux sécher tes larmes
Je ne peux consoler ta douleur
Je ne peux arrêter d'embrasser ta douceur
MAIS
Je peux te rencontrer au Paradis
Là, tous savent que tu seras la Femme, la Mariée de la Mer.


  1. Nadia Anjuman : 1950 - 2005 

  2. Trad Leili Anvar 

  3. Trad Marco Valdo 

  4. Sayd Bahodine Majrouh : 1928 - 1988 

  5. Petit montage de dystiques populaires recueillis par Majrouh 

  6. Partaw Naderi : 1953 - - 

  7. Trad Yama Yari et Sarah Maguire 

  8. Trad Dr Arle 

  9. Parween Pazhwak : 1967 - - 

  10. Abū Kabīr al-Hudhalī : VI-VIIè siècle - - 

  11. Andalousie Xième siècle 

  12. Qays ibn al-Mulawwah : VIIè siècle - - 

  13. Tamîn ibn Muqbil : VIIè siècle - - 

  14. Abou Nouwas : VIIè siècle - - 

  15. Traduit de l'arabe par Vincent-Mansour Monteil 

  16. 'Imrou al-Qays : Viè siècle - - 

  17. Traduit de l'arabe par Heidi Toelle 

  18. Abû ash-Shamaqmaq : VIIè siècle - - 

  19. Abû Tammâm at-Tâ 'i : Ixè sièle - * 

  20. Charles Aznavour : 1924 - 2018 

  21. Meguerditch Bechigtachlian : - 

  22. Hovhannès Chiraz : 1914 - 1984 

  23. Trad Louise Kiffer 

  24. Avétik Issahakian : 1875 - 1957 

  25. Trad Jean Minassian 

  26. Sylva Kapoutikian : 1919 - 2006 

  27. Kamar Katiba : 1830 - 1892 

  28. Korène de Lusignan : 1831 - 1893 

  29. Missak Manouchian : 1906 - 1944 

  30. Maro Markarian : 1915 - 1999 

  31. Nersès le Grâcieux : 1102 - 1173 

  32. Sayat Nova : 1712 - 1795 

  33. Sargavak de Berdak : XVIè siècle - - 

  34. William Saroyan : 1908 - 1981 

  35. Yéghiché Tcharentz : 1897 - 1937 

  36. Dans ce poème cryptographique en arménien. la 2ème lettre de 

  37. Vahan Tekeyan : 1878 - 1945 

  38. Trad Louise Kiffer 

  39. 2022 pseudonyme 

  40. princesse Hlain Thei Khaung Tin : 1833 - 1875 

  41. reine Shin Min : 1738 - 1780 

  42. Tin Moe : 1933 - 2007 

  43. D'après la traduction anglaise du poème "New Pages" du Dr Kyi 

  44. Padethayaza : 1653 - 1754 

  45. Ngwe Tayi : 1925 - 1958 

  46. Trad Khing Mya Tchou 

  47. Khet Thi : 1976 - 2021 

  48. Min Thu Wun : 1909 - 2004 

  49. D'après la traduction anglaise  de Bob Vore 

  50. Shin Thila Wuntha : 1453 - 1500 

  51. Chath pierSath : 1978 - - 

  52. Chea Chheng : Vers 1950 - - 

  53. Khun Srun : 1945 - 1978 

  54. Makhali-Phal : 1908 - 1965 

  55. Bai Juyi : 772 - 846 

  56. Chang-Wou-Kien : 1879 - 1931 

  57. 551 av JC -479 av JC 

  58. Du Fu : 712 - 770 

  59. Trad Maurice Coyaud 

  60. Lao-Tseu : -571 av JC - - 

  61. Li Po : 701 - 762 

  62. Lǐ Qīng Zhào : 1084 - 1155 

  63. Lo Kong-cheng : XVIII7 siècle - 

  64. Ouang-Tsi : 723 - 757 

  65. Po Kiu-yi : 772 - 846 

  66. princesse Si-Kiun : Iiè siècle av JC - 

  67. Sin K'i-tsi : 1140 - 1207 

  68. Souen Yeou-tch'e : époque Ming - - 

  69. Tchang Tsi : VIIIè siècle - 

  70. Wang Fan Chih : VIIIè siècle - 

  71. L'empereur Wou des Leang : 464 - 549 

  72. Hwang Jin-Yi : 1506 - 1567 

  73. Hwang Ji-U : 1942 - 2013 

  74. Trad Ju Hyoun-jin Claude Mouchard 

  75. Yi Sang : 1911 - 1938 

  76. Trad Kim Bona 

  77. Trad Jean-Pierre Zubiate et Son Mihae 

  78. Kim Soo-Yong : 1921 - 1968 

  79. Kim Sowol : 1902 - 1934 

  80. Trad KIM Hyeon-ju et MESINI Pierre 

  81. Ko Un : 1933 - 1933 

  82. Han Yong-un : 1879 - 1944 

  83. Amaru : VIIè siècle - 

  84. Trad Nadia Cattoni- Monti 

  85. Sri Aurobindo : 1872 - 1950 

  86. Chanteurs vagabonds. présents en Inde depuis le XIème siècle 

  87. Toru Dutt : 1856 - 1877 

  88. Kabir : 1440 - 1518 

  89. Kalidasa : nc - 522 

  90. Trad R. H. Assier de Pompignan 

  91. Trad Louis Renou 

  92. Sarojini Naidu : 1879 - 1949 

  93. Le papeeha est un oiseau 

  94. Ayyappa Paniker : 1930 - 2006 

  95. Amrita Pritam : 1919 - 2005 

  96. Mohan Singh : 1905 - 1978 

  97. Kamala Surayya : 1934 - 2009 

  98. Rabindranath Tagore : 1861 - 1941 

  99. Azad : 1906 - 1931 

  100. Lokenath Bhattacharya : 1927 - 2001 

  101. Jibanananda Das : 1899 - 1954 

  102. Taslima Nasreen : 1962 - 1962 

  103. Trad Patrick Huntchinson 

  104. Chairil Anwar : 1922 - 1949 

  105. Ernest Fouinet : 1799 - 1845 

  106. Nisah Haron : 1973 - - 

  107. Trad Georges Voisset 

  108. Catherine Delmas Lett 

  109. Umbu Landu Paranggi : 1943 - 2021 

  110. Trad Guntur 

  111. Sitor Situmorang : 1924 - 2014 

  112. Salah Faïk ; 1945- 

  113. Mohammed Mahdi Al-Jawahiri : 1899-1997 

  114. Kadhen Khanjar : 1990- 

  115. Nazik al-Mala'ika : 1922-2007 

  116. Trad (anglais) de l 'arabe Rebecca Carol Johnson 

  117. Trad René R. Khawam 

  118. Trad de l'arabe Abdul Kader El Janabi  et  M. Huerta 

  119. Trad Pierre Rossi 

  120. Aya Mansour : 1992- 

  121. trad Souad Labbize 

  122. Al Mutanabbi : 915 - 965 

  123. Muzaffar al-Nawwab : 1934 - 2022 

  124. Ma'ruf al-Rusafi:1875-1945 

  125. Badr Shakir al-Sayyab : 1926-1964 

  126. Trad de l'arabe Simon Jargy 

  127. Autour de -2000 ? 

  128. Cité par Samuel Noah Kramer 

  129. Abd al-Wahhab al-Bayati : 1926-1999 

  130. Trad de l'arabe par Pierre Rossi 

  131. Trad de l'arabe par Jean--François Donniot 

  132. Saadi Youssef : 1934 - 2021 

  133. Trad Khaled Mattawa 

  134. Jamil Sidqi al-Zahawi : 1863-1936 

  135. Yéhudah Amihaï : 1924 - 2000 

  136. Trad Michel Eckhard Elial et Benny Ziffer 

  137. Trad Anne Loiseau 

  138. Trad Anne Loiseau 

  139. David Avidan : 1934 - 1995 

  140. Trad Tsipi Keller 

  141. Haïm Naham Bialik : 1873 - 1934 

  142. Rad Ariane Bendavid 

  143. trad Ariane Bendavid 

  144. Rachel Blaustein : 1890 - 1931 

  145. Leah Goldberg : 1911 - 1970 

  146. Trad  Sabine Huynh 

  147. Dan Pagis : 1930 - 1986 

  148. Trad Stephen Mitchell 

  149. Israël Pincas : 1935 - nc 

  150. Trad Linda Zisquit 

  151. Gabriel Préil : 1938 - 2000 

  152. Trad AZ Foreman 

  153. Yonatan Ratosh : 1908 - 1993 

  154. Abraham Shlonsky : 1900 - 1973 

  155. Trad Ruth Finer Mitz 

  156. Avot Yeshuron : 1903 - 1992 

  157. Trad Bee Formentelli 

  158. 1703-1775 jap 

  159. Kakonimoto No Hitomaro : 662 - 710 

  160. Kiyohara no Fukayabu : IX-Xè siècle - 

  161. Haïkus de Kobayashi Issa : 1763 - 1828 

  162. Haïkus de Masaoka Shiki : 1867 - 1902 

  163. Haïkus de Matsuo Basho : 1644 - 1694 

  164. Ôtomo no Yakamochi : 718 - 785 

  165. Dame Ôtomo no Sakanoe : 700 - 750 

  166. Eizo Ryokan : 1758 - 1831 

  167. Sugiyama Sampû : 1647 - 1732 

  168. Suzuki Michihiko : 1951 - 2023 

  169. Yamanoue no Okura : 660 - 733 

  170. Yosa Buson : 1716 - 1784 

  171. Mehmet Said Ayidin : 1983 - - 

  172. Rojen Barnas : 1945 - - 

  173. Berken Bereh : 1954 - - 

  174. Terze Caf : 1972 - - 

  175. Ilhan Sami Çomak : 1973 - - 

  176. Trad Francis Combes 

  177. Abbas Haghighi : 1902 - 1996 

  178. Dlawar Karadaghi : 1963 - - 

  179. Trad Mohsen Ahmad Omer avec Philippe Delarbre 

  180. Mohsen Ahmad Omer : Vers 1960 - 

  181. Trad Ahmed Mala avec Philippe Delarbre 

  182. Zana Xelîl : 1976 - * 

  183. Kawe Xusrewi : Vers 1950 - 

  184. Anthologie et trad Gérard Challand 

  185. Saysamone Amphonesinh : 1947 - 2015 

  186. Abbas Beydoun : 1945 - - 

  187. Andrée Chedid : 1920 - 2011 

  188. Khalil Gibran : 1883 - 1931 

  189. Joumana Haddad : 1970 - - 

  190. Trad Issa J. Boullata 

  191. Trad Khaled Mattawa 

  192. Amin Maalouf : 1949 - - 

  193. Georges Schéadé : 1905 - 1989 

  194. Nadia Tuéni : 1935 - 1983 

  195. Malcolm de Chazal : 1902 - 1981 

  196. Ananda Devi : 1957 - - 

  197. Jean Fanchette : 1932 - 1992 

  198. Robert Edward Hart : 1891 - 1954 

  199. Yusuf Kadel : 1970 - - 

  200. Léoville Lhomme : 1857 - 1928 

  201. Khal Torabully : 1956 - - 

  202. Uriankhai Damdinsüren : 1940 - - 

  203. Trad Nomindari Shagdarsuren 

  204. Nyamdorj Gürjav : 1958 - 1998 

  205. György Kara : 1935 - 2022 

  206. Trad Yvonne Zsak 

  207. Ölziitögs Luvsandorj : 1972 - - 

  208. Trad Nomindari Shagdarsuren 

  209. Princesse Nirgidma de Torhout : 1908 - 1983 

  210. Bhanubhakta Acharya : 1814 - 1868 

  211. Laxmi Prasad Devkota : 1909 - 1959 

  212. Suman Pokhre : 1967 - - 

  213. Trad Abhi Subedi 

  214. Trad Mukul Dahal 

  215. Trad Manu Manjil 

  216. Yuyutsu Sharma : 1960 - - 

  217. Babour : 1483 - 1530 

  218. Traductions Hamid Ismaïlov 

  219. Husseini : 1438 - 1506 

  220. Loutfi : 1366 - 1465 

  221. Kourhid Dawron : 1952 - - 

  222. Trad Jean-Pierre Balpe 

  223. Machrab : 1657 - 1711 

  224. Nodira : 1792 - 1842 

  225. Nizomiddin Mir Alisher Navoiy : 1441 - 1501 

  226. trad Hamid Ismaïlov 

  227. Ogakhi : 1809 - 1874 

  228. Ouvaïssi : 1781 - 1845 

  229. Chawkat Rahman : 1950 - 1996 

  230. Trad Jean-Pierre Balpe 

  231. Hodjah mad Yassavi : 1105 - 1165 

  232. Faiz Ahmed Faiz : 1911 - 1984 

  233. Trad Hamid Rahim Sheikh 

  234. Muhammad Iqbal : 1877 - 1938 

  235. Kishwar Naheed : 1940 - - 

  236. Trad Rukhsana Ahmad 

  237. Mahmoud Darwich : 1941 - 2008 

  238. Trad Olivier Carré 

  239. Trad Elias Sanbar 

  240. Trad Elias Sanbar 

  241. Ibrahim Nasrallah 1954- 

  242. Trad (arabe/anglais) Ibrahim Muhawi 

  243. Amjad Nasser -1955-2019 Trad de l 'arabe (anglais) Sinan Antoon 

  244. Mehdi Akhavan Sales : 1928 - 1990 

  245. Simine Behbahani : 1927 - 2014 

  246. Trad Jalal Alavinia en collaboration avec Thérèse Marini 

  247. Trad Élaine Audet 

  248. Mohammad Reza Chafii Kadkani : 1939 - - 

  249. Ahmad Chamlou : 1925 - 2000 

  250. Trad Reza Afchar Naderi. 

  251. Djami : 1414 - 1492 

  252. Houchang Ebtehadj : 1927 - 2022 

  253. trad Chad Sweeny et Mojdeh Marashi 

  254. Forough Farrokhzad : 1935 - 1967 

  255. Trad Mahshid Moshiri 

  256. trad Sylvie M. Miller 

  257. Forme poétique persane dont l'apogée fut au XIIIème siècle 

  258. Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi : 1315 - 1389 

  259. Parviz Nâtel Khânlari : 1912-1990 

  260. Omar Khayyam : 1048 - 1131 

  261. Nâsser Khosro : 1004 - 1088 

  262. Abdullah Jafar Ibne Mohammed Roudaki : 858 - 941 

  263. Djala al-Din Muhammad Rumi : 1207 - 1273 

  264. traduction de Haleh Liza Gafori 

  265. traduction de Haleh Liza Gafori 

  266. Reza Shirma ; 1974- trad Babak Sadegh Khandjani 

  267. Bahar Tavakoli 1989- 

  268. Trad Abol froushan 

  269. Nima Youchidj : 1895 - 1960 

  270. Charles Baudelaire : 1821 - 1867 

  271. Catherine Boudet : 1968 - - 

  272. Léon Dierx : 1838 - 1912 

  273. Boris Gamaleya : 1930 - 2019 

  274. Charles Leconte de Lisle : 1818 - 1894 

  275. Iris Hoarau : 1896 - 1982 

  276. Auguste Lacaussade : 1815 - 1897 

  277. Évariste de Parny : 1753 - 1814 

  278. Julienne Salvat : 1932 - 2019 

  279. Ali Ashoor : 1989 - - 

  280. Trad Antoine Jockey 

  281. Omar Ibn Abi Rabia : 644 - 712 

  282. Traduit de l'arabe par Abdellaziz Kacem 

  283. Amr Ibn Kulthûm : Vers 650 - - 

  284. trad Pierre Larcher 

  285. Ibn Arabi : 1165 - 1240 

  286. Faraj Bayrakdar : 1951 - - 

  287. Trad Abdellatif Laâbi 

  288. Abu al-'Ala' al-Ma'aari : 973 - 1057 

  289. Nizar Qabbani : 1923 - 1998 

  290. Traduit de l'arabe par le site De plume en plume 

  291. Trad François Gros 

  292. Bde skyid sgrol : 1967 - - 

  293. Chen Metak : 1970 - - 

  294. Rad Bhuchung D Sonam 

  295. Gendun Chöp'el : 1903 - 1651 

  296. Gendun Chöp'el : 1903 - 1651 

  297. Gzungs phyug skyid : 1974 - - 

  298. Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö : 1893 - 1959 

  299. Traduit du tibétain par Adam Pearcey 

  300. Jangbu (Dorjé Tsering Chenaktsang) : 1963 - - 

  301. Trad Françoise Robin 

  302. Lhasang Tsering : 1952 - - 

  303. Trad de l'anglais Michèle Duclos 

  304. Longchen Rabjam : 1308 - 1364 

  305. Trad Vincent Thibault / Timothy Hinkle 

  306. Milarepa : 1040 - 1123 

  307. Shabkar Tsokdrouk Rangdrol : 1781 - 1851 

  308. Shakabpa : 1943 - - 

  309. 1683-1706 en forme de chants populaires ici assemblés - 

  310. Trad Tom J. F. Tillemans 

  311. Tsering Wangmo Dhompa : 1969 - - 

  312. Anouary : nc - Vers 1200 

  313. Trad Antoine-Léonard de Chézy 

  314. Magtymguly Pyragy : 1724 - 1807 

  315. trad Louis Bazin et Pertev Naili Boratav. 

  316. Yunus Emre : 1228 - 1320 

  317. Trad Gérard Chaliand 

  318. Nazim Hikmet : 1902 - 1963 

  319. Tradr Hasan Gureh 

  320. Behçet Necatigil : 1916 - 1979 

  321. Trad Sevgi Türker-Terlemez et Bruno Cany 

  322. Ali Poyrazoğlu : 1946 - - 

  323. trad Serpilekin Adeline Terlemez & Sevgi Türker 

  324. Oktay Rifat : 1914 - 1988 

  325. Trad Tahsİn Saraç 

  326. Pir Sultan Abdal : 1480 - 1550 

  327. Trad Gérard Chaliand 

  328. Ho Chi Minh : 1890 -- 1969 

  329. Hồ-X uân-Hương : 1772 - 1822 

  330. Nguyễn Du : 1765 - 1820 

  331. Nguyen Trai : 1380 - 1442 

  332. Nguyen Van Lac : 1842 - 1915 

  333. Phan Van Tri : 1830 - 1910 

  334. The Lu : 1907 - 1989 

  335. Xuân Quỳnh : 1942 - 1988 

  336. Abdullah al Baradouni : 1929 - 1999 

  337. Source ChatGPT 

  338. Source Poem hunter + trad automatique 

  339. Trad Threa Almontaser 

  340. Ahmed al Qârah : XIXè siècle - - 

  341. XVIIIè siècle - deux poèmes 

  342. Abdo Qassem : 1990 - -